L’un des pionniers du modèle des interactions faibles entre quarks et leptons vient de décéder. Il s’agissait de l’Italien Nicola Cabibbo dont plusieurs pensaient qu’il aurait dû avoir le prix Nobel de physique en 2008, avec Makoto Kobayashi et Toshihide Maskawa.

au sommaire


    Nicola Cabibbo (1935-2010). Crédit : ICTP

    Nicola Cabibbo (1935-2010). Crédit : ICTP

    Etrange destin que celui de Nicola Cabbibo qui, venant juste de recevoir la Médaille Dirac (considérée comme un substitut, voire un prélude, du prix Nobel de physique), vient de décéder à l'âge de 75 ans le lundi 16 août 2010 à Rome.

    Au moment où Gell-Mann, Ne'emann et Zweig découvrent la théorie des quarks en 1963, Cabibbo comprend que les désintégrations de certains hadrons, du fait de la force nucléaire faibleforce nucléaire faible, sont problématiques. Pour résoudre ce problème, et remarquant que certaines de ces désintégrations donnent des leptons identiques comme le muon et le neutrinoneutrino, il introduit une matrice, similaire à celle décrivant des rotations, connectant les désintégrations de ces hadrons.

    Un kaon négatif, K<sup>-</sup>, peut se désintégrer en un muon et un antineutrino. On sait maintenant que ce processus est possible parce que la conversion d'un des quarks le composant en un autre s'accompagne de l'émission d'un boson W<sup>-</sup>. Ici, un antiquark <em>up </em>s'annihile avec un quark étrange, <em>s</em>, en donnant ce boson. Instable, lui-même se désintègre en muon négatif et antineutrino. Crédit : Stephen D. Ellis
    Un kaon négatif, K-, peut se désintégrer en un muon et un antineutrino. On sait maintenant que ce processus est possible parce que la conversion d'un des quarks le composant en un autre s'accompagne de l'émission d'un boson W-. Ici, un antiquark up s'annihile avec un quark étrange, s, en donnant ce boson. Instable, lui-même se désintègre en muon négatif et antineutrino. Crédit : Stephen D. Ellis
    Un pion positif peut lui aussi se désintégrer en muon et neutrino du fait de la force nucléaire faible. Crédit : JabberWok
    Un pion positif peut lui aussi se désintégrer en muon et neutrino du fait de la force nucléaire faible. Crédit : JabberWok

    Ce résultat va se révéler important pour soutenir l'idée qu'il existe bien une force universelle nouvelle, la force nucléaire faible, et pour accréditer la structure en quark des hadrons. De fait, les années 1960 verront la naissance du modèle électrofaible de Glashow-Salam-Weinberg, combinant la force électromagnétique à la force faible et reposant sur l'existence des quarks.

    Selon ce modèle, il existe l'équivalent des photonsphotons de l'électromagnétismeélectromagnétisme, des bosonsbosons W et Z , qui sont échangés entre les quarks et les leptons. La matrice de Cabibbo décrit alors des transitions possibles entre les 3 quarks postulés par la théorie de Gell-Mann, accompagnées de l'émissionémission de bosons W qui se désintègrent ensuite en leptons.

    Les cosinus et sinus de l'angle de Cabibbo sont présents dans la matrice qu'il a introduite. Les probabilités de transformation des quarks les uns dans les autres avec émission ou absorption, par exemple d'un boson W<sup>+ </sup>comme sur ces schémas, leur sont proportionnelles. Crédit : Ian C. Brock

    Les cosinus et sinus de l'angle de Cabibbo sont présents dans la matrice qu'il a introduite. Les probabilités de transformation des quarks les uns dans les autres avec émission ou absorption, par exemple d'un boson W+ comme sur ces schémas, leur sont proportionnelles. Crédit : Ian C. Brock

    Des années plus tard, afin d'incorporer les désintégrations violant la symétrie CP dans d'autres réactions avec les hadrons, Makoto Kobayashi et Toshihide Maskawa ont généralisé la matrice de Cabibbo en prédisant l'existence d'autres quarks. Il devenait nécessaire qu'il en existe au moins 6 dans la nature en fait.

    La matrice de Cabibbo-Kobayashi-Maskawa est une sorte de tableau donnant les probabilités de transition d'une saveur de quark en une autre. En colonne, on trouve les quarks &quot;d&quot;,&quot;s&quot;,&quot;b&quot; (de charge électrique -1/3) et en ligne les quarks &quot;u&quot;,&quot;c&quot;,&quot;t&quot; (de charge électrique +2/3). La taille des cercles bleus indique l'importance de la masse. Le quark <em>top</em> est ainsi bien plus massif que les quarks <em>up</em> ou <em>down.</em> La taille des carrés oranges indique, elle, l'importance de la probabilité de conversion d'un quark en un autre du fait de l'émission d'un boson W chargé. On voit ainsi que quarks <em>up</em> et <em>down </em>peuvent facilement se transformer l'un dans l'autre<em>. </em>Crédit : David Kirkby

    La matrice de Cabibbo-Kobayashi-Maskawa est une sorte de tableau donnant les probabilités de transition d'une saveur de quark en une autre. En colonne, on trouve les quarks "d","s","b" (de charge électrique -1/3) et en ligne les quarks "u","c","t" (de charge électrique +2/3). La taille des cercles bleus indique l'importance de la masse. Le quark top est ainsi bien plus massif que les quarks up ou down. La taille des carrés oranges indique, elle, l'importance de la probabilité de conversion d'un quark en un autre du fait de l'émission d'un boson W chargé. On voit ainsi que quarks up et down peuvent facilement se transformer l'un dans l'autreCrédit : David Kirkby

    On comprend l'amertume que Cabibbo a éprouvée en 2008, selon ses proches, lorsque le prix Nobel de physique fut attribué à Makoto Kobayashi et Toshihide Maskawa, précisément pour la découverte de ce qui est appelé la matrice de Cabibbo-Kobayashi-Maskawa.

    Cette amertume a dû être quelque peu adoucie par la médaille Dirac qui lui a été attribuée le 8 août 2010, mais le destin a voulu qu'il n'en profite guère plus d'une semaine...