Ce sont les plus anciennes traces connues de la présence d'Homo sapiens en Europe

Par Laurent Sacco
Journaliste
Le 17/05/2020

Des tests ADN et des datations au carbone 14 révèlent que des Homo sapiens sont arrivés en Europe au moins 5.000 ans plus tôt qu'on ne le pensait, il y a environ 45.000 ans. On a retrouvé leurs restes dans une grotte en Bulgarie.

[EN VIDÉO] Interview 5/5 : par où Homo sapiens est-il arrivé en Europe ?
La période où est apparu Homo sapiens en Europe reste encore aujourd'hui une question non résolue. Certains experts avancent l’hypothèse qu’il serait arrivé par l’est, d’autres le voient passer par le détroit de Gibraltar. Silvana Condemi, paléoanthropologue, nous explique dans cette interview les enjeux de la colonisation du continent européen par Homo sapiens.
 

Il y a presque un an, une étude publiée dans Nature annonçait que l'on avait probablement retrouvé ce qui à l'époque était la plus ancienne trace d'Homo sapiens hors d'Afrique, en Grèce pour être précis, et qu'elle était âgée de 210.000 ans. Mais cette étude a été remise en cause depuis. Aujourd'hui, la trace à qui on attribue le même titre a été trouvée dans la célèbre grotte de Bacho Kiro en Bulgarie. C'est ce qu'annonce une équipe de recherche internationale dans deux articles publiés à nouveau dans Nature mais aussi dans Nature Ecologie & Evolution.

L'affirmation est soutenue par une datation au carbone 14 qui donne un âge d'environ 45.000 ans aux restes de cinq fossiles humains retrouvés et qui sont accompagnés par des outils en pierre, des milliers d'os d'animaux chassés, des outils en os et également des ornements personnels comme des perles et des pendentifs.

L'équipe dirigée par Jean-Jacques Hublin, directeur de l'Institut Max-Planck d'anthropologie évolutive à Leipzig, en Allemagne, en collaboration avec Tsenka Tsanova et Shannon McPherron de l'Institut Max-Planck d'anthropologie évolutive, et Nikolay Sirakov et Svoboda Sirakova de l'Institut national d'archéologie avec le musée à l'Académie bulgare des sciences de Sofia, Bulgarie, a donc réussi à identifier les premiers Homo sapiens du Paléolithique supérieur en Europe.

Pour cela, elle a bénéficié de l'aide de Hajdinjak et Matthias Meyer de l'équipe de génétique dirigée par Svante Pääbo au département de génétique évolutive de l'Institut Max-Planck d'anthropologie évolutive. Ces chercheurs ont en effet séquencé l'ADN des ossements fossiles retrouvés et c'est en fait la conservation exceptionnellement bonne de l'ADN dans une molaire et des fragments d'homininés qui a montré que l'on était en présence de restes d'humains modernes possédant des séquences d'ADN mitochondrial caractéristiques des Hommes d'aujourd'hui.


Homo sapiens par Jean-Jacques Hublin (Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology, Leipzig, Allemagne). Homo sapiens est la seule espèce survivante d’une grande diversité de formes d’homininés du Pléistocène moyen (troisième étage du Pléistocène). Cette espèce, au succès adaptatif remarquable, a une origine africaine et s’est répandue en Eurasie durant le Pléistocène supérieur (première époque de la période du Quaternaire), d’abord dans les régions tropicales, puis plus tardivement dans les moyennes latitudes. Elle y a supplanté d’autres formes d’homininés, les Néandertaliens et les Dénisoviens en les absorbant partiellement. © Académie Nationale de Médecine

Des Néandertaliens influencés par la culture d'Homo sapiens ?

Cette découverte est intéressante à plus d'un titre car en Europe à ce moment-là, encore dominée par les Néandertaliens, on constatait l'apparition d'innovations techniques au niveau des outils et des parures chez les Néandertaliens, apparition donnant lieu au nom de Châtelperronien pour cette époque. Il dérive du nom du site de la grotte des Fées à Châtelperron, dans l'Allier, en Auvergne. Il a été défini en 1906 par un célèbre préhistorien, l'abbé Henri Breuil.

Jusqu'à présent, les sites du Châtelperronien n'avaient livré que des restes de fossiles néandertaliens mais certains chercheurs avançaient depuis un certain temps que les innovations apparues à ce moment-là avaient peut-être leur source chez Homo sapiens. Sur le site de Bacho Kiro, on constate d'ailleurs la présence de dents d'ours des cavernes qui ont été transformées en pendentifs et dont certains sont étonnamment similaires aux ornements fabriqués plus tard par les Néandertaliens en Europe occidentale. Ceux-ci auraient donc adopté des technologies et une culture initialement apportées par Homo sapiens, ce qui n'est pas si étonnant quand on se rappelle que nous avons des preuves de l’hybridation entre ces homininés.

Voilà de quoi faire apporter une nouvelle pièce aux débats sur cette question car il semble clair maintenant que les premiers Homo sapiens sont arrivés en Europe 5.000 ans plus tôt qu'il n'était généralement admis jusqu'à présent. Surtout que l'on sait qu'environ 8.000 ans plus tard, c'est Homo sapiens qui prend l'ascendant sur le continent avec l'extinction définitive des Néandertaliens.


Le plus vieil Homo sapiens d’Europe serait arrivé en Grèce il y a 210.000 ans

Article AFP-Relaxnews publié le 14/07/2019

Selon une étude publiée dans Nature, le plus vieil Homo sapiens « non africain » serait grec et vieux de 210.000 ans. Les derniers travaux avancent ainsi de plus de 150.000 ans l'arrivée de notre espèce en Europe.

« Plus tôt, plus loin » : le plus vieil Homo sapiens « non africain » mis au jour serait grec et vieux de 210.000 ans selon des travaux publiés mercredi qui avancent de plus de 150.000 ans l'arrivée de notre espèce en Europe. Apidima 1, comme l'ont baptisé les scientifiques, est « plus vieux que tous les autres spécimens d'Homo sapiens retrouvés hors d'Afrique », explique à l'AFP Katerina Harvati de l'université de Tübingen en Allemagne, coauteure de l'étude publiée dans la revue Nature.

Un fragment de mâchoire d'un Homo sapiens retrouvé dans une grotte en Israël remonterait à une période allant de 177.000 à 194.000 ans. Les autres « plus anciens » des Hommes modernes trouvés hors d'Afrique avoisineraient plutôt les 90.000 à 120.000 ans. En Europe, 70.000 ans.

C'est une reconnaissance tardive pour Apidima 1, trouvé à la fin des années 1970. Découvert par le Musée d'anthropologie de l'université d'Athènes dans une cavité du massif d'Apidima dans le Péloponnèse, il avait été, à l'époque, catalogué comme pré-néandertalien. Mais les techniques modernes de datation et d'imagerie ont permis à Katerina Harvati et son équipe de mettre en évidence « un mélange de caractéristiques humaines modernes et archaïques » qui en font « un Homo sapiens précoce ».

“La dispersion de l'Homme moderne hors d'Afrique s'est étendue jusqu'en Europe”

Petit bémol, les archéologues n'ont retrouvé que la partie arrière de son crâne, et « certains pourraient soutenir que le spécimen est trop incomplet pour que son statut d'Homo sapiens soit sans équivoque », explique Éric Delson du Lehman College de New York dans un commentaire publié avec l'étude. « Apidima 1 prouve que la dispersion de l'Homo sapiens hors d'Afrique a non seulement eu lieu plus tôt qu'on ne le pensait, il y a plus de 200.000 ans, mais aussi qu'elle s'est étendue jusqu'en Europe », explique Katerina Harvati.

L'Homo sapiens, également appelé l'Homme moderne, est apparu en Afrique. Les plus anciens représentants connus de notre espèce sont vieux de 300.000 ans et ont été mis au jour au Maroc, sur le site de Jbel Irhoud. On a longtemps estimé qu'ils n'avaient quitté leur « berceau » que bien plus tard, il y a environ 70.000 ans, en une vague majeure.

Homo sapiens présent en Europe avant l'Homme de Néandertal ?

Mais depuis quelques années, les découvertes ne cessent de remettre en cause cette théorie, avançant toujours plus la date de leurs premières migrations et étendant la zone de leur dispersion. Apidima 1 avait été découvert face à un autre crâne, baptisé Apidima 2. Selon l'étude - et la présence sur l'os occipital d'un bourrelet osseux horizontal -, il s'agirait d'un Néandertalien âgé de 170.000 ans.

« Nos résultats suggèrent qu'au moins deux groupes de personnes vivaient au Pléistocène moyen dans ce qui est aujourd'hui le sud de la Grèce : une population précoce d'Homo sapiens et, plus tard, un groupe de Néandertaliens », avance la spécialiste suggérant que les deuxièmes avaient remplacé les premiers, avant d'être à leur tour remplacés par d'autres Homo sapiens, nouvellement arrivés, il y a environ 40.000 ans quand les Hommes de Néandertal ont définitivement disparu. « Peut-être une ou plusieurs fois, les deux espèces se sont remplacées l'une l'autre », explique Éric Delson.

Cette nouvelle découverte renforce l'idée que de multiples dispersions d'êtres humains hors d'Afrique se sont produites. Le mouvement migratoire et la colonisation de l'Eurasie étant sûrement beaucoup plus complexes qu'on ne le pensait. « Plutôt qu'une seule sortie d'hominines d'Afrique pour peupler l'Europe et l'Asie, il doit y avoir eu plusieurs dispersions, certaines ne donnant pas lieu à des installations permanentes », juge Éric Delson. Même si tous les groupes qui se sont développés hors d'Afrique il y a plus de 60.000 ans ont totalement disparu, ne laissant aucune trace dans notre génome actuel.


Le plus vieux fossile d'Homo sapiens découvert hors d'Afrique

Article de Futura avec AFP, publié le 29/01/2018

La découverte d'un fragment de mâchoire fossile en Israël repousse d'au moins 50.000 ans la date à laquelle les hommes modernes seraient partis d'Afrique. Ces travaux nous renseignent aussi sur les croisements entre Homo sapiens et d'autres espèces humaines au Proche-Orient.

La mise au jour du fossile d'un fragment de mâchoire dans une grotte en Israël repousse d'au moins 50.000 ans la sortie d'Afrique de l'Homme moderne, apportant aussi un nouvel éclairage sur les croisements avec d'autres espèces comme les Néandertaliens. Avant cette découverte sur le site archéologique de Misliya, situé sur les pentes du mont Carmel, les plus anciens fossiles d'Homo sapiens trouvés hors d'Afrique dataient de 90.000 à 120.000 ans, précisent les chercheurs dont les travaux ont été publiés jeudi dans Science. Or, la partie gauche de cet os maxillaire supérieur, portant encore plusieurs dents, remonte à une période allant de 177.000 à 194.000 ans.

« La découverte de Misliya est enthousiasmante », juge Rolf Quam, professeur d'anthropologie à l'université américaine de Binghamton, un des co-auteurs de l'étude. « Ce fossile est l'indication la plus solide à ce jour que nos ancêtres ont émigré d'Afrique beaucoup plus tôt que nous le pensions jusqu'alors », souligne-t-il. Cela signifie également que « les Hommes modernes avaient potentiellement rencontré d'autres groupes d'humains archaïques pendant cette plus longue période de présence en Eurasie, offrant plus d'occasions d'échanges culturels et de croisements biologiques », explique le professeur Quam.

“Ce fossile est l'indication la plus solide à ce jour que nos ancêtres ont émigré d'Afrique beaucoup plus tôt que nous le pensions.”

Les scientifiques ont utilisé plusieurs techniques de datation sur le morceau de maxillaire et les dents de Misliya. Ils ont aussi analysé sa forme à l'aide de modèles virtuels en 3D. Les comparaisons avec des fossiles d'hominidés africains, européens et asiatiques ainsi qu'avec les populations humaines récentes ont montré que le fossile de Misliya provient, sans équivoque, d'un Homme moderne.

« Tous les détails anatomiques du fossile de Misliya correspondent bien à la morphologie des humains modernes mais certains traits sont également trouvés chez l'Homme de Néandertal et d'autres groupes humains archaïques », pointe le professeur Quam. « Une des difficultés pour ces recherches a été d'identifier les caractéristiques anatomiques seulement trouvées chez les humains modernes qui ne laissent aucun doute sur l'espèce à qui appartenaient le maxillaire et les dents fossilisés de Misliya », explique le scientifique.

Des fossiles qui nous renseignent sur nos origines préhistoriques

La voûte de la grotte de Misliya s'est effondrée il y a environ 160.000 ans, permettant de protéger jusqu'à aujourd'hui ce fossile et autres matériaux et objets enfouis dans les sédiments. Les indices archéologiques révèlent que ses occupants étaient des chasseurs capables de tuer du gros gibier comme des aurochs, des daims persans et des gazelles et qu'ils contrôlaient l'utilisation du feu dans des foyers. Ils fabriquaient aussi des outils en pierre similaires à ceux trouvés chez les plus anciens humains modernes en Afrique.

D'autres fossiles plus anciens d'humains modernes ont été trouvés en Afrique, mais les périodes et les routes de migration hors du continent africain des Homo sapiens sont essentielles pour comprendre l'évolution de notre espèce, expliquent ces chercheurs.

Voir aussi

Migration humaine : Homo sapiens a quitté l'Afrique plus tôt que prévu

Corridor très important pour les migrations d'hominidés, le Proche-Orient a été occupé à différentes périodes par les humains modernes et les Néandertaliens. Cette dernière découverte ouvre la possibilité de croisements entre ces espèces, et de mélanges génétiques entre différentes populations locales beaucoup plus tôt qu'on ne le pensait, relèvent les scientifiques.

En réalité, les indices trouvés à Misliya viennent corroborer des hypothèses basées sur des données génétiques selon lesquelles des Hommes modernes auraient émigré d'Afrique il y a plus de 220.000 ans. Plusieurs découvertes archéologiques et de fossiles faites récemment en Asie repoussent aussi la date de la première apparition des humains modernes dans cette partie du monde, et de ce fait leur sortie d'Afrique. « Cette découverte contribue à une meilleure compréhension de nos origines », conclut Laura Martin-Frances, une chercheuse de l'université de Bordeaux qui a participé à ces travaux.