Lancé en février 2016, le satellite japonais Hitomi, avec un regard de lynx dans le domaine X, a cessé de fonctionner un mois après son lancement. Mais il a eu le temps de révéler un mystère : les vitesses du plasma dans le célèbre amas de galaxies de Persée ne correspondent pas aux théories en vigueur. C'est une énigme de plus pour l'astrophysique et peut-être la cosmologie.

au sommaire


    Il y a quelques mois, grande était la déception après la mise hors service du satellite Hitomi, fraîchement lancé par la Jaxa. La première explication fournie était une collision avec un débris spatial ou une petite météorite. En fait, Hitomi a été victime d'une panne. La nouvelle était mauvaise pour les astrophysiciensastrophysiciens spécialisés dans le domaine des rayons X, qui attendaient beaucoup du spectromètre SXS (Soft X-ray Spectrometer). Avec sa résolutionrésolution plus fine que les instruments des satellites ChandraChandra, de la Nasa, et XMM Newton, de l'Esa, ce nouveau type de spectro-imageur promettait de bouleverser notre vision des trous noirstrous noirs et des amas de galaxiesamas de galaxies.

    Mais, comme l'explique une publication parue dans Nature, les chercheurs ont tout de même eu le temps de tourner le regard d'Hitomi en direction de l'amas de galaxies de Persée, le plus brillant d'entre eux dans le domaine des rayons X. Situé à 250 millions d'années-lumièreannées-lumière de la Voie lactéeVoie lactée, il contient en son centre une grosse galaxie elliptiquegalaxie elliptique du nom de NGCNGC 1275, aussi appelé Perseus A.

    Rappelons que l'étude des amas de galaxies est très importante pour la cosmologiecosmologie car ils constituent les éléments des grandes structures filamenteuses de l'universunivers observable, lesquelles sont fortement influencées par la matière noirematière noire et dans une moindre mesure par l'énergie noireénergie noire. Ces amas peuvent contenir des centaines de galaxies mais ils sont bien plus lourds que ne le laissent deviner les observations dans le visible. 80 % de leur massemasse, qui peut atteindre des millions de milliards de masses solaires, est constituée de matière noire. L'essentiel de la matière baryonique standard qu'ils contiennent se trouve toutefois sous forme d'un plasma très chaud dépassant le million de kelvinskelvins. Ils rayonnent dans le domaine X et l'étude de ce rayonnement est précieuse pour estimer leur masse et étudier les phénomènes qui s'y déroulent. On peut ainsi poser des contraintes sur les modèles cosmologiques.


    Une vidéo des résultats obtenus avec Hitomi juste une semaine après son lancement. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle avec deux barres horizontales en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître, si ce n'est pas déjà le cas. En cliquant ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, vous devriez voir l'expression « Traduire les sous-titres ». Cliquez pour faire apparaître le menu du choix de la langue, choisissez « français », puis cliquez sur « OK » © Nasa Goddard

    Une turbulence faible malgré les bulles chaudes éjectées par un trou noir

    Grâce à la résolution record de SXS, les astrophysiciens ont pu mesurer et cartographier comme jamais les vitessesvitesses du plasma dans l'amas. Elles ne correspondaient pas du tout à ce à quoi ils s'attendaient.

    En effet, comme dans bien des amas, le centre est occupé par une galaxie géante. Dans le cas présent il s'agit de l'elliptique NGC 1275. Or, celle-ci héberge un trou noir supermassiftrou noir supermassif contenant plusieurs centaines de millions de masses solaires en train d'accréter de la matière et produisant du même coup d'immenses bulles de matière chaude injectées dans le gazgaz interamas. Ces bulles devraient le rendre très turbulent, donc chaotique, avec des vitesses élevées.

    Cette prédiction ne correspond pas aux observations. Le plasma est au contraire faiblement turbulent et les vitesses mesurées sont basses, de l'ordre de 164 km/s. Seulement 4 % de l'énergie thermiqueénergie thermique dans l'amas sont dues à cette turbulenceturbulence. Finalement, on ne comprend donc pas bien comment la température du gaz intergalactique peut y être aussi élevée, ce qui peut soulever des doutes sur les estimations de la masse de l'amas. Cela fait dire à l'astrophysicien Andrew Fabian, en poste à l'université de Cambridge : « Ce résultat amené par Hitomi nous dit que, pour ce qui se passe dans le cœur des amas, nous devons y réfléchir très sérieusement ».

    Il y a donc quelque chose dans les amas de galaxies que nous ne comprenons pas bien. Voilà qui ne surprend certainement nullement le cosmologiste français Alain Blanchard. C'est ce que lui et certains de ses collègues, comme l'a plusieurs fois rapporté Futura-Sciences, affirmaient déjà depuis quelques années. Pour le chercheur, « le résultat est très intéressant. C'est la première mesure de la turbulence. Clairement, une grande valeur aurait pu être un indice d'une mauvaise estimation des masses mais ce n'est pas le cas ici. En même temps, on est dans la partie centrale de l'amas, la question se pose de façon plus vitale sur les parties extérieures... ».

    Pour progresser, il faudrait donc de nouvelles mesures, de cet amas et d'autres. Hitomi aura au moins aussi eu le mérite de démontrer que la nouvelle technologie à l'origine du détecteur SXS, et en cours de développement, est prometteuse. Elle équipera notamment le satellite de l'Esa Athena dont le spectro-imageur contiendra cent fois plus de pixelspixels. Alain Blanchard précise d'ailleurs que « Euclid et Athena, conjointement, seront des outils idéaux pour investiguer la question de base de la masse des amas de galaxies et du lien avec la dynamique du gaz ».