Si les Russes sont pessimistes sur l’état général des modules de la Station spatiale internationale, l'entreprise Thales Alenia Space se veut rassurante sur les modules qu’elle a construits pour le complexe orbital. La dernière revue relative à la prolongation de la durée de vie de la station n’a pas montré de risque pour la sécurité du complexe orbital et de ses occupants. Les explications de Walter Cugno, directeur des activités Sciences et Exploration chez Thales Alenia Space.
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Il y a quelques jours la Russie a annoncé vouloir quitter la Station spatiale internationale en 2025 pour se concentrer sur une hypothétique future station russe (ROSSROSS, Russian Orbital Service Station)) et pour des raisons de sécurité. Sur ce dernier point, le vice-Premier ministre russe Iouri Borisov justifierait ce désengagement de la Station spatiale internationale par le « vieillissement de la structure et du métal qui peut entraîner des conséquences irréversibles et même conduire à la catastrophe ». Ce n'est pas la première fois que des officiels russes alertent sur la vétusté de leurs modules du complexe orbitalcomplexe orbital. Si l'on ne nie pas qu'après plus de vingt ans en orbite, des pannes ou des ennuis techniques peuvent survenir ici et là, la structure des modules et les protections thermiques contre les micrométéorites et les débris sont suffisamment robustes pour ne pas mettre en danger la vie des astronautes et cosmonautes, aujourd'hui ou en 2025.
Ces propos sur la vétusté supposée des modules russes sont difficiles à vérifier. Cependant, il faut aussi savoir que la Station est fabriquée à partir de matériaux réputés pour leur longévité et résistants aux contraintes de l'espace - KevlarKevlar, fibre de carbonefibre de carbone, titanetitane, acieracier ou aluminiumaluminium et alliagealliage d'aluminium. Enfin, si les standards occidentaux sont réputés plus contraignants que ceux russes, il faut se rappeler que la Russie est le pays qui a construit la Station MIR. Une station (1986 - 2001) qui a résisté à un feufeu, une collision avec un véhicule Progress (entraînant une dépressurisation) et nombre de problèmes techniques, dont certains s'ils s'étaient produits à l'intérieur de la Station spatiale internationale auraient vraisemblablement nécessité l'évacuation d'une partie de l'équipage.
Mais au fait, qu'en est-il de la partie occidentale du complexe orbital. Les responsables de la NasaNasa et de l'ESAESA sont-ils autant pessimistes sur l'état des modules européens et américains que leurs homologues russes ? La réponse est évidemment non. La parole à Walter Cugno, directeur des activités Sciences et Exploration chez Thales Alenia Space, dont l'entreprise est la référence mondiale pour la constructionconstruction de modules pressurisés pour des stations spatiales et pour de nombreuses autres applicationsapplications.
Futura : Quelles sont les spécifications techniques exigées par la Nasa et l'ESA pour la construction des modules ?
Walter Cugno : Les modules développés par Thales Alenia Space ont une duréedurée de vie opérationnelle de dix ans, conformément aux exigences de la Nasa relatives au développement des principaux éléments (Prime Item Development Specifications). Les Modules logistiques multi-missions (MPLM) font exception car, s'agissant d'éléments de cargo réutilisables, leur espérance de vieespérance de vie est fixée en nombre de missions (25 pour chaque module) ou pour une durée de dix ans, en fonction de ce qui intervient en premier. Les exigences de conception sont désormais différentes de l'évolution opérationnelle d'un module : initialement basées sur une durée de 10 ans, incluant la maintenance préventive et la phase opérationnelle, elles ont évolué vers une prolongation de la durée de vie des modules, assurée par l'analyse, la mise à niveau chaque fois que nécessaire et bien sûr la maintenance préventive et corrective.
Futura : En durée de vie, les aspects thermiques sont essentiels. Qu’en est-il ?
Walter Cugno : Effectivement, ils sont essentiels car ils déterminent l'habitabilité et l'opérabilité des systèmes. La surface externe, la protection thermique passive et les systèmes de chauffage sont capables de supporter les changements de température entre le jour et la nuit. Ces moyens sont suffisants pour les modules à dissipation thermique ou avec une présence d'équipage limitée, par exemple le MPLM. Pour les modules avec des fonctionnalités plus importantes, comme les NodesNodes et ColumbusColumbus, un contrôle thermique actif basé sur des circuits de pompes de refroidissement est nécessaire pour réfrigérer l'avionique (via des plaques froides) et éliminer la chaleurchaleur métabolique de l'équipage, qui est dissipée via des circuits d'airair internes. La chaleur collectée est évacuée vers des circuits externes de refroidissement à l'ammoniacammoniac reliés aux radiateursradiateurs centralisés de l'ISS, qui éliminent ensuite la chaleur par rayonnement thermiquerayonnement thermique dans l'espace.
Futura : Et concernant la protection contre les micrométéorites et les débris ?
Walter Cugno : Les exigences relatives à la protection des modules contre les micrométéorites et les débris sont déterminées en fonction du PNP, la « probabilité de non-pénétration ». Le PNP d'un module, qui dépend également de son emplacement et de sa fonction dans l'ISS, est analysé par des modèles mathématiques dédiés et, si nécessaire, par des tests au sol consistant à projeter des projectiles similaires à des microparticules de météorite et de débris sur les échantillons de matériaux de surface des modules. Le module est dimensionné par des couches métalliques séparées par un espace par rapport à sa surface structurelle et, en fonction des performances de protection requises, elles sont également renforcées avec des couches de Kevlar dans les zones les plus exposées, dans le but d'éviter que les particules d'impact puissent endommager ou pénétrer l'enveloppe qui assure la tenue à la pressionpression.
En complément du système de protection contre les débris de météoritemétéorite (Meteoroid Debris Protection System MDPS) qui est soumis à cette campagne de qualification, le Centre de contrôle de mission assure le suivi de tous les débris, leurs dimensions et est capable de modifier la position de la station pour éviter les collisions en cas de risque majeur.
Futura : Quelles sont les mesures prises à bord de l'ISS pour surveiller la structure de l'ISS ?
Walter Cugno : L'inspection visuelle reste le principal moyen de surveiller la structure de l'ISS tout comme localiser les bruits est également l'un des principaux moyens permettant d'identifier une fuite éventuelle. En complément, certaines expériences ont été développées et peuvent être mises en œuvre pour tout élément critique (elles n'ont pas été déployées à ce jour, notamment pour des raisons de coût). Ces expériences de surveillance reposent sur un ensemble de capteurscapteurs répartis sur la structure et qui sont sensibles à la variation de pression et aux vibrationsvibrations de la coque.
Futura : Des analyses relatives à la prolongation de la durée de vie de la station ont-elles déjà été réalisées ?
Walter Cugno : Oui, elles ont déjà été réalisées et n'ont pas révélé de points bloquants. Ces analyses devront être renouvelées en cas de prolongation de la durée de vie de l'ISS au-delà de 2028.
Futura : L’idée russe de séparer la partie russe du reste de la Station vous paraît-elle réalisable ?
Walter Cugno : La séparationséparation est faisable, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit facile à réaliser. Plus encore que les connexions physiquesphysiques, la séparation exigerait un changement fonctionnel de l'ISS dans la mesure où la partie russe de la station spatiale assure une fonction critique, et une redondance nécessaire en cas de scénario d'urgence mettant en danger la station et l'équipage, comme le contrôle de position de la station. Il faut également tenir compte qu'en supprimant un segment aussi important de l'ISS, le rôle qu'il joue en matièrematière de protection des autres modules contre les micrométéorites et les débris et son influence sur le comportement thermique devrait probablement être réévalué.
En outre, la capacité de reconfigurer et de mettre à niveau l'ISS en exécutant des tâches non planifiées ainsi que le temps estimé pour leur conception et leur développement, tels que la mise en œuvre de nouvelles interfaces fluidiques qui seraient forées directement en orbite, le nouveau routageroutage des faisceaux électriques, la mise à niveau du système Ethernet, ont permis de confirmer que la prolongation de la durée de vie de l'ISS est possible. L'un des paramètres à évaluer sera la potentielle dégradation opérationnelle des performances.