Les glaces enfouies à l’intérieur de Tchouri se trouvent essentiellement sous forme cristalline comme l'a mis en évidence une équipe qui a comparé les observations réalisées avec l’instrument Rosina de Rosetta avec les modèles créés en laboratoire. Elles seraient donc issues de la nébuleuse primitive où s’est formé le Système solaire, et non du milieu interstellaire. Les résultats de ces recherches sont en accord avec les scénarios de formation des planètes géantes et de leurs satellites.

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    La sonde Rosetta, qui escorte 67P/Churyumov-Gerasimenko alias Tchouri depuis août 2014, nous dévoile peu à peu les secrets des comètes. La mission européenne a permis de trancher une question vieille de plusieurs décennies : la nature des glaces de ces astres considérés comme des « fossilesfossiles » du Système solaire primitif. Deux grandes hypothèses s'affrontaient jusqu'à présent : celle d'une glace cristalline, où les molécules d'eau sont arrangées de manière périodique, et celles d'une glace amorpheamorphe, où les molécules d'eau sont désordonnées. Un problème rendu d'autant plus sensible par ses implications sur l'origine et la formation des comètes et donc de notre Système solaire.  

    C'est l'instrument Rosina (RosettaRosetta Orbiter Spectrometer for IonIon and Neutral Analysis) à bord de la sonde Rosetta qui aura permis à une équipe internationale pilotée par un chercheur du Laboratoire au sein de l'Institut Pytheas (CNRS, université Aix-Marseille) et comprenant également des chercheurs du laboratoire J.-L. Lagrange (OCA, CNRS, université Nice-Sophia-Antipolis) et du Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CNRS, université de Lorraine), avec le soutien du Cnes, de répondre à cette question. Ce spectromètrespectromètre de massemasse a d'abord mesuré, en octobre 2014, les abondances du diazote (N2), du monoxyde de carbonemonoxyde de carbone (CO) et de l'argonargon (Ar) dans la glace de Tchouri. Ces données ont été ensuite comparées à celles obtenues en laboratoire dans des expériences sur de la glace amorphe, ainsi qu'à celles de modèles décrivant la composition d'hydrates de gazgaz, un type de glace cristalline où les molécules d'eau peuvent emprisonner des molécules de gaz.

    Rapports N<sub>2</sub>/CO et Ar/CO mesurés par Rosina dans la comète Tchouri comparés aux données de laboratoire et aux modèles. Les surfaces vertes et bleues représentent respectivement les variations des rapports N<sub>2</sub>/CO et Ar/CO mesurés par l’instrument Rosina (Rubin <em>et al.</em> 2015 ; Balsiger <em>et al.</em> 2015). Les courbes noires et rouge montrent respectivement l’évolution des rapports N<sub>2</sub>/CO et Ar/CO calculés dans les hydrates de gaz en fonction de leur température de formation dans la nébuleuse primitive. Les points noirs et rouges correspondent aux mesures de laboratoire des rapports N<sub>2</sub>/CO et Ar/CO piégés dans la glace amorphe (Bar-Nun <em>et al.</em> 2007). Les deux lignes verticales pointillées encadrent le domaine de température permettant la formation d’hydrates de gaz avec des rapports N<sub>2</sub>/CO et Ar/CO compatibles avec les valeurs mesurées dans Tchouri. © CNRS

    Rapports N2/CO et Ar/CO mesurés par Rosina dans la comète Tchouri comparés aux données de laboratoire et aux modèles. Les surfaces vertes et bleues représentent respectivement les variations des rapports N2/CO et Ar/CO mesurés par l’instrument Rosina (Rubin et al. 2015 ; Balsiger et al. 2015). Les courbes noires et rouge montrent respectivement l’évolution des rapports N2/CO et Ar/CO calculés dans les hydrates de gaz en fonction de leur température de formation dans la nébuleuse primitive. Les points noirs et rouges correspondent aux mesures de laboratoire des rapports N2/CO et Ar/CO piégés dans la glace amorphe (Bar-Nun et al. 2007). Les deux lignes verticales pointillées encadrent le domaine de température permettant la formation d’hydrates de gaz avec des rapports N2/CO et Ar/CO compatibles avec les valeurs mesurées dans Tchouri. © CNRS

    Les conditions de la formation des comètes sont précisées

    Les proportions de diazote et d'argon retrouvées sur le noyau cométaire correspondent bien à celles du modèle des hydrates de gaz alors que la quantité d'argon déterminée sur Tchouri est cent fois inférieure à celle que la glace amorphe peut piéger. La glace de la comète possède donc bien une glace de structure cristalline.

    Cette découverte est capitale car elle permet de dater la naissance des comètes. En effet, les hydrates de gaz sont des glaces cristallines qui se sont formées dans la nébuleusenébuleuse primitive de notre Système solaire, à partir de la cristallisation de grains de glace d'eau et de l'adsorptionadsorption de molécules de gaz sur leurs surfaces au cours du lent refroidissement de la nébuleuse. Si les comètes sont composées de glace cristalline, cela signifie qu'elles se sont forcément formées en même temps que le Système solaire, et non auparavant dans le milieu interstellaire.

    La structure cristalline des comètes prouve également que la nébuleuse primitive était suffisamment chaude et dense pour sublimer la glace amorphe qui provenait du milieu interstellaire. Les hydrates de gaz agglomérésagglomérés par Tchouri ont dû se former entre -228 et -223 °C pour reproduire les abondances observées. Ces travaux, publiés le 8 mars 2016 dans The Astrophysical Journal Letters, confortent également les scénarios de formation des planètes géantesplanètes géantes, ainsi que de leurs luneslunes, qui nécessitent l'agglomération de glaces cristallines.