Manipuler des bits d’informations demande de l’énergie. Un groupe de physiciens français et allemands vient de vérifier que le minimum d’énergie nécessaire pour effacer un bit est bien donné par la formule de Rolf Landauer. L’information est physique et il faut en tenir compte pour concevoir des ordinateurs.

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    Léon Brillouin (1889-1969), physicien franco-américain, a été un des pionniers de la théorie quantique des solides et de la théorie de l'information. © AIP Emilio Segrè Visual Archives

    Léon Brillouin (1889-1969), physicien franco-américain, a été un des pionniers de la théorie quantique des solides et de la théorie de l'information. © AIP Emilio Segrè Visual Archives

    C'est en grande partie grâce aux travaux d'Alan Turing, dont on fête cette année le centenaire, que l'informatique théorique a pu naître au lendemain de la seconde guerre mondiale. À cette époque, si les lois physiquesphysiques de l'atomeatome et du noyau ont été décryptées, celles de la vie et de l'esprit ne le sont pas. Bien des chercheurs se tournent donc vers l'élucidation des bases physiques de l'hérédité et de la conscience.

    Comme les cellules et le cerveau sont des systèmes physiques et chimiques complexes, les physiciensphysiciens et les mathématiciensmathématiciens d'alors vont employer des considérations de thermodynamiquethermodynamique statistique pour tenter d'en percer les secrets. C'est ce que fera Schrödinger dans son célèbre ouvrage Qu'est ce que la vie ?, qui influencera plusieurs des pionniers de la biologie moléculairebiologie moléculaire, dont le découvreur de la structure de l'ADNADN, Francis CrickFrancis Crick.

    Or, depuis la découverte, par Boltzmann (l'un des principaux fondateurs de la thermodynamique statistique) et d'autres chercheurs, d'un rapport entre la notion d'entropieentropie et de désordre d'un système physique, on a commencé à réfléchir sur des liens entre la thermodynamique et l'ordre, c'est-à-dire l'information. On peut citer les travaux de Leó Szilárd sur le démon de Maxwell et ceux de Léon Brillouin.

    Le développement des premiers ordinateurs, que Turing et Von Neumann ont présenté comme une clé fondamentale pour percer les secrets du cerveaucerveau et de l'intelligence artificielle, conduira aussi à des réflexions sur les rapports entre thermodynamique et information.

    Les ordinateurs sont bien sûr des machines physiques et il faut tenir compte des coûts énergétiques engendrés par des calculs, l'enregistrement et la lecture des bits d'information ainsi que des dissipations d'énergieénergie sous forme de chaleurchaleur. Dans un contexte où les liens entre thermodynamique et information étaient l'objet de bien des interrogations, Rolf Landauer, chez IBMIBM, a cherché à déterminer la quantité minimale d'énergie nécessaire pour manipuler un unique bit d'information dans un système physique donné.

    Le physicien Rolf Landauer (1927–1999) est célèbre pour avoir dit : « L'information est physique ». © AIP Emilio Segrè Visual Archives

    Le physicien Rolf Landauer (1927–1999) est célèbre pour avoir dit : « L'information est physique ». © AIP Emilio Segrè Visual Archives 

    Une limite thermodynamique pour les nanosciences

    En 1961, il obtient comme réponse kT x Ln(2), où k est la constante de Boltzmannconstante de Boltzmann et T la température du système physique considéré. À température ambiante, cette énergie vaut environ 10-21 joulejoule. C'est le principe de Landauer.

    Il aura fallu presque cinquante ans pour que l'on prouve que Landauer avait raison. C'est en effet ce qu'est parvenu à faire un groupe de chercheurs du laboratoire de physique de l'école normale supérieure de Lyon en collaboration avec un groupe allemand de l'université de Augsburg, dont les explications sont publiées dans Nature.

    Pour cela, les chercheurs se sont contentés de réaliser une expérience sur un système physique simple, car les lois de la thermodynamique s'appliquent à tous les systèmes physiques sans distinction (en principe du moins). Ils ont manipulé une bille en silicesilice de 2 micronsmicrons plongée dans un liquideliquide à l'aide d'une « pince optique ». Des faisceaux laserslasers pouvaient piéger la bille dans deux positions d'équilibre. En faisant s'écouler ce liquide, il était possible de faire passer la bille de l'une des positions vers l'autre, à volonté. Ces passages étaient donc l'équivalent de l'inscription ou de l'effacement d'un bit d'information sous forme de 1 ou de 0. On a pu mesurer une énergie minimale nécessaire à l'opération et elle s'est révélée en plein accord avec la formule de Landauer.

    Si les ordinateurs actuels ne sont pas encore concernés par la limite de Landauer, ils pourraient le devenir dans le futur. Plus généralement, des nanomachines manipulant de l'information doivent elles aussi être confrontées à la même limite. Quelle que soit la nanotechnologie du futur, elle devra donc en tenir compte.