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La zone bleutée indique la zone impliquée dans la production de gamètes perturbée en l’absence de l’expression du gène Argonaute 9. Sans la protéine Argonaute, la plante produit de manière asexuée des gamètes anormaux à 2n chromosomes. © HHMI
Chaque année, les agricultures du monde entier dépensent plus de 26,5 milliards d'euros pour acheter leurs semences. Ces graines disposent de particularités spécifiques telles qu'un taux de productivité élevé ou encore une résistancerésistance à certaines maladies. Malheureusement, lors de la reproduction sexuée des plantes issues de ces semences, la séparationséparation et le mélange des chromosomeschromosomes font disparaître le plus souvent ces caractéristiques. Les agriculteurs doivent donc racheter de nouvelles semences pour conserver les mêmes performances.
Depuis dix ans, Jean-Philippe Vielle-Calzada, du Howard Hughes Medical Institute (HHMI), cherche à transformer les plantes agricoles, à reproduction majoritairement sexuée, en plantes à reproduction asexuée grâce à l'apomixie.
En effet, chez certaines plantes, comme le pissenlitpissenlit ou le peuplier, un mécanisme de reproduction asexuée, l'apomixie, aboutit à la production d'un clone naturel qui dispose de toutes les caractéristiques du plant-mère.
L'apomixie est un mode de reproduction asexuée, sans méioseméiose ni fécondationfécondation. Les espèces apomictiquesapomictiques peuvent ainsi produire des graines génétiquement identiques au plant-mère. Ce mécanisme existe chez 350 familles végétales environ mais est rare chez les plantes alimentaires. Rendre les végétaux cultivés apomictiques permettrait donc de ressemer d'une génération à l'autre les plants cultivés, sans risque de dégradation des caractéristiques génétiquesgénétiques initiales.
« Les sociétés agricoles et les agriculteurs de par le monde ont un énorme intérêt pour cette méthode, explique Jean-Philippe Vielle-Calzada. Elle leur permettrait de simplifier la fécondation croisée NDLRNDLR: entre deux plantes différentes d'une même espèce, par opposition à l'autofécondation], fortement consommatrice de main d'œuvre, utilisée actuellement pour produire des graines saines avec les caractéristiques désirées. »
En se basant sur l'organisme modèleorganisme modèle Arabidopsis thalianaArabidopsis thaliana, l'équipe de Jean-Philippe Vielle-Calzada a identifié plusieurs gènesgènes impliqués dans la production de gamètesgamètes femelles. L'un d'entre eux a particulièrement retenu l'attention des chercheurs. Il s'agit du gène Argonaute 9. Les protéinesprotéines de la famille Argonaute contrôlent en effet l'expression des gènes en coupant les ARNARN avant leur traduction en protéines.
La lutte des argonautes et des transposons
C'est la première fois qu'un gène de cette famille est observé dans les cellules reproductrices d'Arabidopsis thaliana. L'étude de mutants dont ce gène était défectueux a montré que sans la protéine Argonaute 9, codée par le gène du même nom, l'ovuleovule végétal ne produit plus un seul gamète femelle haploïdehaploïde, mais plusieurs gamètes anormaux diploïdesdiploïdes. Ceux-ci n'ont donc pas subi de méiose.
Signalons au passage que l'ovule, en botanique, désigne la structure (macrosporange) qui produit le gamète femelle. Cette structure est composée de plusieurs cellules, contrairement à l'ovule animal, constitué d'une cellule unique.
« Il semble qu'Argonaute empêche normalement [les] cellules [de l'ovule] de se transformer en précurseurs de gamète, interprète Jean-Philippe Vielle-Calzada. Il est possible, ajoute-t-il, que les plantes aient une très ancienne mémoire qui leur permet de se reproduire de manière asexuée ». Ce gène préviendrait donc l'apomixie chez les plantes à reproduction sexuée.
En cartographiant l'origine des brins d'ARN affectés par la protéine Argonaute 9, il est apparu que plus de 50% d'entre eux étaient produits par des transposons, ces fameux éléments génétiques sauteurs. « Il semble que cette Argonaute 9 inhibe les transposons dans l'ovule d'Arabidopsis. La question maintenant ouverte est : pourquoi ? » s'interroge Jean-Philippe Vielle-Calzada.
Quoiqu'il en soit, un pas de plus a été fait dans la transformation des plantes agricoles en plantes apomictiques. Cependant, les mutants sélectionnés actuellement ne développent pas complètement des graines asexuées. « Il ne nous reste plus qu'à découvrir comment déclencher la seconde et dernière étape de la transformation des plantes à reproduction sexuée en plante à reproduction asexuée » conclut, optimiste, Jean-Philippe Vielle-Calzada.