De l'EPO et ses variantes aux stéroïdes, les produits dopants se multiplient au fil des découvertes scientifiques... mais les moyens de contrôle aussi. Derrière cette évolution des techniques, les principes de base restent cependant les mêmes. Voici quelques clés pour mieux les comprendre. Pour Michel Rieu, conseiller scientifique de l’Agence française de lutte contre le dopage, que nous avons interrogé, les contrôles doivent évoluer vers les effets indirects des dopants et vers l'arrivée de nouvelles méthodes, génétiques notamment.


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    © Viton/ Flickr - Licence Creative Common (by-nc-sa 2.0)

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    Dix ans après la malheureuse affaire Festina, qui a empoisonné le Tour de France 1998 et révélé au grand jour l'existence d'un dopagedopage organisé, le cyclisme, et le sport de haut niveau en général, restent toujours affectés par ces pratiques. Les contrôles se sont considérablement renforcés, essentiellement durant les compétitions et plus particulièrement dans le cyclisme. Mais le dopage des athlètes est toujours là et utilise désormais des moyens importants, sans cesse renouvelés et toujours au plus près des dernières découvertes scientifiques en matière de physiologie.

    La pharmacopée offre en effet un large catalogue de produits capables d'améliorer la performance sportive. Le médicament qui soigne un malade peut parfois doper le bien portant. Pour bien comprendre le défilement des actualités sur le sujet, un petit retour aux fondamentaux n'est pas inutile.

     © Joseph Robertson/ Flickr - Licence Creative Common (by-nc-sa 2.0)
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    Les dopants : quelques familles seulement

    Quatre propriétés sont recherchées par le sportif : augmenter la masse musculaire, améliorer l'oxygénation des cellules, réduire la douleurdouleur et stimuler l'activité cérébrale. Leurs utilisation, donc leurs dosagesdosages, varie selon les sports, selon qu'ils réclament plutôt de l'endurance physique, de la puissance durant un court délai ou de l'adresse. A ces quatre effets, on peut ajouter l'activation de la fonction diurétiquediurétique... pour effacer plus vite les traces dans le sang de produits interdits.

    On regroupe les dopants en plusieurs familles :

    • Les anabolisants : ils favorisent la croissance des muscles. Ce sont surtout les hormoneshormones stéroïdesstéroïdes masculines, c'est-à-dire les androgènesandrogènes, comme la testostéronetestostérone.
    • L'hormone LHLH : elle stimule la production de testostérone.
    • Les hormones de croissance : elles favorisent elles aussi la croissance des tissus musculaires.
    • Les bêtabêta 2 antagonistes : à haute dose, ils stimulent la croissance musculaire. Ils favorisent également la dilatationdilatation des bronchesbronches et augmentent le rythme cardiaque.
    • L'EPO, ou érythropoïétineérythropoïétine : cette hormone stimule la production de globules rougesglobules rouges par la moelle osseusemoelle osseuse.
    • Les narcotiquesnarcotiques (morphine et autres substances opiacées), amphétamines, hormone glucocorticostéroïde, cannabiscannabis... : antalgiquesantalgiques ou euphorisants, ils réduisent la sensation de fatigue ou améliorent la concentration.

    En vente partout

    A peu près tous ces produits ont un usage médical. Les hormones de croissance s'utilisent chez l'enfant, les bêta 2 antagonistes sont prescrites aux asthmatiques et les hormones traitent différentes déficiences. Ces dernières, de plus, sont produites par le corps. L'EPO, par exemple, régule en permanence la quantité de globules rouges circulant dans le sang (ce que l'on appelle l'hématocrite). C'est grâce à cette régulation que nous nous adaptons en quelques heures ou quelques jours à un changement d'altitude. L'érythropoïétine a aussi des utilisations thérapeutiques, par exemple pour compenser l'affaiblissement provoqué par une chimiothérapiechimiothérapie.

    Parce que la médecine les utilise, la prise de ces produits peut même se faire parfois au grand jour grâce aux fameuses AUT, autorisations à usage thérapeutique. Un sportif qui aurait des crises d'asthmecrises d'asthme, par exemple, a le droit de se faire prescrire des bêta 2 antagonistes.

    Surtout, ces molécules sont produites par de grands groupes pharmaceutiques, qui les améliorent en permanence. L'effet secondaire de ces progrès continuels est d'augmenter l'offre pour le dopage... et de compliquer la tâche des organismes de contrôle, comme nous l'explique un des meilleurs spécialistes français...

    © kreg.steppe/ Flickr - Licence Creative Common (by-nc-sa 2.0)
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    Michel Rieu répond aux questions de Futura-Sciences

    « 1,5 mort par jour sur les stades français »

    Conseiller scientifique de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), le professeur Michel Rieu nous détaille les pratiques cachées du millieu sportif.

    Futura-Sciences : Les produits dopants ont-ils beaucoup changé ?

    Michel Rieu : Sur le fond non. Il s'agit toujours de substances qui augmentent la masse musculaire et d'autres qui réduisent les temps nécessaires à la récupération. Tous permettent d'augmenter la charge de l'entraînement.

    FS : Le dopage est donc pratiqué en dehors des compétitions ?

    Michel Rieu : Hormis pour les compétitions de longue durée, comme le Tour de France, les produits dopants sont surtout utilisés durant l'entraînement.

    FS : On parle beaucoup de l'EPO. Comment peut-on en détecter toutes les variantes ?

    Michel Rieu : Il faut distinguer l'endogèneendogène de l'exogèneexogène. Aux débuts de l'utilisation de ce dopant, les molécules de synthèse se repéraient facilement. Mais il y a quelques années, deux laboratoires, dont Roche, ont mis au point une EPO recombinante, c'est-à-dire produite par des cellules en culture non humaine dans lesquelles on a introduit le gènegène de l'EPO humaine. Nous connaissons parfaitement ces molécules et nous savons les repérer. Mais les brevets sont tombés et d'autres laboratoires, depuis, fabriquent des génériques. Pour les médicaments courants, les génériques sont réalisés avec une molécule strictement identique. Mais l'EPO est une protéineprotéine et il existe toujours des petites différences d'une production à une autre. C'est ce que l'on appelle les EPO biosimilaires. Lorsqu'un test est effectué, le service de contrôle ne peut dénoncer le sportif que si l'on est en mesure de prouver l'origine de la molécule. Dans le cas contraire, l'argument ne tiendra pas durant la phase judiciaire.

    FS : Les familles de dopants évoluent-elles ?

    Michel Rieu : Pas vraiment. On retrouve toujours les mêmes familles. Mais il existe un potentiel nouveau issu de la thérapiethérapie génétiquegénétique. L'idée qu'elle puisse être utilisée un jour dans le sport n'est plus de la science-fiction. Dans des cellules musculairescellules musculaires en culture, Il est possible d'activer le gène de l'EPO (qui ne s'exprime ordinairement que dans les cellules du reinrein). On peut ensuite injecter ces cellules modifiées dans le corps. Des essais ont été faits chez le macaque par une équipe de l'Inserm pour traiter l'anémieanémie de l'insuffisant rénal. Tout ceci n'est pas encore au point et les moyens de contrôler cela existent sans doute. Une équipe française parvient à détecter cet EPO génétique.

    FS : Dans quelle voie fait-on progresser les moyens de contrôle ?

    Michel Rieu : Les méthodes à venir seront indirectes. L'idée est de chercher les effets physiologiques des produits dopants. C'est dans ce sens qu'a été lancé le passeport sanguin, qui sera bientôt adopté [un test sanguin effectué avant la compétition, qui n'a pas pu être mis en place pour le Tour de France 2008, comme prévu, NDLRNDLR]. Il faudra à l'avenir chercher des traces dans les profils protéomiques (l'ensemble des protéines), métabolomiques (l'activité enzymatiqueenzymatique) et transcriptomiques (la nature des ARN messagersARN messagers).

    FS : Sait-on quels sont les risques pour les sportifs ?

    Michel Rieu : On les connaît mal. Il faudrait étudier de près la morbiditémorbidité chez les sportifs, par sport, par décennie... Mais nous  ne parvenons pas à avoir accès à ces données. En France, nous nous sommes déjà intéressés aux morts subitesmorts subites du sportif, en 2007. Il y en a 40.000 en France dans la population. D'après nos estimations, il y en aurait 500 par an chez les sportifs. Cela fait 1,5 mort par jour sur les stades...