Dans un entretien accordé à Futura-Sciences, Claire-Anne Reix, directrice du projet GMES (Global Monitoring for Environment and Security) pour le groupe Thales, revient sur les incertitudes du financement du programme européen et des satellites Sentinelle. C’est dans ce contexte que s’ouvre à Naples la conférence ministérielle de l’Esa durant laquelle ce sujet ne pourra être abordé qu’avec certaines limitations.

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    À dix jours du sommet des dirigeants européens sur le budget pluriannuel 2014-2020, la situation n'est guère réjouissante. Les gouvernements des pays européens ont bien du mal à trouver un terrain d'entente. Entre ceux qui souhaitent un budget en baisse d'au moins une centaine de milliards d'euros, ceux qui veulent le maintenir à 1 % du revenu national brut et ceux qui soutiennent les propositions de la Commission, le consensus s'annonce difficile.

    Le vote final n'est toutefois pas attendu avant décembre 2013, ce qui laisse encore du temps à la négociation. On en saura peut-être plus sur les grandes lignes du budget le 13 décembre prochain si un accord des chefs d'État est trouvé. Sinon, ce sera sans doute en mars 2013...

    En attendant, cette situation entraîne une incertitude sur le financement de GMES, le programme de surveillance mondiale pour l'environnement et la sécurité de l'Europe, et plonge dans l'expectative l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne et les industriels engagés dans la constructionconstruction des satellites. Depuis qu'en juin, Simonetta Cheli, chef de cabinet du directeur des programmes d'observation de la Terreobservation de la Terre à l'Esa, a souligné le « risque de discontinuité dans le financement de ce programme », la situation a peu évolué.

    Sentinelle-1A sera le premier satellite des familles Sentinelle à être lancé fin 2013. Construit par Thales Alenia Space, ce satellite embarque un radar à synthèse d’ouverture en bande C pour fournir des images continues aux utilisateurs, de jour comme de nuit, et dans toutes les conditions météorologiques. © Esa

    Sentinelle-1A sera le premier satellite des familles Sentinelle à être lancé fin 2013. Construit par Thales Alenia Space, ce satellite embarque un radar à synthèse d’ouverture en bande C pour fournir des images continues aux utilisateurs, de jour comme de nuit, et dans toutes les conditions météorologiques. © Esa 

    Concrètement, la Commission européenne prévoit la création d'un fonds intergouvernemental fonctionnant sur un modèle similaire à celui du Fonds européen de développement (FED), auquel les États membres contribueraient en fonction de leur produit national brut, ce qui serait très lourd à mettre en œuvre. Le Parlement européen est plutôt en faveur d'un financement de GMES dans le cadre du budget communautaire, mais les rapports issus de différents comités ne convergent pas tous. Les atermoiements ne sont pas liés à l'intérêt intrinsèque du programme mais plutôt aux pressions budgétaires et aux intérêts divergents des différents États membres ; le budget global, très contraint, devant être réparti. En particulier, la politique agricole communepolitique agricole commune (Pac) et les fonds de cohésion sont des sujets très sensibles.

    L’Esa et l’UE n’ont pas le même calendrier

    Pour la période 2014-2020, les besoins pour GMES ont été évalués à 5,8 milliards d'euros. « Un budget qui pourrait donc être revu à la baisse. » Or, ce budget doit couvrir les dépenses d'exploitation des premiers satellites Sentinelle qui seront lancés entre fin 2013 et 2014 avec le risque qu'il n'y ait pas d'argent pour les exploiter lorsqu'ils seront en poste !

    Le problème vient essentiellement du fait que l'Esa et l'UE n'ont pas le même calendrier. « Dans le cadre de la ministérielle de 2012, l'Esa est très attentive à ce problème et va remettre l'essentiel des décisions ayant un impact sur les budgets européens, et donc concernant GMES, à une date ultérieure au vote du budget de l'UE », nous explique Claire-Anne Reix d'autant plus que c'est l'incertitude sur le budget GMES alloué par l'Union européenne jusqu'en décembre 2013.

    Pour comprendre l'inquiétude de Claire-Anne Reix, il faut savoir que le segment spatial de GMES repose sur plusieurs familles de satellites comprenant chacune plusieurs unités identiques appelées à voler successivement de « façon à garantir la continuité des données pendant au moins deux décennies ».

    Si pour les premières familles le financement des deux premiers satellites (les A et les B) est acquis, « l'incertitude sur le financement des modèles C est grande ». S'il est décalé trop loin dans le temps, « on ne va plus pouvoir faire de récurrence et on risque de perdre le bénéfice qui en découle en coûts et délais ». Or, dans l'industrie spatiale, les composants, approvisionnés en nombre restreint, ne créent pas un marché important et peuvent rapidement ne plus être disponibles.

    Il faut garder à l'esprit que GMES s'inscrit dans la durée, voire ad vitam æternam, tout comme le programme Meteosat. Concrètement, les futures générations (au-delà des A, B et C) de chaque Sentinelle ne pourront « se faire qu'en s'appuyant sur le retour d'expérience des utilisateurs ». Sauter l'étape du troisième modèle récurrent (le modèle C), c'est devoir définir une nouvelle génération dans des délais plus courts et avec un retour d'expérience insuffisant.