Les abeilles japonaises ont une arme redoutable contre les frelons géants japonais. Elles les font littéralement cuire en s’agglutinant dessus. Une cartographie des zones du cerveau impliquées dans ce comportement révèlent que les abeilles savent chauffer l’intrus à point sans pour autant se brûler grâce à des neurones du corps pédonculé.  

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    Le frelon géant japonais peut atteindre une taille de 4 cm de long pour une envergure de 6 cm. © Kenpei, Wikimedia Commons, GFDL

    Le frelon géant japonais peut atteindre une taille de 4 cm de long pour une envergure de 6 cm. © Kenpei, Wikimedia Commons, GFDL

    Les frelons sont de puissants prédateurs se nourrissant d'abeilles, de guêpes ou de mouches. L'arrivée du frelon asiatique Vespa velutina en Europe constitue un véritable fléau. Cette invasion serait partiellement responsable de la disparition de nos pollinisatrices, Apis mellifera ligustica, qui ne sont pas adaptées pour lutter contre cette nouvelle menace.

    Heureusement, certaines espèces d'hyménoptère ont développé des comportements antiprédateurs efficaces. Les abeilles japonaises, Apis cerana japonica, sont incapables de percer avec leur dard l'armure des frelons japonais géants, Vespa mandarinia japonica. Mais elles ont trouvé une autre solution. Lors de l'attaque d'un frelon, elles s'agglutinent sur lui, l'enfermant dans une boule composée d'environ 500 individus. Elles font ensuite vibrer leurs muscles alairesalaires afin d'accroître la température de la boule jusqu'à 45 °C. Les frelons sont littéralement cuits sur place en 30 à 60 minutes.

    Des chercheurs japonais menés par Takeo Kubo, de l'université de Tokyo, ont cartographié les zones du cerveaucerveau en activité lors de ce comportement de défense en mettant en évidence l'expression d'un gènegène particulier. De l'activité neuronale a été détectée à l'intérieur du corps pédonculé, une zone traitant les informations sensorielles, ainsi que dans une petite région comprise entre le lobe dorsaldorsal et le lobe optique. Cette activité serait stimulée par la température de la boule. Ces résultats ont été publiés dans la revue Plos One.

    Un frelon attaché par un lien (A) a été introduit dans une ruche. Les abeilles ont alors formé une boule autour de lui (B). En tirant sur le fil, les scientifiques ont pu récupérer cette structure (C) pour prélever des spécimens à analyser. Le frelon est mort en 60 minutes (D). © Ugajin <em>et al.</em> 2012, <em>Plos One</em>

    Un frelon attaché par un lien (A) a été introduit dans une ruche. Les abeilles ont alors formé une boule autour de lui (B). En tirant sur le fil, les scientifiques ont pu récupérer cette structure (C) pour prélever des spécimens à analyser. Le frelon est mort en 60 minutes (D). © Ugajin et al. 2012, Plos One

    L’abeille européenne utilisée comme modèle

    En 2007, des chercheurs ont montré qu'un gène immédiat précoce (IEG pour Immediate Early Gene) nommé Kakusei était exprimé par des neuronesneurones stimulés chez l'abeille européenne. La lecture de ce gène produit des séquences d'ARNARN nucléaire non codantes (qui ne conduisent pas à la synthèse de protéinesprotéines). L'activation du neurone provoque une transcriptiontranscription rapide et éphémère, avec un pic survenant 15 minutes après la stimulationstimulation. La mise en évidence de l'activité de ce gène permet donc d'étudier des zones cérébrales actives dans un contexte expérimental précis.

    Problème : Kakusei n'existe pas chez l'abeille japonaise ! Les scientifiques ont identifié néanmoins un gène homologue, nommé Acks, dont la séquence en bases nucléotidiques présente 85 % de similitude avec Kakusei. Des tests ont alors montré qu'ils se comportent tous deux de manière identique au sein du cerveau, à une différence près : l'activité maximale d'Acks est atteinte 30 minutes après la stimulation.

    Pour cartographier l'activité cérébrale, la formation d'une boule de défense a été provoquée par l'intrusion dans une ruche d'un frelon tenu par un fil, qui a servi à extraire ensuite l'amas d'abeilles. Des Apis ont été échantillonnées lors de la formation de la sphère, puis 30 et 60 minutes après et la présence du gène Acks a ensuite été recherchée dans les neurones.

    Anatomie du cerveau de l'abeille. Les cellules de Kenyon font partie du corps pédonculé. © Société centrale d'apiculture

    Anatomie du cerveau de l'abeille. Les cellules de Kenyon font partie du corps pédonculé. © Société centrale d'apiculture

    La température de la boule est sous contrôle

    L'activité d'Acks a été détectée au sein du corps pédonculé (à l'intérieur des cellules de Kenyon, ou globuleuses, de type 2) et dans une zone comprise entre les lobes dorsaux et optiques. On sait que ces régions sont utilisées pour le traitement d'informations sensorielles.

    Pour comprendre le facteur stimulant l'activité neuronale, des abeilles seules ont été exposées à une température de 47 °C ou à des phéromones impliquées dans une communication chimique. L'activité du gène Acks est similaire à la situation observée chez des abeilles attaquant le frelon pour les spécimens soumis à la chaleurchaleur. L'information traitée par le cerveau est donc bien la température de la boule. L'ablationablation des antennes n'a pas fondamentalement changé les résultats. Ces organes ne sont donc pas les seuls à percevoir la température extérieure. 

    Les auteurs avancent deux hypothèses. La plus probable est la suivante : le corps pédonculé analyserait la température de la boule et permettrait ainsi aux abeilles de réguler la vitessevitesse de contraction de leurs muscles. Elles n'ont en effet qu'une fine marge d'erreur (3 à 5 °C) avant d'être également affectées par la chaleur au risque de mourir. S'il fait trop chaud, l'activité musculaire est réduite. Seconde hypothèse : Acks interviendrait dans un mécanisme de protection du cerveau contre la chaleur. Mais alors, pourquoi n'est-il pas exprimé dans tout le cerveau ? De nouvelles études vont voir le jour pour confirmer ces premiers résultats.