L'immense plaque de déchets flottant sur le Pacifique nord offre un environnement apparemment idéal pour un cousin de nos araignées d’eau douce : Halobates sericeus. La pollution géante par les microsplastiques, dont la quantité a été multipliée par 100 depuis 40 ans, se transforme-t-elle en un bienfait pour la nature ? Probablement pas. Une explosion démographique de cet insecte marin pourrait mettre à mal tout un écosystème.

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    Les insectes marins Halobates sericeus portent également le nom de patineurs des mers (sea skater), en référence aux mouvements qu'ils effectuent à la surface de l'eau. Seule leur reproduction nécessite un substrat solide. © Anthony Smith

    Les insectes marins Halobates sericeus portent également le nom de patineurs des mers (sea skater), en référence aux mouvements qu'ils effectuent à la surface de l'eau. Seule leur reproduction nécessite un substrat solide. © Anthony Smith

    La rencontre de quatre grands courants océaniques dans la Pacifique nord alimente une gigantesque gyre (appelée North Pacific Subtropical Gyre ou NPSG), tournant dans le sens des aiguilles d'une montre. D'une surface de 34 millions de km², elle abrite en son centre une zone calme. De nombreux déchets, principalement des microplastiques, y terminent leur dérive, emprisonnés pour très longtemps.

    Les chiffres caractérisant la « grande plaque d'ordures du Pacifique » sont impressionnants. Elle s'étendrait sur 3,43 millions de km² - cinq fois la surface de la France - avec une épaisseur maximale de 30 m et abriterait 3,5 millions de tonnes de plastiques. Certains scientifiques parlent déjà d'un septième continent, une expression un peu excessive puisqu'il n'est pas possible d'y poser le pied ni même de l'observer depuis le pont d'un bateau. Les microplastiques mesurent en effet moins de 5 mm de diamètre.

    Contre toute attente, ce nouvel environnement, situé entre Hawaï et la Californie, est propice à la vie. Il offre des substratssubstrats solidessolides au sein de zones qui en sont généralement dépourvues. Un cousin de nos araignées d'eau, Halobates sericeus, a visiblement su tirer profit de ce nouveau milieu, selon une étude publiée par Miriam Goldstein (université de Californie ; UCSD) dans Biology Letters. L'augmentation du nombre de particules flottantes, et donc de sites de ponte, serait responsable d'une véritable explosion démographique de la population de cet insecte marin. Mais est-ce une bonne nouvelle ?

    Les œufs d'<em>Halobates sericeus</em>, de couleur jaune, ont approximativement la taille d'un grain de riz. Ils peuvent être déposés seuls ou à deux sur un seul morceau de plastique. Chaque kilomètre carré de la grande plaque d'ordures du Pacifique contiendrait environ 750.000 fragments solides. © Miriam Goldstein, UCSD

    Les œufs d'Halobates sericeus, de couleur jaune, ont approximativement la taille d'un grain de riz. Ils peuvent être déposés seuls ou à deux sur un seul morceau de plastique. Chaque kilomètre carré de la grande plaque d'ordures du Pacifique contiendrait environ 750.000 fragments solides. © Miriam Goldstein, UCSD

    Insectes et microplastiques mettent à mal un écosystème 

    À première vue, la réponse serait positive. Les Halobates sericeus sont une source de nourriture pour de nombreux poissonspoissons, oiseaux et crabes (ces crustacéscrustacés se retrouvent également au milieu de l'océan en étant transportés sur divers débris végétaux). La multiplication des insectes en des lieux où les ressources alimentaires sont fortement limitées leur est donc profitable et pourrait à son tour favoriser leur développement démographique.

    Cependant, la réponse est plus mitigée lorsque les conséquences à long terme sont analysées. Les insectes sont également des prédateurs. Ils se nourrissent de planctonplancton, la base de la chaîne alimentairechaîne alimentaire, et d'œufs de poisson. L'explosion démographique de Halobates sericeus pourrait donc profondément, et toujours de manière hypothétique à ce jour, perturber l'ensemble de l'écosystème marin concerné en fragilisant sa base.

    Les chercheurs ont étudié la croissance de la population de Halobates sericeus en dénombrant les œufs collés sur des déchets récoltés dans les années 1970, 1980 et en 2010. Un lien fort a été trouvé entre la croissance de la population de l'insecte et l'augmentation de la surface occupée par les microplastiques et leur densité au sein de la colonne d'eau. Or, les valeurs de ces deux paramètres ont été multipliées par 100 depuis 1972 !   

    Cette étude fournit un éclairage nouveau sur la pollution de nos océans et démontre surtout à quel point le manque de connaissance se fait sentir. Les oiseaux ou les poissons ingérant les particules et mourant étouffés ne sont pas les seules victimes connues de cette source de pollution...