Après la dramatique révélation de la toxicité des algues vertes en décomposition en août 2009, l’Etat français semble prendre la juste mesure du problème, reconnaître ses responsabilités et évoque une nouvelle révolution agricole comme unique solution. Retour sur le problème empoisonnant des marées vertes.

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    Une des algues vertes qui prolifèrent en Bretagne : l'ulve, ou laitue de mer. © Peter Bondo Christensen

    Une des algues vertes qui prolifèrent en Bretagne : l'ulve, ou laitue de mer. © Peter Bondo Christensen

    Depuis une trentaine d'années certains littoraux, en particulier en Bretagne, souffrent de proliférations massives et saisonnières d'algues vertes. Appelées laitues de mer (Ulva armoricana et Ulva rotundata), elles se développent et s'accumulent dans les eaux jusqu'à créer de véritables marées vertes qui se déposent en tas verdâtres sur les plages vers juin-juillet. Avec leur décomposition, un gazgaz nauséabond, l'hydrogène sulfuréhydrogène sulfuré (H2S), s'échappe et embaume les rivages, au grand dam des riverains, des touristes et des collectivités.

    En situation normale, le développement des organismes aquatiques, comme les algues, est freiné par la limitation du milieu en éléments nutritifs. De ces éléments, appelés facteurs limitants, l'azoteazote est l'un des plus importants. Les activités humaines peuvent parfois créer un enrichissement local des eaux en provoquant un afflux de ces éléments nutritifs, qui ne sont alors plus limitants. C'est le phénomène d'eutrophisation, dont profitent les algues vertes. Un phénomène qui connaît une augmentation spectaculaire depuis la fin des années 1970.

    Dépôts d'<em>Ulva armoricana</em> après une marée verte. © Thesupermat CC by-sa

    Dépôts d'Ulva armoricana après une marée verte. © Thesupermat CC by-sa

    L’enfer vert

    Cette eutrophisation et cette accumulation de biomasse algale sur les plages ne sont pas sans conséquence, pour les riverains et les touristes d'abord, qui ne raffolent pas de cette bouillie verdâtre et pestilentielle et évitent donc de fréquenter les plages souillées. L'activité touristique boit alors la tasse et les collectivités doivent mettre en place de coûteuses opérations de ramassage.

    Lorsqu'elles se décomposent, les algues vertes dégagent une odeur d'oeufs pourris des plus désagréables. © Ludo29880 CC by-sa

    Lorsqu'elles se décomposent, les algues vertes dégagent une odeur d'oeufs pourris des plus désagréables. © Ludo29880 CC by-sa

    Avec 50.000 tonnes d'algues qui se déposent tous les ans, l'addition est salée pour les collectivités bretonnes. Selon l'association Eau et Rivières de Bretagne, elles ont dépensé un milliard d'euros en 30 ans ! Sans autre effet qu'une amélioration cosmétique et un déplacement du problème, car la mise en décharge de la plus grande partie de cette biomasse aggrave la pollution des nappes phréatiques.

    Pollution des eaux, le mot est lâché. Au-delà de la dégradation du cadre de vie et du coût économique, l'eutrophisation des eaux à d'autres impacts sur l'environnement. Dans l'eau potable, les nitrates peuvent déclencher des cyanosescyanoses si leur concentration dépasse une dose seuil. C'est pourquoi la législation française et les recommandations de l'Organisation Mondiale de la SantéOrganisation Mondiale de la Santé fixent le chiffre de 50 mg/l.

    Dans les eaux douces, ces nitrates perturbent les organismes et provoquent la prolifération d'algues et de cyanobactériescyanobactéries, ce qui affecte les populations des écosystèmesécosystèmes et donc leur biodiversitébiodiversité. Lors de leur décomposition, ces algues peuvent priver les eaux de leur oxygène, avec des conséquences dramatiques pour la faunefaune. Enfin, lorsque les algues qui prolifèrent sont toxiques, ce sont la flore, la faune, les exploitations aquacoles et parfois l'homme qui sont empoisonnés.

    Ça sent le soufre…

    Plus grave, depuis les drames de l’été 2009, la toxicité des émanations des algues en décomposition a été reconnue par le rapport de l'Ineris (Institut national de l'environnement industriel et des risques) sur la question. Les marées vertes deviennent donc un enjeu sanitaire pour les collectivités et pour l'Etat, responsables de la sécurité des citoyens. Or qui dit responsabilité, dit enjeu juridique.

    Après avoir été condamné en 2001 par le tribunal administratif de RennesRennes, suite à la plainte de la Lyonnaise des Eaux, en 2002 par la Cour de justice européenne et en 2007 après les plaintes d'associations, l'Etat reconnaît sa responsabilité, d'abord officieusement dans un rapport confidentiel du préfet des Côtes d'Armor (octobre 2009) puis officiellement en abandonnant son recours juridique le 3 novembre suivant.

    Mais d'où viennent ces nutrimentsnutriments plus si limitants que ça ? Une petite fraction, naturelle, vient du lessivagelessivage du continent par les pluies hivernales et printanières. C'est elle qui provoque les efflorescencesefflorescences algales printanières normales, d'ampleur limitée par rapport aux marées vertes. L'essentiel de ces nutriments, en particulier l'azote, provient des eaux uséeseaux usées urbaines et domestiques mal retraitées et, principalement, de l'agricultureagriculture.

    L’agriculture victime de son succès

    Il faut savoir que la Bretagne, grâce à l'agriculture intensive, abrite sur son sol 60% des élevages de porcs de France et 45% de ceux de volailles. Une telle concentration implique nécessairement la production d'une grande quantité d'effluents azotés (lisier). Pourquoi un tel système ? Parce qu'au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, la France n'était pas autosuffisante et souffrait de disettes. Une véritable révolution agricole, à l'échelon national et européen (la Politique Agricole CommunePolitique Agricole Commune), a corrigé cela. Grâce au productivisme et à la spécialisation des territoires, le rendement d'un hectare est passé de 15 quintaux de bléblé en 1950 à 65 en 2000.

    Le machinisme, les engrais ou encore l'élevage hors sol ont considérablement augmenter la production agricole. © Owacle, domaine public

    Le machinisme, les engrais ou encore l'élevage hors sol ont considérablement augmenter la production agricole. © Owacle, domaine public

    Hélas, cette machine de guerre agricole fonctionne trop bien. Après avoir dépassé ses objectifs (apparition de la surproduction dans les années 1970 et 1980), elle révèle son coût caché : la dégradation de l'environnement, comme c'est le cas en Bretagne. Depuis, la PAC s'efforce de corriger le tir mais l'inertieinertie du système est énorme et les algues vertes sont là pour le rappeler.

    Ramasser ou traiter à la racine ?

    Il semble qu'il y ait un changement depuis l'été 2009. Après la révélation du risque sanitaire, l'Etat s'est engagé à prendre en charge les frais de ramassage. Ces opérations nécessitent de former et d'équiper les employés pour éviter les risques d'intoxication. Il faut ensuite éliminer cette biomasse algale. Plusieurs procédés de valorisation sont employés ou projetés, comme le compostage, l'épandageépandage pour la fertilisation des sols, la transformation en biocarburants, en combustiblecombustible ou en matièrematière première (bioplastique) mais une grande part des algues est entreposée en décharge, avec tous les problèmes que cela impose (odeurs, pollution...).

    Les opération de ramassage des algues sont coûteuses pour les collectivités. © F. Lamiot CC by-sa

    Les opération de ramassage des algues sont coûteuses pour les collectivités. © F. Lamiot CC by-sa

    Cependant, l'aveu d'impuissance des services publics et la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat dernièrement (le 3 novembre 2009) ouvrent la voie à une gestion plus en amont, plus en profondeur du problème. D'après le préfet des Côtes d'Armor, « la mise en œuvre [des] mesures [actuelles] a permis, au mieux, de stabiliser les taux de nitrates présents dans les rivières, sans obtenir un résultat visible de diminution du phénomène des marées vertes ». Toujours selon ce préfet, « la diminution visible et notable de ce phénomène ne pourra passer que par un changement profond des pratiques agricoles sur les secteurs concernés ».

    En d'autres termes, il faudrait convertir l'agriculture actuelle, basée sur une production quantitative (élevages industriels hors sol), en une agriculture plus durable centrée sur la valeur ajoutée, apportée par la qualité gustative (AOC, label Rouge) ou environnementale (label Biolabel Bio). Cette démarche pourrait être rendue possible par un fort volontarisme politique, à la fois sur le volet réglementaire et sur les politiques de soutient d'une agriculture durable.

    Les causes et les solutions au problème des algues vertes et de la qualité des eaux en général reposent avant tout sur un choix de société, d'une société qui a évolué entre les années 1950 et aujourd'hui. Disposer de nourritures peu coûteuses et en quantité pour lutter contre la disette ou d'aliments plus chers mais de meilleure qualité et d'un environnement plus sain ? Tenter de concurrencer les importations étrangères sur le prix des produits d'entrée de gamme ou sur la qualité ?

    « Il s'agit de révolutionner [...] les pratiques agricoles et changer complètement le modèle économique existant », déclare le préfet des Côtes d'Armor. Sans ce changement, « le phénomène des algues vertes ne peut donc que perdurer », insiste-t-il.