C'est une longue quête nécessitant la technologie pour réaliser une expérience délicate, et répondre à des questions que les physiciens se posaient dès les années 1950, qui vient d'aboutir au Cern avec Alpha-g (Antihydrogen Laser Physics Apparatus). Des atomes d'antimatière peuvent-ils léviter dans un champ de gravitation, attestant de l'existence de l'antigravité de la science-fiction ?

 


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    Il y a plusieurs années, les physiciensphysiciens du Cern ont commencé à travailler sur une expérience nommée Alpha-g (Antihydrogen Laser Physics Apparatus). La vidéo ci-dessous la présentait. Toute la question était de savoir comment se comportait l'antimatière lâchée en chute libre dans le champ de gravitation de la Terre. Certains espéraient qu'au lieu de tomber elle serait clairement repoussée par la matière de notre Planète.

    On aurait alors découvert un phénomène d'antigravité permettant, comme dans Star Trek, de propulser des vaisseaux spatiaux et de faire léviter des objets. Enfin, si matière et antimatière se repoussaient, peut-être cela expliquait-il pourquoi, alors que les lois de la physique connues impliquent qu'autant de matière que d'antimatière aurait dû être produite pendant le Big BangBig Bang, on n'observe que des galaxiesgalaxies faites de matière aussi loin que le regard des télescopestélescopes porteporte. Matière et antimatière s'étaient peut-être séparées en deux mondes distincts en se repoussant par antigravité.

    L'expérience Alpha est difficile, mais les chercheurs viennent enfin d'aboutir à son résultat. Pour faire durer le suspense, un petit détour historique.


    Une présentation de l’expérience Alpha déjà en cours de réalisation en 2018. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Cern

    Des physiciens concepteurs de générateurs antigravitationnels ?

    Dans un article qui n'a pas été publié de son vivant mais que l'on peut trouver sur arXiv ou dans l’ouvrage consacré à la poursuite d’une théorie quantique de la gravitation édité par son épouse et collègue, la mathématicienne et physicienne à l'origine de la mythique école des Houches, Cécile DeWitt-Morette, le grand physicien théoricien Bryce DeWitt rappelait une histoire qui lui était arrivée.

    En 1953, il avait gagné le premier prix de la célèbre Gravity Research Foundation, en conséquence de quoi en 1955 il avait reçu une lettre de la Glenn L. Martin Aircraft Company lui proposant de financer des recherches sur un dispositif d'antigravité. Il avait décliné l'offre, comprenant sans doute à ce moment-là déjà qu'il y avait très peu de chance que cela soit possible.

    Toutefois, il explique aussi qu'à cette époque, inspirée par ce que les physiciens groupés autour d'Oppenheimer avaient fait avec le projet Manhattan, l'Armée des États-Unis accordait des subventions à des physiciens travaillant dans le domaine de la relativité généralerelativité générale dans l'espoir qu'indirectement cela débouche aussi sur la découverte et la maîtrise de l'antigravité. Bryce DeWitt avait bénéficié de ces subventions ainsi que, et c'est encore moins connu, rien de moins que Peter HiggsPeter Higgs, le prix Nobel de physique à l'origine avec François Englert et Robert Brout du fameux boson BEH. Higgs raconte d’ailleurs dans sa conférence Nobel qu'il avait passé une année sabbatique en 1965 à l'Université de Chapel Hill, en Caroline du Nord, sur l'invitation de Bryce DeWitt en raison précisément de ses travaux sur la relativité générale et sa quantificationquantification.

    Il faut se rappeler que pendant les années 1950, Albert EinsteinEinstein poursuivait toujours avec son assistante Bruria Kaufman, une mathématicienne et physicienne née à New York dans une famille juive d'origine ukrainienne, une théorie unifiée de la gravitation et de l'électromagnétismeélectromagnétisme. On pouvait espérer qu'une généralisation de la théorie relativiste d'Einstein de la gravitation permettrait de faire des machines utilisant le champ électromagnétiquechamp électromagnétique pour annuler la gravitégravité.

    Protons et antiprotons se repoussent-ils par la force de gravité ?

    1955, c'est aussi l'époque où l'antiprotonantiproton est observé pour la première fois par Emilio Segrè et Owen Chamberlain au cours d'une expérience conduite avec le bevatron, un accélérateur de particules du laboratoire national Lawrence-Berkeley. Le positronpositron ayant été découvert en 1932, on pouvait désormais penser que de véritables atomesatomes d'antimatière pouvaient exister également. Or, quand l'antimatière a été découverte théoriquement par Paul DiracPaul Dirac à la fin des années 1920, ces particules semblaient posséder des énergiesénergies et donc des massesmasses négatives. Cela n'était guère satisfaisant pour plusieurs raisons, et aussi bien Dirac que Feynman avaient trouvé moyen de réinterpréter les particules d'antimatière comme des particules d'énergies positives.

    Et s'ils se trompaient ? On pouvait imaginer que tout comme il existe des charges électriques négatives et positives, une modification des équationséquations d'Einstein ou des effets quantiques encore inconnus pouvait peut-être faire en sorte qu'un équivalent de la loi de CoulombCoulomb en électrostatiqueélectrostatique, mais avec des masses positives et négatives, existait au moins sous la forme de la loi de NewtonNewton.

    En clair, une masse négative repousserait une masse positive, dès  lors, un dispositif contenant suffisamment d'antiprotons et d'antiélectrons, peut-être sous la forme d'anti-atomes, pourrait peut-être constituer une machine lévitant en exploitant l'antigravité.

    De fait, ce type de question se posait dans les années 1950-1960 au moment où des physiciens, comme Hermann Bondi, s'interrogeaient sur les effets à attendre de l'existence de masses négatives et des particules d'antimatière dans un champ de gravitation. Des positrons et des antiprotons allaient-ils tomber dans un champ de gravitation, comme les électronsélectrons et les protonsprotons, ou au contraire être repoussés par la matière normale ?

    Plusieurs physiciens ont répondu à l'époque par la négative à cette dernière éventualité en se basant sur des combinaisons d'arguments théoriques et expérimentaux. Gabriel Chardin et Giovanni Manfredi l'expliquent dans un article disponible sur arXiv, exposant trois principaux raisonnements que l'on doit à Philipp Morrison, Myron Good et Leonard Schiff (ce dernier est bien connu pour son traité de mécanique quantique et son implication dans le projet Gravity Probe B) de la fin des années 1950 au début des années 1960. Ces arguments semblaient impliquer des effets de violation du principe d’équivalence ou de la conservation de l'énergie que l'on n'observait pas.

    Alpha-g, une expérience cruciale pour l'antigravité ?

    Mais rien n'était véritablement solidement établi, de sorte que le mieux à faire était de faire des expériences vraiment précises avec des antiprotons ou des positrons tombant dans un champ de gravitation.

    Le problème, c'est que la force électrostatique est incomparablement plus forte que celle de la gravitation. Dans son célèbre cours de physique, Richard Feynman, prix Nobel en 1965, en introduction à la théorie de l’électromagnétisme, posait la question suivante : « Si vous vous teniez à distance de quelqu'un et que chacun de vous possédait un pour cent d'électrons de plus que de protons, la force répulsive serait incroyable. Comment ? Suffisante pour soulever l'Empire State Building ? Non ! Soulever le mont Everestmont Everest ? Non ! La répulsion suffirait à soulever un poids égal à celui de la terre entière ! ».

    La moindre présence de charge électrique dans une expérience de chute d'antimatière suffirait à la fausser en produisant même une infime force électrostatique. Il faudrait pour avoir une chance d'observer quelque chose disposer d'anti-atomes neutres. Ça tombe bien, depuis un moment déjà les physiciens du Cern sont passés maîtres non seulement pour fabriquer des antiprotons, mais aussi des anti-atomes d’hydrogène.


    Jeffrey Hangst, porte-parole de l'expérience Alpha-g nous parle du résultat concernant la chute libre de l'antimatière. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Cern

    Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps, voilà ce que déclare dans un communiqué accompagnant un article de Nature au sujet de l'expérience Alpha-g Joel Fajans, professeur de physique à l'UC Berkeley qui, avec son collègue Jonathan Wurtele, un théoricien, a proposé pour la première fois l'expérience de la chute libre d'atomes d'antihydrogène il y a plus de dix ans.

    En ce qui concerne donc le mouvementmouvement de ces atomes soumis à la gravité, « il accélère sûrement vers le bas, et à la précision d'environ un écart-type avec la valeur de l'accélération normale... Enfin de compte, rien n'est gratuit et nous ne pourrons pas léviter en utilisant de l'antimatière ».

    Ce qu'il faut retenir c'est que l'antimatière ne tombe peut-être pas exactement aussi vite que la matière mais elle tombe bien, au moins pour l'antihydrogène et très vraisemblablement aussi pour tout anti-atome. Peut-être existe-t-il un moyen de faire de l'antigravité avec une nouvelle force à découvrir mais clairement maintenant, pas avec de l'antimatière si l'expérience Alpha n'est pas biaisée.


    Jeffrey Hangst donne plus d’explications sur l’expérience Alpha-g. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Cern

     


    Le Cern sur la piste de l'antigravité grâce à Alpha et Aegis

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 06/05/2013

    L'expérience Alpha (Antihydrogen LaserLaser Physics Apparatus), bien que destinée à la mise en évidence d'éventuelles différences entre la matière et l'antimatière, n'avait pas pour but de découvrir l'existence de l'antigravité. Elle vient pourtant de servir à poser de nouvelles bornes sur son existence, qui reste à démontrer.

     

    Les équations de la relativité générale partagent certaines caractéristiques communes avec celles de l'électromagnétisme. Ce sont en effet des équations du même type que celles décrivant des champs de Yang-Millschamps de Yang-Mills. On pourrait alors penser qu'il doit exister l'équivalent des charges électriques négatives et positives, et donc des forces répulsives entre des particules de matière normale et d'autres de nature à déterminer. Des candidates viennent tout de suite à l'esprit : les particules d'antimatière. Par analogieanalogie avec la loi de Coulomb en électrostatique, on pourrait supposer aussi que l'existence d'une antigravité, donc des forces répulsives, entre des masses positives et des masses négatives.

    Toutefois, on a toutes les raisons de croire que les particules d'antimatière ont des masses positives. Le fameux théorèmethéorème CPT semble impliquer que ces particules devraient tomber dans un champ de gravitation, comme des particules de matière normales. Un atome d'antihydrogène devrait, de même, respecter le fameux principe d’équivalence.

    Une illustration pour comprendre l’idée de la quête de l'antigravité. À gauche, un atome d'hydrogène avec un électron (charge -) tournant autour d'un proton (charge +) pèse-t-il autant que l'atome d'antihydrogène, à droite, avec un positron (+) tournant autour d'un antiproton (-) ? © Cern
    Une illustration pour comprendre l’idée de la quête de l'antigravité. À gauche, un atome d'hydrogène avec un électron (charge -) tournant autour d'un proton (charge +) pèse-t-il autant que l'atome d'antihydrogène, à droite, avec un positron (+) tournant autour d'un antiproton (-) ? © Cern

    De l'antigravité en cosmologie ?

    Certains chercheurs se demandent, malgré tout, si les résultats expérimentaux et les arguments théoriques qui ont été avancés pour nier une éventuelle antigravité associée à l'antimatière, sont si convaincants que cela. Ils font remarquer que l'énigme de l'antimatière cosmologique implique que matière et antimatière ne se comportent pas vraiment de la même manière. Et si celles-ci avaient été obligées de se séparer au moment du Big Bang, du fait de forces de répulsion liées à de l'antigravité ?

    On expliquerait ainsi pourquoi on n'observe pas autant de matière que d'antimatière, cette dernière s'étant enfuie dans une région de l'espace hors de portée de nos instruments, au-delà des régions d'où nous sont parvenus les photonsphotons du rayonnement fossile, capturés par Planck.

    Pour en avoir le cœur net, il suffirait peut-être d'observer des différences de comportement dans le champ de gravitation de la Terre entre des atomes d'hydrogènehydrogène et d'antihydrogène. On piège de tels atomes depuis quelque temps au Cern dans le cadre de l'expérience Alpha (Antihydrogen Laser Physics Apparatus). Cependant, on cherche à détecter avec cette expérience des différences dans les spectresspectres de ces atomes. C'est plutôt avec l'expérience Aegis (Antihydrogen Experiment : Gravity, Interferometry, Spectroscopy), qui devrait débuter bientôt au Cern, que l'on détecterait l'existence éventuelle de l'antigravité.

    Atomes et antiatomes se repoussent-ils ?

    Cependant, comme l'explique une publication dans Nature Communications, les membres d'Alpha se sont rendu compte que les expériences, menées de 2010 à 2011 avec des atomes d'antihydrogène, permettent quand même d'obtenir de timides informations sur leur lien avec la gravitation. Lorsqu'ils quittent leur piège de Penning, ces antiatomes finissent par rencontrer les parois du dispositif en étant soumis à la gravitation. Ils s'annihilent alors avec la matière normale en produisant un flashflash de lumièrelumière. Connaissant leurs positions à une date donnée, on peut alors estimer la force de gravité s'exerçant sur eux, qu'elle les repousse ou au contraire les attire plus fortement.

    Ainsi, les chercheurs ont pu réaliser des mesures concernant le rapport entre la masse inerte (positive) et la masse gravitationnelle (l'équivalent de la charge électrique pour la gravitation) des atomes d'antihydrogène. Ce rapport doit être de 1 si l'on reste dans le cadre de la physique standard, mais il pourrait être supérieur à 1 en valeur absolue et surtout négatif, si une antigravité existe. Pour le moment on sait qu'il est compris entre -65 et +110, ce qui ne permet pas de conclure.

    Il n'en reste pas moins que l'on commence, enfin, à pouvoir réaliser des expériences susceptibles d'apporter des réponses au sujet de l'antigravité et ses rapports avec l'antimatière. Leur précision devrait augmenter dans les années à venir, et si la chance s'invite à la partie, qui sait ce qui sera découvert.