A mesure que les études analysant l'ampleur du phénomène P2P se multiplient, il paraît certain que les films y jouent un rôle important et grandissant.

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    P2P : le rôle grandissant des films sur les réseaux

    P2P : le rôle grandissant des films sur les réseaux

    Le sondage réalisé en avril dernier par MédiamétrieMédiamétrie pour le compte du Centre National de la Cinématographie (CNC) avait fait grand bruit en son temps. On y concluait que "3 millions de pirates de films" sévissaient en France - ou en tout cas que 3 millions d'internautes français avaient déjà téléchargé gratuitement des films sur l'internet. Benoît Danard, chef du service Etudes, Statistiques et Prospective du CNC écrivait en septembre dans les Nouveaux Dossiers de l'Audiovisuel de l'INA que "au total, les pirates déclarent télécharger en moyenne 11 films par mois", conduisant à penser que "la piraterie de films sur l'internet n'est absolument plus une pratique marginale".

    Une étude plus récente, menée par Cachelogic pendant six mois auprès des FAI, conclut également que le fait que les réseaux P2P servent essentiellement à se procurer de la musique est un "mythe". "Dans son immense majorité, le trafic provenant du P2P concerne des fichiers d'une taille supérieure à 100 Mo", explique Cachelogic, ajoutant que "chez l'un des FAI étudié, près de 30% du trafic total provenait d'un seul fichier de 600 Mo, peu de temps après la sortie d'un gros film au cinéma...".

    Une autre étude du CNC, publiée en octobre 2004 et portant précisément sur "L'offre 'pirate' de films sur Internet" confirme cette tendance. "36,4 % des films sortis en salles en France entre le 1er août 2003 et le 31 juillet 2004 sont disponibles en version française pirate sur les réseaux P2P" y lit-on. Et malgré un petit "retard" du P2P français, puisqu'au total "seuls 24,0 % des films français sortis en salles sont piratés sur Internet, contre 84,8 % des films américains", l'étude constate que "plus d'un tiers des films piratés sur Internet sont disponibles avant leur sortie dans les salles françaises".

    En France, la disponibilité depuis peu d'un utilitaire, eD2K History, destiné à suivre l'évolution des fichiers les plus demandés sur le réseau eDonkeyeDonkey, montre clairement un lien entre la diffusiondiffusion d'un film à la télévision et la popularité du fichier correspondant sur le réseau P2P. Après un passage TV, les demandes du fichier augmentent significativement, parfois d'un facteur deux ou trois, comme le souligne Ratiatum, qui propose une interprétation du phénomène : "Internet devient un véritable substitut au magnétoscope" (d'autres interprétations sont néanmoins possibles).

    Tout cela amène deux constats. D'abord que le P2P n'est plus du tout - peut-être même de moins en moins - limité à la musique. Ensuite, et surtout, que ce ne sont pas exactement les mêmes causes qui poussent les internautes au téléchargement de musique et de films.

    Les causes profondes du P2P, en tant que phénomène de massemasse, sont probablement multiples et complexes, et nous n'en débattrons pas ici. Tout au moins peut-on admettre, pour ce qui concerne la musique, que le prix de vente des CD n'est pas totalement étranger à la popularité du P2P. Curieusement, on cite souvent un chiffre, provenant d'une étude réalisée en 2001, selon lequel 20% des utilisateurs continueraient à utiliser les réseaux P2P même si les CD étaient gratuits. Souvent utilisé pour démontrer que l'échange de fichiers musicaux en P2P dépasse la simple logique budgétaire des consommateurs, ce "résultat" est pourtant sujet à caution. Comme le souligne Tariq Krim la même étude indique en effet que "79% des utilisateurs de P2P rachèteraient des CD si leur prix était de 1$ pièce", et si parmi les principales motivations des utilisateurs P2P figurent au premier plan "un accès rapide et facile" à la musique ou "l'accès à des titres rares", plus de la moitié des utilisateurs (59%) reconnaissent qu'ils sont motivés par le fait "que c'est gratuit". Tariq Krim ajoute du reste que "ces données datant de 2001, il est probable que le comportement des usagers de P2P change. La propension à payer pour un service de qualité et offrant une grande diversité a probablement augmenté".

    Voici donc une bonne nouvelle pour l'industrie musicale. Le prix de vente d'un album au format fichier sur les différentes plates-formes est souvent de l'ordre de 10 euros, soit 30 à 50% moins cher que son équivalent sur un CD audio. Et l'on peut penser qu'il suffirait de baisser encore significativement ce prix, en bénéficiant du coût réduit de cette nouvelle forme de distribution qui s'affranchit de tous les supports physiquesphysiques, pour enrayer une bonne part du téléchargement illégal de musique.

    Mais on ne peut pas dire la même chose des films, pour l'instant en tout cas. "En ce qui concerne les films américains, les copies 'pirates' apparaissent sur les réseaux P2P en moyenne 17 jours avant leur sortie en salles en France", souligne le CNC dans son étude sur "l'offre", ajoutant "que plus de 90% des films piratés et déjà sortis en salles, qu'ils soient américains ou français, sont disponibles sur les réseaux P2P avant leur sortie en DVD sur le territoire français". On comprend alors qu'en matièrematière de films, le P2P n'est pas une simple aubaine financière pour les internautes : il fournit un moyen de s'affranchir des délais imposés par les circuits de distribution traditionnels. En résumé, pour la musique, l'une des fortes motivations des utilisateurs P2P, c'est la gratuité. Mais pour les films, c'est la primeur.

    Et cela est sans doute encore plus vrai pour les séries télévisées, notamment américaines. Par exemple, la diffusion de la 3e saisonsaison de la série "24 heures chrono" vient de s'achever sur Canal+, et TF1 a annoncé que la série fera partie de sa grille de programmes 2004-2005. Mais la série est également disponible en P2P, et ce depuis très longtemps. En fait, dès qu'un épisode est diffusée pour la première fois sur une chaîne TV américaine, on le retrouve dans les heures qui suivent en téléchargement, donc plusieurs mois, voire plusieurs années, avant leur diffusion sur une chaîne française.

    Un autre bon exemple est la série "The Shield". Très populaire aux Etats-Unis, cette série policière, qui pour certains a révolutionné le genre et dont l'un des acteurs vient d'être nominé aux Golden Globes, est diffusée depuis mars 2002 aux Etats-Unis. La 3e saison de la série s'est terminée en juin 2004. En France, Canal +, après avoir diffusé la première saison à partir d'avril 2004, a annoncé la 2e saison pour début 2005, soit exactement deux ans après les Etats-Unis. Quant au DVD de la première saison, il est annoncé en version française pour février 2005, soit trois ans après la diffusion de cette saison aux Etats-Unis. Malgré ce décalage, on trouve sur le web plusieurs sites de fans, francophones et bien achalandés. Ces sites ne diffusent pas de vidéos de la série, ce qui serait illégal, mais la lecture des forums de discussion qui s'y trouvent laisse peu de doute quant à la capacité des fans d'attendre plusieurs années pour avoir le droit de regarder la suite de leur feuilleton favori. Mieux, on y trouve des fichiers audio, enregistrés par des fans francophones, qui correspondent aux sous-titres en français, synchronisés avec l'image vidéo. Il va de soi que les sous-titres de la saison 3, qui n'a donc pourtant jamais été diffusée sur aucune chaîne française, sont également disponibles.