Se filmer à 360° avec une caméra d’action puis partager ses exploits en réalité virtuelle avec ses amis. Tel est le principe de Motion Recall, une technologie issue du CEA mise au point par une société française. Munies de casques de réalité virtuelle, plusieurs personnes peuvent revivre un événement sous divers points de vue et même changer le cours d’une action. Les explications avec notre interview exclusive de Paul Greve, directeur marketing de Motion Recall.


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    Ces dernières années, les caméras d'action ont connu un essor fulgurant sous l'impulsion de la marque nord-américaine GoPro à laquelle de nombreux autres fabricants ont emboîté le pas (Garmin, Sony, TomTom, Panasonic, Xiaomi...). Au-delà du plaisir de se filmer à la première personne pour revivre ses exploits, la dimension de partage est aussi très importante. Admirer un surfeur traverser des rouleaux comme si on y était, se mettre dans la peau d'un pratiquant de base jump ou dans celle d'un as du VTT de descente est autrement plus exaltant que de voir la même chose filmée par une caméra tierce.

    Et si l'on pouvait aller encore plus loin grâce à la réalité virtuelle, en revivant de tels exploits sous tous les points de vue possibles et même en changeant le cours d'une action ? Cette technologie existe et elle conçue en France par des équipes issues du CEA (Commissariat à l'énergieénergie atomique et aux énergies alternatives) à Saclay et à Grenoble.

    Motion Recall est une jeune pousse qui ambitionne de créer la GoPro du futur en introduisant des possibilités d'interaction inédites. « Notre produit repose sur plusieurs technologies provenant du CEA ainsi qu'une vingtaine de brevets », nous a expliqué Paul Greve, le directeur marketing de cette entreprise installée à Seyssins, en Isère. Il s'agit d'un système de caméra à 360° associée à des capteurscapteurs de mouvementmouvement. La vidéo créée à l'aide de cet équipement va ensuite être traitée par ordinateur afin de devenir un environnement virtuel qui pourra être partagé.

    Motion Recall offre la possibilité de visionner l'action non plus seulement en vue subjective via l'œilœil de la caméra, mais à la troisième personne. Avant de débuter sa session, il faut créer un avatar de soi-même en s'équipant de bracelets capteurs de mouvement placés sur les quatre membres. Puis, on se filme avec la caméra 360°. Ensuite, on peut fixer cette dernière au-dessus de la tête ou sur la poitrine, comme une caméra d'action type GoPro. Il ne reste plus qu'à partir skier, pédaler, courir, etc.

    Avant de débuter une activité, l’utilisateur du système Motion Recall doit créer un avatar en se filmant avec la caméra 360° qui détecte les capteurs de mouvement placés sur les quatre membres. C’est cet avatar qui permettra, grâce à la puissance de calcul d'un ordinateur, de changer de point de vue une fois immergé dans la vidéo avec un casque de réalité virtuelle. © Motion Recall
    Avant de débuter une activité, l’utilisateur du système Motion Recall doit créer un avatar en se filmant avec la caméra 360° qui détecte les capteurs de mouvement placés sur les quatre membres. C’est cet avatar qui permettra, grâce à la puissance de calcul d'un ordinateur, de changer de point de vue une fois immergé dans la vidéo avec un casque de réalité virtuelle. © Motion Recall

    Motion Recall sortira son kit grand public en 2018

    De retour chez soi, la vidéo doit être transférée sur un ordinateur afin de la convertir en un environnement virtuel et interactifinteractif auquel plusieurs personnes vont pouvoir accéder en même temps, exactement comme dans un jeu vidéo multijoueur. « Pour faire une comparaison, c'est un peu comme si vous disposiez d'une équipe de tournage qui vous filmerait sous de multiples points de vue lorsque vous pratiquez une activité de plein airair ou en intérieur », poursuit notre interlocuteur.

    Ainsi, équipé d'un casque de réalité virtuelle, on peut revivre l'action comme si quelqu'un d'autre l'avait filmée avec une seconde caméra et changer de point de vue à loisir : se voir de dosdos, de face, de côté, du dessus. Mieux, comme nous l'a expliqué Paul Greve dans l'entretien ci-dessous, il est même possible de jouer les sorciers en modifiant le cours d'une action. Selon lui, les applicationsapplications potentielles vont bien au-delà des loisirs et la réalité virtuelle n'est qu'une première étape.

    Motion Recall compte lancer son produit grand public fin 2018 à un prix « sensiblement comparable à celui d'une GoPro de haut de gamme ». Le kit comprendra la caméra 360° de Motion Recall ainsi que les capteurs nécessaires à la capture de mouvement.

    Motion Recall exploite un moteur de simulation du CEA Saclay conçu pour étudier des systèmes de cobotique. © Motion Recall
    Motion Recall exploite un moteur de simulation du CEA Saclay conçu pour étudier des systèmes de cobotique. © Motion Recall

    Vous dites que Motion Recall permet de « changer le passé » en modifiant l’action après coup. Y a-t-il des limites ?

    Paul Greve : Je vous rassure tout de suite, il n'y a pas de magie derrière tout cela ! Nous utilisons un simulateur développé par le CEA Saclay. Il a été conçu à l'origine pour le monde de l'industrie afin d'étudier les phénomènes de frottements et de stressstress du corps humain dans les gestes que font les opérateurs. Nous employons ce moteur pour animer un avatar numérique.

    Nous faisons ce que l'on appelle de l'apprentissage d'objets, c'est-à-dire que nous modélisons l'environnement en 3D avec tout ce qu'il contient, ce qui nous permet de faire de la substitution d'image. Techniquement, il est possible de tout changer, mais cela peut donner des résultats aberrantsaberrants. Il y a donc des limites d'usage, de bon sens.

    Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets ?

    Paul Greve : On va pouvoir reprendre la séquence d'un skieur amateur et lui faire exécuter un saut tel un champion de ski. L'utilisateur peut changer le saut enregistré et, par exemple, choisir le nombre de saltos qu'il souhaite exécuter et simuler ce nouveau saut en tenant compte des lois physiquesphysiques.

    De même, il sera possible de filmer une activité et de bouger les objets qui auront été reconnus. Par exemple, en filmant une activité, le système de Motion Recall aura reconnu une bouteille d'eau posée sur une table. En visualisant la scène avec son casque de réalité virtuelle, l'utilisateur pourra se saisir de la bouteille et la déplacer sur la table virtuelle bien qu'elle n'ait pas bougé dans la vie réelle.

    Pour fonctionner, votre système demande une importante puissance de calcul ainsi qu’une connexion Internet très performante. N’est-ce pas un frein ?

    Paul Greve : Nous travaillons actuellement sur l'accélération du temps de calcul. Plusieurs options sont possibles pour la transformation de la vidéo en environnement virtuel : un transfert vers nos serveursserveurs via une connexion InternetInternet haut débitdébit par fibre optiquefibre optique ; du calcul distribué sur place entre plusieurs équipements domestiques (ordinateur, console de jeu, smartphone) synchronisés par la box Internet ; du calcul en parallèle en exploitant les capacités des processeurs graphiquesprocesseurs graphiques multicoeur par découpage du contenu en petits morceaux qui peuvent être traités simultanément puis réassemblés. J'ajouterais que nous nous adressons à des utilisateurs qui sont familiers de ces technologies vidéo et de leurs exigences. Ils sont prêts à accepter un temps de traitement indispensable. Cette attente est compensée par les possibilités qu'offre notre solution.

    Outre la pratique de sports et d’activités de plein air, quelles sont les autres applications possibles pour Motion Recall ?

    Paul Greve : Grâce à la précision de notre procédé de modélisationmodélisation, nous pouvons développer toute sorte d'applications professionnelles ou semi-professionnelles. Par exemple, un artisan pourrait s'enregistrer en train d'accomplir une manipulation qui requiert une certaine technique et la partager via une plateforme de monétisation. Des clubs de sport pourraient se servir de Motion Recall pour filmer leurs adhérents afin de les aider à parfaire leur technique en s'observant sous toutes les coutures. Idem pour les entraîneurs de sportifs de haut niveau, car notre système peut gérer jusqu'à 16 capteurs de mouvement. Les médecins traitant les maladies neurodégénérativesmaladies neurodégénératives pourraient mieux suivre la dégradation de la gestuelle d'un patient.

    L’apprentissage de gestes techniques ne serait-il pas plus aisé avec de la réalité augmentée ?

    Paul Greve : La réalité augmentéeréalité augmentée sera en effet plus judicieuse pour une intervention en temps réel. À terme, nous comptons d'ailleurs transposer la technique Motion Recall de la réalité virtuelle à la réalité augmentée. Mais nous attendons pour cela que les casques de réalité augmentée soient vraiment arrivés au niveau du grand public, ce qui devrait se faire aux alentours de 2020.