En utilisant les quasars, un géophysicien américain pense avoir réussi la première mesure du champ magnétique moyen régnant dans la partie liquide du noyau de la Terre. Son intensité renseigne sur les sources d’énergies qui soutiennent la géodynamo depuis des milliards d’années.


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    Une coupe de l'intérieur de la Terre montrant le mouvement de précession de sa graine. Il existe aussi un mouvement de nutation. © Nasa

    Une coupe de l'intérieur de la Terre montrant le mouvement de précession de sa graine. Il existe aussi un mouvement de nutation. © Nasa

    L'origine du champ magnétique de la Terre intrigue les scientifiques depuis des siècles. Les premières réflexions scientifiques sérieuses à son sujet datent des travaux de William Gilbert et Carl Friedrich Gauss. Ce n'est cependant que vers le milieu du XXe siècle que l'on a commencé à bien comprendre ce qui se passait à travers les calculs théoriques de Walter Elsasser, Eugene Parker, Stanislaw Braginsky et Sir Edward « Teddy » Crisp Bullard. La théorie de la dynamo autoentretenue, construite par ces pionniers, est aujourd'hui largement acceptée. Elle a été testée en laboratoire avec l'expérience VKS qui reproduit bien les inversions du champ magnétique de la Terre, découvertes par Brunhes.

    Une des grandes questions est celle des sources d'énergies dans le noyau de la Terrenoyau de la Terre qui entretiennent le champ magnétique. En effet, la géodynamo fait intervenir des mouvements convectifsmouvements convectifs turbulents dans la partie liquide du noyau au-dessus de la graine solide. La rotation de la Terre intervient aussi, comme il était évident du temps de Gilbert lui-même puisque le champ magnétique de la Terre a une composante principale dipolaire, équivalente à une gigantesque barre aimantée presque alignée avec l'axe de rotation de la Terre. 

    Sans ces mouvements turbulents, le champ magnétique de la Terre se dissiperait en 10.000 ans environ. À l'origine, il a très probablement été hérité du champ magnétique régnant dans le disque protoplanétairedisque protoplanétaire, qui aurait servi d'amorce pour des courants électriquescourants électriques dans l'alliagealliage liquide de ferfer et de nickelnickel convectif du jeune noyau de la Terre en rotation. Ces courants ont à leur tour généré un champ magnétique propre à la planète, rétroagissant sur leur production par induction.

    Tranche polie d'une météorite de fer, qui a été traitée avec de l'acide pour faire apparaître la structure de Widmanstatten caractéristique. Le noyau de la Terre doit être composé d'un alliage Fe-Ni similaire. © <em>Smithsonian Institution</em>.
    Tranche polie d'une météorite de fer, qui a été traitée avec de l'acide pour faire apparaître la structure de Widmanstatten caractéristique. Le noyau de la Terre doit être composé d'un alliage Fe-Ni similaire. © Smithsonian Institution.

    Quel budget pour les énergies du noyau ?

    Pour maintenir la convection dans le noyau, il faut des sources de chaleur. Il en existe trois principales. On compte tout d'abord la désintégration des éléments radioactifs comme un isotopeisotope du potassiumpotassium, l'uraniumuranium et le thoriumthorium. Il y a ensuite la chaleur résiduelle laissée par le processus d'accrétionaccrétion à l'origine de la Terre et la chute des éléments lourds ayant formé le noyau, convertissant l'énergie gravitationnelle en énergie thermiqueénergie thermique. Enfin, la croissance de la graine, par cristallisation de la partie supérieure du noyau et expulsion des éléments légers, libère de la chaleur latente.

    On ne connaissait pas la part exacte de ces sources de chaleur dans l'entretien du processus convectif, mais il était possible de les relier à l'intensité du champ moyen dans le noyau liquide... pourvu qu'on soit capable de le mesurer !

    Ainsi, un champ de cinq gauss, c'est-à-dire environ 10 fois plus fort que le champ magnétique moyen en surface, indiquerait que peu d'énergie est fournie par la désintégration radioactive. Le processus serait au contraire important si le champ mesuré était de 100 gauss.

    Pour poser des contraintes sur l'intensité du champ magnétique dans le noyau, le géophysicien Bruce A. Buffett de l'université de Berkeley a eu une brillante idée qu'il a mis en pratique et dont les résultats ont été publiés dans un article récent de Nature.

    Un couplage complexe entre champ magnétique et axes de rotations

    Tout d'abord, il faut savoir que la graine (la partie solide du noyau de la Terre), ne tourne pas exactement à la même vitessevitesse ni selon le même axe que la Terre elle-même. Il existe même un mouvement de précessionprécession de son axe de rotation autour de l'axe de la Terre. Or, tout comme l'influence gravitationnelle de la LuneLune influe sur les mouvements de l'axe de rotation de la Terre globale, il existe un effet similaire sur l'axe de rotation de la graine. Il en résulte qu'une partie du mouvement de l'axe de rotation globale de la Terre est influencée par celui de l'axe de la graine. Ainsi, si l'on mesure précisément ce mouvement, on en déduit celui de la graine. Comme il existe un couplage entre le champ magnétique dans le noyau et les mouvements de matièrematière liquide dans celui-ci, liés à l'axe de la graine, on peut déduire l'intensité moyenne du champ magnétique dans la partie liquide du noyau, à partir des mouvements de l'axe de la Terre globale.

    Buffett s'est servi des mesures précises de ces mouvements fournis par la connaissance de la localisation précise des quasars et il a ainsi pu remonter à cette intensité, trouvant une valeur moyenne de 25 gauss. Le champ magnétique est donc plutôt fort en moyenne dans le noyau, ce qui aide à poser des contraintes sur les sources d'énergies entretenant sa convection. Selon Buffett, il est probable que 60 % de cette énergie provienne de l'expulsion des éléments légers, comme le soufresoufre et l'oxygèneoxygène, lors de la cristallisation continue de la graine.