Depuis quelque temps, les politiques, essentiellement, semblent vouloir attribuer aux arbres un rôle bien précis dans notre avenir climatique : absorber toujours plus de CO2. Mais des chercheurs nous apprennent aujourd’hui qu’ils pourraient faire un peu plus encore.


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    Pour limiter le réchauffement climatique, il faut, entre autres, planter des arbres. Et leur laisser le soin de capter le CO2 que nous continuerons d'émettre dans notre atmosphère. C'est devenu le gimmick d'un certain nombre de personnalités politiques. La science, elle, nous apprend que, comme souvent, les choses sont un peu plus complexes. Et des chercheurs, même, s'intéressent à un tout autre impact que les arbres pourraient avoir sur notre climat. Une collaboration internationale de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CernCern, Suisse) baptisée Cloud - pour Cosmics Leaving Outdoor Droplets - vient de faire une découverte importante publiée dans la revue Science Advances.

    Les chercheurs ont ainsi identifié une classe de moléculesmolécules de la famille des terpènesterpènes, les sesquiterpènes (C15H24), comme un facteur majeur dans la formation des nuages. Or ces sesquiterpènes sont libérés par les arbres et les plantes.

    Les sesquiterpènes sont des composés actifs des huiles essentielles de plantes. Ils sont ceux qui donnent leur odeur caractéristique à nos promenades dans les bois ou à l’herbe que l’on coupe. © Christoph Walter, Adobe Stock
    Les sesquiterpènes sont des composés actifs des huiles essentielles de plantes. Ils sont ceux qui donnent leur odeur caractéristique à nos promenades dans les bois ou à l’herbe que l’on coupe. © Christoph Walter, Adobe Stock

    Un lien entre les arbres et les nuages

    Pour comprendre, rappelons que, pour former des nuages, les gouttelettes de vapeur d’eau ont besoin de sortes de supports sur lesquels se condenser. Des aérosolsaérosols, solidessolides ou liquidesliquides, de pas plus de 10 micromètresmicromètres de diamètre. Du sablesable du désertdésert ou du sel de mer, par exemple. Mais la moitié des supports de condensationcondensation se construisent à partir de minuscules molécules de gazgaz qui se combinent. Des molécules de dioxyde de soufre issues de la combustioncombustion du charboncharbon et du pétrolepétrole, notamment. En encore, des sesquiterpènes émis par les arbres.

    Les législations environnementales ont fait baisser les concentrations en dioxyde de soufresoufre. Et cela va continuer. Les émissionsémissions de sesquiterpènes, en revanche, sont en augmentation. Parce qu'un arbre stressé -- par des températures qui grimpent ou par la sécheressesécheresse -- en émet plus qu'un arbre qui évolue dans de bonnes conditions. Alors pour proposer des prévisions climatiques exactes, les chercheurs devaient savoir lequel de ces phénomènes doit dominer à l'avenir. Menant à la formation de moins ou de plus de nuages. Sachant que lorsque la couverture nuageuse augmente, davantage de rayonnements solaires sont renvoyés vers l'espace. Ce qui a le don de rafraîchir la TerreTerre.

    Une découverte concernant les arbres qui devrait améliorer les modèles climatiques

    Jusqu'ici, les sesquiterpènes étaient peu étudiés, parce que moins abondants que d'autres substances -- elles aussi émises naturellement par les plantes. Chaque année, environ 495 millions de tonnes d'isoprèneisoprène sont ainsi rejetées dans l'atmosphère contre seulement 24 millions de tonnes de sesquiterpènes. Mais les chercheurs de la collaboration Cloud viennent de découvrir qu'à concentration identique, ces derniers formeraient dix fois plus de particules impliquées dans la formation des nuages. Une découverte faîte grâce à une chambre climatique de 30 mètres cubes unique dans laquelle ils ont pu simuler différentes conditions atmosphériques.

    Les chercheurs estiment que l'efficacité des sesquiterpènes à former des particules qui peuvent devenir des supports de condensation pour les nuages pourrait être due au nombre d'atomesatomes de carbonecarbone que contient la molécule. Là où un terpène ne contient que cinq atomes de carbone, un sesquiterpène en contient quinze !

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    Climat : selon le Cern, les arbres influent sur la formation des nuages

    Comme le montraient en 2016 les résultats de l'expérience Cloud, au Cern, les arbres seraient bien plus doués que nous le pensions pour fabriquer des nuages et rafraîchir le climat. Leur action passe par les aérosols.

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco paru le 16/102016

    Une vue de l'expérience Cloud avec sa chambre de 3 m de diamètre en acier inoxydable, contenant de l'air humidifié ultrapur et des traces de gaz choisis. Elle est placée sur la trajectoire d'un faisceau de pions chargés qui simule les rayons cosmiques ionisants. © Cern
    Une vue de l'expérience Cloud avec sa chambre de 3 m de diamètre en acier inoxydable, contenant de l'air humidifié ultrapur et des traces de gaz choisis. Elle est placée sur la trajectoire d'un faisceau de pions chargés qui simule les rayons cosmiques ionisants. © Cern

    Depuis 2009, l'expérience Cloud, installée au Cern, à Genève, simule différentes conditions de pressionpression et de températures pour étudier des mécanismes à l'œuvre dans l'atmosphère terrestre, et notamment l'effet des aérosols sur le climat. Ces petites particules agissent comme des « graines de nuages », en favorisant la condensation de la vapeur d'eau en gouttelettes et donc la formation de nébulosités. Globalement, l'effet sur le climat est rafraîchissant car une partie de la lumièrelumière solaire est alors réfléchie vers le haut.

    Pour moitié, ces aérosols sont des poussières venues des terres et des sels marins émis par l'océan et, pour l'autre moitié, de molécules de gaz qui s'agrègent en particules de 50 à 100 nanomètresnanomètres. C'est le cas de l'acide sulfuriqueacide sulfurique, dérivé du dioxyde de soufre (SO2). Aujourd'hui, ce gaz est produit avec une grande générosité par les activités industrielles. Ces aérosols d'origine humaine, en créant davantage de nuages, ont un effet refroidissant, qui réduit l'effet réchauffant du dioxyde de carbonedioxyde de carbone (CO2). C'est un forçage radiatif. Les arbres sont aussi des acteurs de cette machinerie, avec des molécules, comme la pinène, lâchées dans l'airair et jouent aussi le rôle de noyaux de condensation.

    Les quantités actuelles d'émissions de dioxyde de soufre compliquent l'étude de l'atmosphère préindustrielle, qui était différente. C'est ce qu'a fait une équipe de Cloud, qui s'est basée sur les résultats de cette expérience pour bâtir une simulation de l'atmosphère préindustrielle. Leurs conclusions, publiées dans les Pnas (et discutées dans un article de The conversation), précisent les études antérieures, présentées dans notre précédent article, ci-dessous.

    Selon ces résultats (encore incertains, précisent les auteurs), les quantités d'aérosols présents dans l'atmosphère terrestre avant 1750 ont jusque-là été sous-estimées, car les aérosols émis par les arbres sont bien plus efficaces que ce l'on pensait pour fabriquer des nuages. En conséquence, l'effet refroidissant des aérosols d'origine industrielle serait plus faible que prévu, d'environ 27 %.

    Les auteurs en déduisent aussi que limiter les émissions d'aérosols par les activités humaines pourrait réduire leur action rafraîchissante. Mais ce recul pourrait être compensé par l'action des arbres, qui ne demandent qu'à retrouver l'importance qu'ils avaient à l'ère préindustrielle. En somme, les forêts sont capables de nous aider à limiter le réchauffement climatique...

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    Article initial paru le 30/05/2014 à 10:29

    La Terre est un système dynamique avec des couplages et des boucles de rétroactionsboucles de rétroactions complexes entre atmosphère, hydrosphèrehydrosphère, biosphèrebiosphère et même l'intérieur du globe. Les membres de l'expérience Cloud au Cern viennent de l'illustrer à nouveau en montrant que la formation des nuages peut être reliée à des émissions de vapeurs par les arbres. Le climat de la planète est donc influencé par sa couverture forestière.

    Au Cern, on ne fait pas qu'étudier les noyaux exotiques et le boson de Higgsboson de Higgs ou encore chasser les particules de matière noirematière noire avec l'expérience Osqar (Optical Search of QEDQED vacuum magnetic birefringence, AxionAxion and photonphoton Regeneration). Les chercheurs y tentent également de mieux comprendre la physiquephysique de la formation des nuages avec l'expérience Cloud (Cosmics Leaving Outdoor Droplets). Cette chambre à brouillardbrouillard (couplée à une chambre de réaction), alimentée par le Synchrotron à protonsprotons (PS) du Cern, est utilisée pour étudier un lien possible entre les rayons cosmiquesrayons cosmiques galactiques et la formation des nuages. Les conditions de température et de pression de n'importe quel endroit de l'atmosphère sur Terre peuvent y être recréées et il est possible aussi de moduler l'intensité des faisceaux de particules reproduisant l'effet des rayons cosmiques sur la nucléationnucléation des gouttes d'eau.

    Cet instrument permet ainsi d'étudier notamment la formation des aérosols qui peuvent servir de noyaux de condensation et donc leur influence sur la formation des nuages. Comme ces derniers modifient les transferts radiatifs dans l'atmosphère, ce genre d'expérience peut faire la lumière sur des phénomènes mal compris jouant un rôle plus ou moins important dans l'évolution du climat de notre planète.

    Le chêne de Tronjoly, à Bulat-Pestivien en France, est âgé d'environ 1.700 ans. Il semble qu'en émettant une molécule appelé alpha-pinène, largement répandue parmi les végétaux terrestres, les arbres des forêts influent sur la formation des nuages. © Michel Lefranq, Wikipédia, cc by-sa-3.0
    Le chêne de Tronjoly, à Bulat-Pestivien en France, est âgé d'environ 1.700 ans. Il semble qu'en émettant une molécule appelé alpha-pinène, largement répandue parmi les végétaux terrestres, les arbres des forêts influent sur la formation des nuages. © Michel Lefranq, Wikipédia, cc by-sa-3.0

    Acide sulfurique et alpha-pinène : une recette pour les nuages

    Récemment les membres de la collaboration Cloud ont publié dans Science un article concernant l'impact de certains aérosols émis pas les arbres des forêts sur la formation des nuages. Selon le porteporte-parole de Cloud, Jasper Kirkby, « c'est un résultat très important, car il identifie un ingrédient clé responsable de la formation de nouvelles particules d'aérosol dans une grande partie de l'atmosphère. Or les aérosols, avec leur influence sur les nuages, ont été reconnus par le GiecGiec comme la plus grande source d'incertitude dans les modèles climatiquesmodèles climatiques actuels ».

    Les membres de Cloud, qui compte parmi ses membres des physiciensphysiciens de l'atmosphère, des physiciens du SoleilSoleil, ainsi que des physiciens des rayons cosmiques et des particules provenant de 18 instituts de 9 pays, ont découvert que les vapeurs biogènes émises par les arbres peuvent se combiner, au terme de réactions d'oxydationoxydation dans l'atmosphère, avec l'acide sulfurique qu'elle contient.

    Résultant de cette combinaison, apparaissent des particules atmosphériques dont le taux de formation augmente fortement sous l'action des rayons cosmiques galactiques mais seulement quand les concentrations d'acide sulfurique et de vapeurs biogènes oxydées sont relativement faibles. Ces particules favorisent à leur tour la nucléation des gouttes d’eau et donc la formation des nuages. L'inclusion de ce mécanisme dans un modèle global de formation photochimique des aérosols semble permettre de reproduire des variations saisonnières observées. La concentration des aérosols augmenterait ainsi, expliquent les auteurs, en réponse à l'augmentation globale des émissions biologiques des forêts durant l'été septentrional.