Une équipe d’archéologues a découvert en Amazonie un énorme système de centres urbains préhispaniques, caractérisé par des plates-formes et des places reliées par de grandes routes droites. Cette découverte suggère que cette société datant d’il y a environ 2 500 ans constitue le plus ancien et le plus grand centre urbain de faible densité documenté jusqu’à présent en Amazonie.


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    La forêt amazonienne, qui couvre près de sept millions de kilomètres carrés de l'Amérique du Sud, est une des trois forêts primaires les plus importantes du monde. Elle est notamment connue pour sa biodiversitébiodiversité très riche et sa forte densité de végétation (elle contient à elle seule près de 13 % des arbresarbres de notre Planète), mais également pour les nombreuses problématiques liées à sa déforestation, qui s'est grandement accélérée depuis le début du millénaire pour atteindre un niveau de perte annuelleannuelle de surface forestière de plus de 27 000 km² en 2004 !

    Dans ses zones forestières encore intactes, la forêt amazonienne demeure si dense qu'il est extrêmement difficile d'en étudier le sol, que ce soit à partir d'observations à distance ou in situ. Le manque de marqueurs archéologiques observés avait donc conduit les scientifiques à considérer cet écosystèmeécosystème comme inhospitalier, avançant qu'il n'était habité par le passé que par de petits groupes de chasseurs-cueilleurs. Mais de récentes découvertes tendent à montrer que des civilisations bien plus complexes et plus étendues se sont bel et bien développées dans la jungle amazonienne au cours des derniers millénaires, bien avant l'arrivée des premiers colons européens...

    La végétation de la forêt amazonienne est si dense qu'il est extrêmement difficile d'y identifier des structures anthropiques anciennes. © WWF
    La végétation de la forêt amazonienne est si dense qu'il est extrêmement difficile d'y identifier des structures anthropiques anciennes. © WWF

    De nombreuses civilisations pré-hispaniques en Amazonie ?

    La forêt amazonienne est très rarement associée à la notion d'urbanisation lorsqu'on évoque les temps pré-coloniaux de la région. Pourtant, dès 1541, l'explorateur espagnol Francisco de Orellana, qui menait une expédition le long du fleuve AmazoneAmazone, avait observé sur ses berges plusieurs constructionsconstructions citadines anciennes, sans pour autant que les autorités espagnoles n'accordent de crédit à sa découverte.

    Il fallut attendre les années 1980, soit plus de quatre siècles plus tard, pour que d'importantes fouilles archéologiques dans la région mettent en évidence de nombreuses constructions anciennes, démontrant l'existence de civilisations urbanisées bien avant l'arrivée des premiers colons européens sur le continent. De la Bolivie au Brésil, on retrouve par exemple parmi ces constructions, à l'image de l'ancien système urbain bolivien Llanos de Mojos, des canaux, des fortifications ou encore des routes, indiquant que les civilisations pré-hispaniques possédaient effectivement de remarquables compétences de construction, modifiant et aménageant leur environnement afin d'en adapter la morphologiemorphologie et la couverture végétale.

    De larges et profondes routes creusées dans le sol relient les différents centres urbains de la vallée d'Upano. © Rostain et <em>al.</em>, 2024
    De larges et profondes routes creusées dans le sol relient les différents centres urbains de la vallée d'Upano. © Rostain et al., 2024

    C'est dans cette volonté de mieux comprendre la complexité des civilisations pré-hispaniques que Stéphen Rostain, archéologue au CNRS, a débuté des fouilles il y a près de 30 ans autour de la vallée de l'Upano, en ÉquateurÉquateur, proche de la frontière entre la forêt et les Andes. L'équipe se concentrait initialement sur l'étude de deux importantes constructions, Sangay et Kilamope, y découvrant par exemple des poteries décorées de peinture et de lignes incisées, ainsi que de grandes cruches contenant les restes de la traditionnelle « chicha » -- une bière à base de maïsmaïs. Les datations au radiocarbone ont montré que les sites de la vallée d'Upano étaient occupés d'environ 500 ans avant notre ère à entre 300 et 600 après notre ère, soit il y a plus de 2 500 ans !

    Une organisation urbaine ancienne et complexe en Amazonie ?

    L'exploration de la forêt amazonienne est si laborieuse que l'équipe d'archéologues a dû attendre 2015 pour que l'Institut national pour l'héritage culturel de l'Équateur finance une exploration Lidar (Laser imaging detection and ranging)) de la région. Cette technologie permet de percer à travers la végétation très dense de la forêt : des avions spécialement équipés émettent des impulsions laser vers la forêt et mesurent leur trajectoire de retour, révélant des caractéristiques topographiques autrement invisibles sous la canopéecanopée.

    Les données recueillies ont révélé l'extrême complexité de ces aménagements urbains, jusqu'alors demeurée secrète, présentée dans une étude publiée dans la revue Science. Les archéologues mirent ainsi en lumière cinq grandes zones de constructions ainsi qu'une dizaine plus petites rien que dans les 300 km² étudiés autour de la vallée d'Upano, chacune densément remplies de structures résidentielles ou cérémonielles.

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    L'agriculture a commencé il y a 10.000 ans en Amazonie

    D'après leurs découvertes, ces « villes » étaient reliées entre elles par de larges routes droites, et des rues traversaient les quartiers des différentes colonies. Ces dernières étaient vraisemblablement séparées par de grands champs agricoles rectangulaires, où les habitants cultivaient manioc, maïs et patate doucepatate douce (trouvés dans des fouilles passées).

    À gauche, carte de la vallée de l'Upano présentant cinq centres urbains majeurs et dix sites plus petits. À droite, carte du réseau routier creusé par les civilisations préhispaniques. © Rostain et <em>al.</em>, 2024
    À gauche, carte de la vallée de l'Upano présentant cinq centres urbains majeurs et dix sites plus petits. À droite, carte du réseau routier creusé par les civilisations préhispaniques. © Rostain et al., 2024

    Bien que les archéologues ne parviennent pas à estimer précisément le nombre d'habitants de la région à cette époque, leur étude suggère que ces organisations urbaines étaient si étendues qu'elles pourraient rivaliser avec le développement des cités mayas. Selon les chercheurs, le réseau de routes reliant les colonies entre elles suggère qu'elles ont toutes existé à la même époque, près d'un millénaire avant l'avènement d'autres civilisations complexes dans la région. C'est ainsi l'organisation urbaine la plus ancienne et complexe découverte à ce jour en Amazonie.

    Si de plus amples études sont nécessaires pour comprendre la complexité, l'organisation et l'envergure de ces civilisations, ces travaux montrent qu'encore aujourd'hui, nos connaissances concernant les civilisations passées peuvent être largement étayées.