Sous l’Ancien Régime, l’alimentation des Français est largement dominée par les céréales : dès que les récoltes s’avèrent insuffisantes, la crise de subsistance apparaît inévitablement. La question alimentaire est directement liée à la production agricole : suivant l’ampleur de l’insuffisance, on se trouve face à une disette ou à une famine, qui peut être locale, régionale voire nationale.
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Entre 1580 et 1710, la vie des Français est rythmée par des cycles de grandes crises de subsistance qui débouchent inévitablement sur des crises démographiques. Certes les crises existent au XVIe et au XVIIIe siècle, même si ce sont des siècles de croissance économique. Mais « le temps des crises » est certainement incarné par le XVIIe siècle : leur fréquence, leur ampleur et leur extension géographique en font presque une caractéristique de cette période.
Le XVIIe siècle, temps de crises
Le schéma est toujours le même : une mauvaise récolte de céréalescéréales (liée à un problème météorologique) est le point de départpoint de départ du problème, la rareté des céréales entraîne une forte augmentation de leur prix qui incite les Français à se concentrer sur les achats alimentaires au détriment des produits manufacturés ; les ateliers ne vendent plus leur production et fermentferment, les ouvriers au chômage ne peuvent plus acheter de céréales devenues trop chères, l'État ne parvient pas à faire rentrer l'ensemble des impôts... Dans les villes, la charité publique et privée, la politique de contrôle des prix du pain et la constitution de réserves de céréales dans les greniers municipaux permettent théoriquement d'atténuer les difficultés, sauf si les autorités spéculent sur les grains en libérant les stocks lorsque le prix des céréales est au plus haut. De nombreuses villes usent de ce stratagème en période de crise : on peut affirmer qu'elles régulent le marché et font baisser les prix en vendant leurs stocks ; on peut également souligner que la crise alimentaire représente une opportunité commerciale non avouée.
Distribution du pain « du roi » au Louvre en 1693. Bibliothèque nationale de France, département estampes et photographie. © gallica.bnf.fr, BnF
Dans les campagnes, la meilleure solution consiste à chercher des moyens de subsistance de village en village, mais les étrangers affamés sont toujours très mal reçus (les vagabonds font peur, on les accuse notamment de répandre les épidémiesépidémies) et les villes n'hésitent pas à leur fermer les portesportes.
La crise de subsistance engendre une crise démographique qui entretient à son tour la crise économique, c'est un cercle infernal. Les crises peuvent être locales mais également nationales comme celles de 1630-1631, 1649-1652, 1660-1661, 1693-1694 et 1709-1710. Leur impact est considérable sur l'économie du royaume et nécessite plusieurs années de récupération.
« Le jeune mendiant » par Bartolomé Esteban Murillo, peint entre 1645 et 1650. Musée du Louvre, Paris. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre), Angèle Dequier
La question du climat
Étudiée par le grand historienhistorien Emmanuel Le Roy Ladurie, l’histoire du climat prend toute son importance au XVIIe siècle car elle souligne l'incidenceincidence de la météorologiemétéorologie sur l'apparition des crises alimentaires. La période moderne est caractérisée par la naissance d'un « petit âge glaciaire » vers 1570, avec des hivershivers plus rigoureux et une pluviosité plus importante, qui vont perdurer jusqu'aux années 1840. En témoignent une avancée des glaciersglaciers dans les Alpes, des vendanges plus tardives et une croissance moins affirmée des grands arbresarbres. L'offensive du froid (en France et partout en Europe) se produit entre 1580 et 1610, puis vers 1622-1623, entre 1640 et 1665 ; après l'accalmie de 1665-1690, elle reprend entre 1690 et 1710, pour culminer lors des hivers 1693-1694 et 1709-1710. Les deux dernières périodes sont les plus terribles pour la population française et correspondent à deux véritables hécatombes.
« Les chasseurs dans la neige » par Pieter Brueghel l'Ancien, en 1565. Musée d'Histoire de l'Art (Kunsthistoriches Museum), Vienne, Autriche. © Wikimedia Commons, domaine public
- 1693-1694 : la grande famine est due à un hiver très rigoureux en 1692, suivi en 1693, de mauvaises récoltes causées par un printemps et un été trop pluvieux. Suit une flambée du prix des céréales et une famine qui favorise des épidémies comme le typhus. La France qui compte 20 millions d'habitants, subit une catastrophe démographique avec deux millions de décès en plus de la mortalité normale. L'État décide d'interdire l'exportation des blésblés dès 1692 ; le centre du royaume est particulièrement touché et sur tous les marchés dans un rayon de 200 kilomètres autour de Paris, le prix des céréales est multiplié par trois durant l'année 1693. La famine a épargné la région méditerranéenne dont l'agricultureagriculture profite d'une meilleure pluviosité.
- 1709-1710 : c'est le « Grand Hyver » qui a profondément marqué les contemporains ; durant la nuit des Rois (mages) du 5 au 6 janvier 1709, débute un froid terrible (thermomètrethermomètre en dessous de moins dix degrés pendant près de trois semaines). Les cours d'eau sont gelés, le vin en cave également, des milliers d'arbres (châtaignierschâtaigniers, noyers, oliviersoliviers) vont périr ainsi que la vigne. Les graines ayant gelé en terre, les récoltes de céréales sont très insuffisantes et les famines induisent des épidémies en 1709 et en 1710. On estime à deux millions, le nombre de décès pour environ 1,3 million de naissances sur ces deux années, mais on assiste à une reprise spectaculaire des baptêmes dès 1711.
Circonstances exceptionnelles
On sait que le XVIIIe siècle n'a pas été épargné par les périodes froides : 1740-1752, 1767-1773 (flambée des prix du blé, « guerre des farines » en 1775) et 1785-1789. Le contexte météorologique défavorable en 1788 et 1789 a-t-il pu constituer un élément déclencheur de la crise économique de 1789, car on assiste à une flambée des prix du blé en mai et juin ? Le facteur climatique ne peut certainement pas expliquer à lui seul les évènements qui vont suivre en juillet car la France de 1789 n'est plus celle de 1709 : elle est en mesure, grâce aux nombreux progrès de son agriculture diversifiée, de nourrir ses 28 millions d'habitants.
« Repas de paysans », famille de paysans français peinte par Louis ou Antoine Le Nain en 1642. Musée du Louvre, Paris. © Wikimedia Commons, domaine public
Si les rares crises alimentaires du XVIIIe siècle peuvent s'expliquer par une météorologie défavorable, des difficultés économiques locales, une insuffisance relative de moyens de production et de transport, les deux grandes crises de 1693-1694 et 1709-1710 se sont développées à cause de circonstances exceptionnelles. Dans le contexte agricole et économique de la fin du XVIIe siècle, il y a encore une incapacité totale des structures économiques et sociales à faire face à ce genre d'évènement. La crise de subsistance est vécue comme un cataclysme « naturel » : elle est d'autant plus importante lorsqu'elle débouche sur une crise démographique de grande ampleur. Seuls y échappent ceux qui sont déjà à l'abri, économiquement parlant, c'est-à-dire en grande majorité les citadins aisés.