Une des conséquences du réchauffement climatique est l'élévation du niveau de la mer. Mais quel est son rythme dans les différentes régions du globe ? Pour mieux le comprendre, une équipe l'a estimé en prenant comme point de départ l'année 1950. Les conclusions sont parlantes : depuis vingt ans, le niveau de la mer s’est élevé trois à quatre fois plus vite que la moyenne globale dans le Pacifique tropical Ouest, le nord de l’Atlantique et le sud de l’océan Indien.

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    Une équipe constituée de chercheurs issus du Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (Legos/OMP, UPS/CNRS/Cnes/IRD) et du laboratoire Littoral, environnement et sociétés (LIENSs, université La Rochelle/CNRS) a estimé l'évolution du niveau de la mer de 1950 à nos jours en tout point du Pacifique tropical Ouest. Ils ont ainsi pu mettre en évidence que certaines îles de la région avaient été particulièrement affectées, avec une hausse totale de ce niveau par rapport à leurs rivages quasiment trois fois supérieure à la hausse moyenne de l’océan mondial.

    Comme de nombreuses régions côtières continentales d'altitude peu élevée, les îles basses du Pacifique tropical et de l'océan Indien sont souvent considérées comme particulièrement vulnérables face au réchauffement climatique actuel et notamment à l'une de ses conséquences : l'élévation du niveau de la mer.

    La hausse moyenne globale du niveau de la mer est aujourd'hui bien comprise et attribuée au réchauffement des eaux océaniques (dilatationdilatation thermique) ainsi qu'aux apports d'eau à l'océan causées par la fontefonte des glaciers de montagne et la débâcle des glaces périphériques du Groenland et de l'Antarctique de l'Ouest. Elle est restée relativement modeste durant les dernières décennies (1,8 mm/an au cours du XXe siècle), même si elle s'est accélérée depuis le début des années 1990.

    La variabilité régionale de l'élévation du niveau de la mer

    Cependant, grâce à la surveillance permanente et globale du niveau de la mer depuis deux décennies par les satellites altimétriquessatellites altimétriques, on sait depuis peu que cette hausse est loin d'être uniforme : il existe en effet d'importantes disparités régionales. Depuis vingt ans, le niveau de la mer s'est ainsi élevé trois à quatre fois plus vite que la moyenne globale dans le Pacifique tropical Ouest, le nord de l'Atlantique et le sud de l'océan Indien. Cette variabilité régionale est liée au réchauffement non uniforme de l'océan et est pilotée par les grands modes de variabilité interne du système climatique, comme Enso (El NiñoEl Niño southernsouthern oscillation) dans le Pacifique tropical.

    Alors qu'en est-il exactement de la variation locale du niveau de la mer autour des îles basses du Pacifique tropical ? Plus précisément, qu'en est-il de la variation locale « apparente » du niveau de la mer, celle effectivement vue par les populations de ces îles et qui tient compte des mouvementsmouvements verticaux du sol ? D'autant que souvent ces îles subissent un enfoncement du sol dû notamment au pompage des eaux souterraines.

    Carte de la distribution géographique des vitesses de variation du niveau de la mer (1993-2007). © Legos, d'après Topex/Poseidon et Jason-1

    Carte de la distribution géographique des vitesses de variation du niveau de la mer (1993-2007). © Legos, d'après Topex/Poseidon et Jason-1

    L'élévation du niveau de la mer dans le Pacifique tropical Ouest

    Afin de clarifier cette question, des chercheurs du Legos et du LIENSs ont cherché à déterminer l'élévation apparente totale du niveau de la mer depuis 1950 dans la région du Pacifique tropical Ouest (20°S-15°N; 120°E à 135°W) qui englobe de nombreux archipels dont la Polynésie et les Tuvalus.

    Pour estimer la variabilité régionale du niveau de la mer dans le Pacifique tropical Ouest avant l'ère « altimétrique » (avant 1993), les chercheurs ont développé une méthode de reconstruction des variations du niveau de la mer de 1950 à 2010 en combinant de longues séries marégraphiques de bonne qualité (1950 à 2010), les données d'altimétrie spatiale depuis 1993 et les sorties du modèle de circulation générale océanique Nemo (projet Drakkar) qui permet d'estimer les grandes oscillations de l'océan causées par les perturbations climatiques naturelles comme Enso. Cette reconstruction leur a permis de cartographier les vitessesvitesses de variation du niveau de la mer sur une période trois fois plus longue que la période altimétrique, ce qui est important car on admet aujourd'hui que la variabilité régionale du niveau de la mer vue par les satellites altimétriques ne permet de mettre en évidence pour l'instant que la variabilité interannuelle du niveau de la mer et pas de variabilité de plus basse fréquence.

    Les résultats obtenus ont permis de mettre effectivement en évidence une variabilité régionale « basse fréquence » du niveau de la mer pour la période 1950-2010 dont la distribution géographique est très différente de celle mesurée sur la période altimétrique.

    Ils révèlent en particulier une zone de plusieurs milliers de kilomètres d'extension centrée sur l'archipel des Tuvalus, où la vitesse d'élévation du niveau de la mer a été en moyenne de presque 5 mm/an entre 1950 et 2010.

    Réchauffement climatique : une menace pour les îles

    Si l'on ajoute à cette élévation le mouvement vertical du sol mesuré par GPS pour certaines îles, on peut alors estimer l'élévation apparente de la mer. Ainsi, à Funafuti, capitale de l'archipel des Tuvalu, la hausse totale apparente a dépassé 5 mm/an depuis 1950, soit plus de trois fois la hausse moyenne globale durant la même période (de 1.8 mm/an entre 1950 et 2010). Sur ces soixante dernières années, cet atollatoll dont l'altitude ne dépasse pas 5 m a donc vu la mer s'élever de 30 cm. À Tahiti, la hausse totale apparente a atteint 3,3 mm/an depuis 1950, soit presque le double de la hausse globale.

    Même si de tels taux d'élévation du niveau de la mer n'ont pas systématiquement provoqué d'érosion du littoral, ils peuvent s'avérer critiques lors d'événements météorologiques extrêmes. Avec la poursuite attendue de la hausse globale de la mer au cours des prochaines décennies, la superposition de tous ces phénomènes accroîtra sans nul doute la vulnérabilité de ces régions, en particulier de leurs atolls.

    Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet ANR « Cecile » dédié à l'étude des impacts côtiers de la hausse du niveau de la mer, en partenariat avec le BRGMBRGM et le CNRM.