En combinant la mémoire géologique de la Terre concernant les cycles de Milankovitch avec les équations de la mécanique céleste, il a été possible de remonter dans le passé des trajectoires des planètes du Système solaire au-delà de 60 millions d'années. Les trajectoires déterminées, il y a 200 millions d'années, confirment l'influence du chaos.


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    La question de la stabilité des orbites des planètes dans le Système solaire est aussi ancienne que les premiers développements de la mécanique céleste basés sur la théorie de la gravitation de Newton (voir notre article ci-dessous). Ces développements et cette interrogation ont été particulièrement marqués par les travaux des mathématiciensmathématiciens français, de d'Alembert à Poincaré, en passant par Lagrange et Laplace.

    Le sujet a été renouvelé par les développements de la théorie du chaos rendus possibles par la montée en puissance des ordinateursordinateurs. Celle-ci a permis à l'astronomeastronome et mathématicien français Jacques Laskar, à l'Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides (Observatoire de Paris - PSL / CNRS / Sorbonne Université / Université de Lille) de montrer que les paramètres orbitaux des planètes du Système solaire exhibaient des effets chaotiques et qu'il était difficile de prévoir leurs évolutions du fait de ces effets. Il y a 10 ans, il avait confirmé cette découverte avec des collègues, en prenant en compte les effets de la théorie de la relativité générale d'EinsteinEinstein.


    Jacques Laskar sur l'histoire du problème de la stabilité du Système solaire. © Institut Henri Poincaré

    Le Système solaire et le chaos

    La théorie du chaos nous a fait comprendre que de petites différences dans les valeurs des paramètres initiaux (par exemple, positions et vitessesvitesses de particules) déterminant l'évolution d'un système dynamique, comme le climatclimat ou les planètes autour d'une étoileétoile, conduisaient parfois très rapidement à une évolution de ce système vers des états très différents. Cette sensibilité aux conditions initiales limite notre pouvoir de prédictions parce que nous ne pouvons pas avoir de déterminations infiniment précises de ces conditions, de sorte que les erreurs inévitables commises dans les calculs (qui ne peuvent pas, de toute façon, être infiniment précis avec les ordinateurs eux-mêmes) s'ajoutent et s'amplifient même exponentiellement. Cela conduit donc à des trajectoires futures qui peuvent être très divergentes.

    Pour cette raison, on pensait que l'état des planètes dans le Système solaire à plus de 60 millions d'années n'était pas prédictible ; cette conclusion est tout aussi valable pour une rétro-prédiction du passé, puisque les équationséquations de la mécanique sont invariantes par renversement du sens du temps et qu'elles permettent donc de calculer, en théorie, à partir de la connaissance du présent, aussi bien le passé que le futur en mécanique classique comme l'illustre le célèbre démon de Laplace.

    Mais aujourd'hui, des spécialistes en géosciences, comme le paléontologuepaléontologue Paul Olsen (professeur et chercheur à l'Observatoire de la Terre Lamont-Doherty de l'université ColumbiaColumbia) viennent de publier, avec Jacques Laskar, un article dans Proceedings of the National Academy of Sciences dans lequel ils annoncent avoir réussi, et ce, malgré le chaos qui multiplie par 10 les incertitudes tous les 10 millions d'années, à remonter de 200 millions d'années dans le passé du Système solaire.


    Que sont les cycles de Milankovitch ? Cette vidéo nous l'explique. © L'Esprit Sorcier Officiel

    La mémoire des cycles de Milankovitch

    Pour accomplir un tel exploit, l'idée décisive a été de se baser sur les fameux cycles de Milankovitchcycles de Milankovitch qui doivent leur existence à des modifications périodiques de l'excentricitéexcentricité de l'orbite de la Terre et de l'obliquitéobliquité de son axe de rotation. Ils ont été découverts, entre 1920 et 1941, par Milutin Milankovitch (mathématicien, géophysicien, astronome et climatologueclimatologue) ; ils sont la conséquence de l'attraction gravitationnelle des autres planètes du Système solaire, en particulier JupiterJupiter et SaturneSaturne, du fait de leurs massesmasses importantes, mais aussi VénusVénus ou Mars de par leur proximité. Comme excentricité et obliquité gouvernent l'insolationinsolation et les saisonssaisons sur Terre, ces modifications changent le climat et, au cours des derniers millions d'années, elles sont manifestement associées aux glaciationsglaciations, ce qu'ont montré, depuis les années 1970, les campagnes de forages géologiques ; ces dernières ont fourni des carottescarottes de roches sédimentairesroches sédimentaires où l'on a découvert que les sédimentssédiments enregistraient ces variations cycliques dans le climat de la Terre.

    Or, justement, Paul Olsen et ses collègues fouillent ces archives sédimentaires (bassin de Newark et plateau du Colorado) -- notamment celles provenant d'anciens lacs  -- et qui se sont déposées au moment de l'extinctionextinction du |442879320fc333293f55c4cdc45f6995|-JurassiqueJurassique, il y a environ 200 millions d'années. Des cycles de Milankovitch s'y distinguent impliquant l'excentricité de la Terre qui oscillait avec une période de 1,7 million d'années, contre une période de 2,4 millions d'années aujourd'hui.

    Ce résultat fait d'une pierre deux coups. D'une part, il confirme bien le caractère chaotique et changeant du Système solaire et d'autre part, il permet, par contrecoup, de poser des contraintes sur les paramètres orbitaux des autres planètes du Système solaire. Ce faisant, il ouvre une fenêtrefenêtre sur le passé du Système solaire au-delà de 60 millions d'années.

    En poursuivant l'étude des archives géologiques concernant les cycles de Milankovitch, notre connaissance du comportement reculé des planètes du Système solaire devrait s'affiner. En bonus, des contraintes sur des alternatives à la théorie de la gravitation d'Einstein peuvent être posées car ces théories conduisent à des divergences supplémentaires sur les prédictions en mécanique céleste.


    Quand le chaos détruira le système solaire...

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 13/06/2009

    Le système solaire est-il stable sur une longue période de temps ? Rien n'est moins sûr et cette lancinante question, au cœur de la mécanique céleste depuis Newton, vient de subir un nouveau rebondissement. La prise en compte de la relativité générale - c'est une première ! - indique qu'une collision entre la Terre, Vénus ou Mars n'est pas impossible.

    De Newton à Poincaré en passant par Laplace et Gauss, la question de la stabilité du système solaire n'a cessé de tracasser les mathématiciens spécialistes de la mécanique céleste. C'est par cette faille dans la forteresse des équations déterministes de la mécanique classique que la chaos est entré et a acquis ses lettres de noblesse.

    A la fin du dix-neuvième siècle, Poincaré avait même montré que trouver une solution analytique au simple problème du mouvementmouvement de trois corps sous l'action de leur champ de gravitation était impossible. On ne pouvait donc espérer démontrer par le calcul que jamais la Terre par le jeu des perturbations gravitationnelles des autres corps célestes ne finisse par entrer en collision avec le SoleilSoleil ou même à quitter le système solaire. La stabilité des orbites actuelles du système solaire tournant toutes dans le même sens, presque dans le même plan et selon des orbites peu excentriquesexcentriques bien qu'elliptiques était peut-être un phénomène transitoire à l'échelle des milliards d'années. Mais comment le savoir ?

    Le seul espoir d'avoir un élément de réponse consistait à faire intervenir des simulations sur ordinateur. Mais il a fallu attendre un saut dans leur puissance de calcul et des bonnes méthodes d'approximation pour découvrir avec les travaux de Jacques Laskar et ses collègues au début des années 1990 que le système solaire pouvait effectivement subir une évolution chaotique et que dans quelques dizaines de millions d'années des modifications importantes des orbites des planètes n'était pas à exclure.

    Ces conclusions viennent d'être renforcées aujourd'hui par de nouvelles études menées sur ordinateur et incluant cette fois les corrections post-newtoniennes des équations de relativité générale d'Einstein.

    L'influence d'une instabilité chaotique majeure sur l'orbite de MercureMercure, la moins massive et donc la plus sujette à des perturbations, dans le cadre de la mécanique céleste newtonienne, est confirmée dans le cadre de la théorie de la gravitation d'Einstein. La situation semble même pire !

    Un des scénarios catastrophe. L’excentricité de Mercure (en blanc) est devenue assez forte pour permettre une collision avec Vénus (en vert). La Terre (en bleu) est épargnée. © IMCCE (Observatoire de Paris/UPMC/INSU-CNRS)
    Un des scénarios catastrophe. L’excentricité de Mercure (en blanc) est devenue assez forte pour permettre une collision avec Vénus (en vert). La Terre (en bleu) est épargnée. © IMCCE (Observatoire de Paris/UPMC/INSU-CNRS)

    Sept millions d'heures de calcul pour écrire 2500 scénarios

    Jacques Laskar et Mickael Gastineau (Observatoire de Paris/UPMC/INSU-CNRS) ont réalisé une étude statistique afin d'estimer les chances de tel ou tel scénario d'évolution possible du système solaire. Comme, de toute manière, celui-ci doit être fortement perturbé par la transformation du Soleil en géante rougegéante rouge ils ont conduit plus de 2.500 simulations décrivant les futurs possibles du système solaire sur une période de cinq milliards d'années. Pendant quatre mois, sept millions d'heures de calcul ont été effectuées à l'aide de la nouvelle machine Jade du Centre Informatique National de l'Enseignement Supérieur.

    Dans la majorité des scénarios, les orbites se déforment peu sur plusieurs milliards d'années. Mais dans 1% des cas environ, l'excentricité de Mercure augmente considérablement, ce qui conduit à des risques élevés de collisions. Une saisissante vidéo montre comment cette évolution chaotique du système solaire interne peut conduire à des catastrophes.

    Lorsque l'orbite de Mercure voit son excentricité varier de façon non négligeable, généralement, le scénario conduit à une collision avec Vénus ou avec le Soleil d'ici à cinq milliards d'années, tandis que l'orbite de la Terre reste peu affectée.

    Toujours dans le cas de figure d'une forte excentricité de Mercure, l'un des scénarios conduit à ce qu'elle augmente encore jusqu'à provoquer, par effet de domino, une accentuation de l'excentricité de Mars puis une déstabilisation complète des planètes internes (Mercure, Vénus, Terre, Mars) dans 3,4 milliards d'années.

    Au final, 201 cas ont été répertoriés qui, hormis cinq exemples où l'on assiste à une éjection de Mars hors du système solaire, conduisent à des collisions entre les planètes ou entre une planète et le Soleil en moins de cent millions d'années après cette déstabilisation. Un cas aboutit à une collision entre Mercure et la Terre, 29 à une collision entre Mars et la Terre et 18 à une collision entre Vénus et la Terre...