Il y aurait des milliards de superterres autour des naines rouges de la Voie lactée. Astrophysicien à l’institut de Planétologie et d’astrophysique de Grenoble, Xavier Delfosse avait répondu aux questions de Futura-Sciences dans un précédent article. Il nous explique plus en détail pourquoi lui et ses collègues sont aujourd'hui en mesure de l'affirmer.

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    Selon de récentes estimations réalisées par un groupe d'astronomesastronomes, notre galaxie compterait des milliards de superterres. L'astrophysicienastrophysicien Xavier Delfosse revient plus en détail pour Futura-Sciences sur cette découverte dans cette seconde partie de son interview.

    L'astrophysicien Xavier Delfosse. © Institut de Planétologie et d’astrophysique de Grenoble

    L'astrophysicien Xavier Delfosse. © Institut de Planétologie et d’astrophysique de Grenoble

    Futura-Sciences : Avec vos collègues, vous avez découvert deux superterres dans la zone d’habitabilité autour d’une naine rouge, Gliese 667C c orbitant autour d’une étoile faisant partie d'un système triple, et Gliese 581d. Cela est-il vraiment suffisant pour affirmer qu’il existe des milliards de superterres de ce genre dans la Voie lactée ?

    Xavier Delfosse : Cela peut paraître surprenant mais c'est pourtant vrai. D'abord, il faut savoir que la majorité des étoiles de la Galaxie sont des naines rouges dont la masse est inférieure à celle du Soleil. On estime qu'elles sont environ 160 milliards sur les 200 milliards d'étoiles dans la Voie lactéeVoie lactée. Nos observations avec Harps ne nous assuraient la précision nécessaire pour détecter des exoplanètes telles que Gl581 d et Gl667 Cc qu'autour de 5 naines rouges. Il faut par exemple se rendre compte que pour détecter Gl667 Cc nous avons cumulé 60 à 70 heures d'observations (plus que l'équivalent d'une semaine du télescopetélescope de 3,6 m de l'ESOESO, qui est très demandé). Clairement nous ne pouvons consacrer autant de temps de télescope que pour un très petit nombre d'étoiles.

    Détecter ces deux planètes dans ces conditions ne peut que vouloir dire qu'elles sont très nombreuses, même si les incertitudes sont encore grandes. Nous déterminons statistiquement qu'environ 41 % de ces étoiles possèdent une superterresuperterre dans la zone d'habitabilitézone d'habitabilité. Cela représente des dizaines de milliards d'exoplanètesexoplanètes de ce type dans la Voie lactée et même en tenant compte des incertitudes de mesures, qui nous donnent un intervalle de 28 % à 95 %, le nombre exact de ces superterres est énorme.

    Une comparaison des tailles de la Terre, Mars et Gliese 667C c. L'aspect probable de l'exoplanète a été simulé à l'ordinateur. Son atmosphère apparaît rouge du fait qu'elle est en orbite autour d'une naine rouge. © <em>Planetary Habitability Laboratory</em> @ UPR Arecibo

    Une comparaison des tailles de la Terre, Mars et Gliese 667C c. L'aspect probable de l'exoplanète a été simulé à l'ordinateur. Son atmosphère apparaît rouge du fait qu'elle est en orbite autour d'une naine rouge. © Planetary Habitability Laboratory @ UPR Arecibo

    Mais qui dit planète rocheuse dans une zone d’habitabilité ne veut pas forcément dire planète habitable. Les naines rouges sont de plus instables et sujettes à des éruptions importantes pendant une partie de leur existence. Elles ne semblent donc pas être favorables à l’apparition de la vie.

    Xavier Delfosse : La composition de l'atmosphèreatmosphère d'une superterre est en effet un facteur d'une grande importance pour déterminer son habitabilité. C'est pourquoi sa connaissance est obligatoire. D'autres exemples de superterres dans cette zone devraient être découverts dans les années à venir. Mais ce seront les cas avec transittransit qui seront les plus attentivement étudiés car c'est de cette façon que l'on peut avoir des renseignements sur la composition chimique de l'atmosphère d'une exoplanète. Cette dernière n'absorbe pas la lumièrelumière de la même façon, à diverses couleurscouleurs, en fonction de sa nature.

    Il est exact que les naines rouges de type M sont sujettes à de fortes éruptions génératrices, entre autres, de flots de rayons Xrayons X ou ultravioletsultraviolets. Mais c'est surtout pendant le premier milliard d'années de leur existence que l'activité de ces astresastres peut menacer l'habitabilité d'une superterre, en risquant de faire perdre l'eau de l'atmosphère de la planète. Mais cela va dépendre de la masse et de la magnétosphèremagnétosphère de l'exoplanète, c'est-à-dire de son champ magnétiquechamp magnétique.

    Des simulations complexes ont été menées par des équipes à travers le monde, elles semblent indiquer que pour des superterres assez massives et entourées d'un bouclier magnétique, les éruptions de leur étoile ne génèrent pas forcément une érosion de leur atmosphère qui conduirait à sa disparition ainsi que celles de l'eau de ses océans. Le Soleil lui-même a connu une jeune phase agitée similaire mais seulement pendant les 100 premiers millions d'années de son existence. Cela n'a pas empêché la vie d’apparaître sur Terre. Pour les planètes autour des naines rouges, seules les mesures que l'on pourra faire de leur atmosphère dans le futur nous donneront des indications réelles de la façon dont elles survivent, ou non, à cette phase très active.

    Une vue d'artiste du James Webb space telescope. Il devrait pouvoir étudier l'atmosphère des superterres habitables pour permettre d'y chercher des biosignatures, des traces de formes de vie et en tous cas de la présence d'eau liquide sur ces exoplanètes. © Esa

    Une vue d'artiste du James Webb space telescope. Il devrait pouvoir étudier l'atmosphère des superterres habitables pour permettre d'y chercher des biosignatures, des traces de formes de vie et en tous cas de la présence d'eau liquide sur ces exoplanètes. © Esa

    Quand sera-t-on en mesure de faire l’analyse des atmosphères de ces superterres pour y trouver des biosignatures ?

    Xavier Delfosse : Avec beaucoup de chance, on pourrait avoir des surprises en utilisant le HubbleHubble Space Telescope dans les années à venir, étant donné que l'on commence maintenant à savoir où chercher. Mais on devra très probablement attendre la mise en orbiteorbite du James Webb Space TelescopeJames Webb Space Telescope (JWST) à l'horizon 2020. Pour le moment, si l'on sait que les exoplanètes sont légion dans la Voie lactée, que les superterres dans la zone d'habitabilité y sont très fréquentes (il pourrait y en avoir une centaine dans une sphère de 30 années-lumièreannées-lumière de rayon autour du Système solaireSystème solaire), on ignore toujours quelle fraction d'entre elles possède effectivement de l'eau liquide à leur surface. Le JWST pourra faire des analyses des atmosphères de superterres dans la zone d'habitabilité et transitant devant leur étoile, il pourra notamment déterminer si l'eau est présente dans l'atmosphère. 

    Pour cela il nous faut trouver ces planètes transitant autour de leur étoile avant le lancement de JWST. Or seuls 2 à 3 % des superterres dans la zone d'habitabilité des naines rouges vont transiter, il nous faut alors établir un catalogue d'une centaine de ces planètes pour espérer en découvrir quelques-unes en transit. On ne va pas tarder à disposer d'un instrument plus performant pour partir à la chasse aux superterres autour des naines avec Spirou qui devrait être installé au CFHTCFHT en 2015. De mon point de vue son grand objectif est de découvrir cette centaine de superterres dans la zone d'habitabilité de naines rouges, des observations seront ensuite faites avec d'autres instruments pour trouver parmi celles-ci celles qui transitent.

    Une comparaison du spectre des atmosphères de Vénus, la Terre et Mars (de gauche à droite) dans l'infrarouge. La présence de grandes quantités de vapeur d'eau (H2O) et d'ozone (O3) sur Terre contraste avec les atmosphères de Vénus et Mars dominées par la raie d'absorption du CO2. © Esa Medialab

    Une comparaison du spectre des atmosphères de Vénus, la Terre et Mars (de gauche à droite) dans l'infrarouge. La présence de grandes quantités de vapeur d'eau (H2O) et d'ozone (O3) sur Terre contraste avec les atmosphères de Vénus et Mars dominées par la raie d'absorption du CO2. © Esa Medialab

    Des équipes continuent aussi à réfléchir sur une mission qui ressemblerait à celle un temps envisagée par l'Esa, baptisée DarwinDarwin. Cette mission permettrait une analyse des atmosphères de toutes les planètes, et pas seulement de celles transitant, cela agrandit énormément l'échantillon accessible. Le but est notamment de détecter des « biosignatures », c'est-à-dire des éléments de l'atmosphère produits par la vie (tout comme  l'oxygèneoxygène dans l'atmosphère terrestre est produite par la photosynthèse des plantes). Mais la technologie n'est pas encore prête. 

    Une chose est certaine, nous savons maintenant qu'il n'est plus nécessaire d'étudier un grand nombre d'étoiles de types variés pour trouver des superterres dans les zones d'habitabilité. Cela libère du temps d'observation, et ouvre des perspectives de constituer un grand échantillon de ces planètes que nous pourrons caractériser dans un futur proche.