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    Devant l'enjeu et la difficulté du sujet qu'est la nature de l'énergie noire, Futura-Sciences s'est tourné vers l'un des grands spécialistes français de ce sujet, Philippe BraxPhilippe Brax, à qui l'on doit d'ailleurs déjà un dossier Futura-Sciences portant sur les frontières de la cosmologie moderne et intitulé La cosmologie, laboratoire pour l'infiniment petit.

    La matière des galaxies ne représenterait qu'une quantité négligeable dans l'univers, à la différence de l'énergie noire. © Hubble, Nasa

    La matière des galaxies ne représenterait qu'une quantité négligeable dans l'univers, à la différence de l'énergie noire. © Hubble, Nasa 

    Membre de l'institut de physique théorique du CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) à Saclay, Philippe Brax a été le collaborateur de Neil Turok, l'actuel directeur du Perimeter Institute for Theoretical Physics. Il a bien voulu répondre à nos questions.

    L'internaute profitera certainement de la lecture d'autres dossiers Futura-Sciences en lien avec ce sujet, comme celui portant sur la relativité générale.

    On présente parfois le problème de la constante cosmologique comme « la pire prédiction jamais faite par la physique théorique ». Pourquoi ?

    Philippe Brax : Le problème est ancien, il était déjà connu de Wolfgang Pauli dans les années 1920, mais c'est surtout à partir des travaux de Zel'dovich que l'on a commencé à prendre conscience de son importance. Lorsqu'on applique les lois de la mécanique quantique aux différents champs de forces et de matières qui remplissent l'universunivers, comme le champ électromagnétiquechamp électromagnétique, on voit que ces derniers ne sont jamais complètement inactifs et doivent fluctuer sans cesse. C'est le fameux problème de l'énergie du point zéropoint zéro.

    Il en résulte que le vide quantique, comme on l'appelle, devrait être un énorme réservoir d'énergie devant laquelle celles de la matière des galaxiesgalaxies et des photonsphotons du rayonnement fossilerayonnement fossile seraient des quantités absolument négligeables. Cette énergie du vide devrait se manifester dans les équationséquations d'EinsteinEinstein exactement comme une constante cosmologiqueconstante cosmologique. Or, toujours d'après la relativité généralerelativité générale, une telle quantité d'énergie devrait tellement courber l'univers qu'elle le refermerait sur lui-même et lui donnerait une taille bien inférieure à celle du Système solaireSystème solaire.

    Le théoricien de la cosmologie Philippe Brax. © Philippe Brax

    Le théoricien de la cosmologie Philippe Brax. © Philippe Brax

    Les observations des supernovaesupernovae SNSN Ia depuis 1998 montrent que tout se passe effectivement comme si une constante cosmologique était bel et bien présente et il semble naturel, de prime abord, de l'identifier avec l'énergie du vide quantique. S''il s'agit bien de l'énergie des fluctuations du vide quantique que nous voyons accélérer l'expansion de l'univers, les mesures fournissent cependant une valeur très faible pour cette dernière. Il se trouve que, si l'on utilise les équations du modèle standardmodèle standard des particules élémentairesparticules élémentaires pour calculer la valeur de la densité d'énergie du vide quantique, on tombe sur un désaccord gigantesque entre la théorie et les observations.

    Mais c'est surtout lorsque l'on cherche à calculer la valeur de l'énergie du vide associée aux fluctuations quantiques du champ de gravitationgravitation que le désaccord est le plus important, et de très loin. En effet, il est alors de 120 ordres de grandeursordres de grandeurs environ, c'est-à-dire un 1 suivi de 120 zéros !

    Il n'est donc guère étonnant que ce problème soit effectivement considéré comme « la pire prédiction jamais faite par la physique théorique ».

    Quand on regarde dans les détails, chaque type de particules, électronélectron, quarkquark, neutrinoneutrino, photon, gluongluon, graviton etc. apporte sa contribution à l'énergie du vide quantique, mais pas avec le même signe. On savait depuis longtemps d'ailleurs que les contributions liées aux fermionsfermions, c'est-à-dire les particules de matières, sont de signe opposé à celles des particules de forces, qui sont des bosonsbosons. On pouvait imaginer que la somme de toutes ces contributions s'annulait ou pour le moins donnait une valeur faible.

    Là encore, les calculs avaient montré qu'à moins de réglages très fins et bien peu naturels, une telle compensation avait bien peu de chance de se produire.

    Pendant les années soixante-dix, on a découvert une nouvelle classe de théories quantiques des champs qui paraissait prometteuse pour résoudre ce problème mais il a vite fallu déchanter. Il s'agissait d'abord de la découverte de la supersymétriesupersymétrie puis ensuite de la supergravitésupergravité, une généralisation naturelle de la théorie d'Einstein.

    Ces théories, qui reposent sur des extensions des mathématiques et des symétries utilisées pour décrire l'espace-tempsespace-temps, permettent d'associer à chaque boson un partenaire sous forme d'un fermion et inversement. Ainsi, on pouvait facilement arriver à une compensation rigoureuse des contributions à l'énergie du vide de chaque particule. Cependant, le partenaire supersymétrique d'un photon ou d'un électron par exemple, qui devrait être respectivement un fermion (photinophotino) et un boson (sélectron), devrait avoir la même massemasse. On devrait donc en produire simplement en allumant une lampe ou dans les collisions à basses énergies dans les accélérateurs.

    On peut envisager de briser la supersymétrie pour alourdir les nouvelles particules prédites afin de rester en accord avec les observations et supprimer la production des partenaires supersymétriques des particules du modèle standard aux énergies accessibles d'ordinaire.

    Mais on retrouve encore le problème du désaccord entre observation et théorie pour l'énergie du vide. L'écart n'est alors « que » de 60 ordres de grandeurs, ce qui reste évidemment inacceptable. À nouveau, un réglage fin des différentes contributions pourrait se produire mais il apparaît comme peu probable. On aimerait qu'un mécanisme existe, assurant la compensation des différentes contributions de manière à retrouver la valeur observée.

    Il semble que ce soit au niveau de la gravitation quantiquegravitation quantique et de son couplage à la matière que se situe la racine du problème et il est donc probable que celui-ci reste sans solution tant que nous ne disposerons pas vraiment d'une théorie sur cette dernière. Même dans ce cas, une partie de l'énigme réside aussi à basse énergie car il faudrait expliquer la compensation des contributions des particules du modèle standard, et ceci est également un mystère.