La société D-Wave Systems vient de fournir à la Nasa et à Google un calculateur quantique de 512 qubits alors que les laboratoires de par le monde n'arrivent à travailler qu'avec une dizaine de qubits. Est-ce le début de la révolution des ordinateurs quantiques ?

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    Richard Feynman en séminaire au Cern, en 1965 juste après avoir reçu son prix Nobel. C'est l'un des pères de la théorie des ordinateurs quantiques. © IOP, Cern

    Richard Feynman en séminaire au Cern, en 1965 juste après avoir reçu son prix Nobel. C'est l'un des pères de la théorie des ordinateurs quantiques. © IOP, Cern

    Surprise de taille, le mois dernier, quand il a été révélé qu'un calculateur quantiquecalculateur quantique utilisant 512 qubitsqubits était en cours d'installation dans un laboratoire hébergé par le fameux Ames Research Center de la NasaNasa. Acquis par Google pour équiper son Quantum Artificial IntelligenceIntelligence Lab, il sera utilisé en partenariat avec la Nasa et la USRA (Universities Space Research Association).

    Le calculateur en question n'est autre que D-Wave Two, commercialisé depuis peu par la société canadienne D-Wave Systems. Comme son prédécesseur, ce calculateur est censé utiliser l'intrication quantique pour mettre en œuvre un algorithme quantique de recuit simulé avec des qubits. Il utiliserait des circuits supraconducteurssupraconducteurs, non pas pour effectuer des calculs avec des portesportes logiques (comme c'est d'ordinaire le cas avec des ordinateurs, y compris quantiques), mais afin d'utiliser une technique dite de calcul quantique adiabatiqueadiabatique.


    Une vidéo au sujet de l'ordinateur quantique et des recherches menées dans ce domaine en 2009 au CEA. © universcienceTV, YouTube

    Des calculateurs quantiques pour l'apprentissage automatique

    Les algorithmes de recuit simulé permettent de résoudre des problèmes d'optimisation, auxquels la Nasa est confrontée depuis longtemps. C'est pourquoi elle utilise des supercalculateurs comme ceux qui se sont succédé dans son célèbre département, connu sous le nom de Nasa Advanced Supercomputing (NAS) Facility.

    En optant pour le D-Wave Two, la Nasa confirme qu'elle espère bien explorer les possibilités des calculateurs quantiques pour résoudre plus efficacement qu'avec des ordinateurs classiques divers problèmes, tels que le trafic aérien, la planification de missions ou d'autres relevant de la robotique et de la recherche d’exoplanètes. Pour sa part, GoogleGoogle compte sur le potentiel des calculateurs quantiques pour optimiser la recherche dans des bases de données, la reconnaissance vocale, mais surtout l'apprentissage automatique (machine learning en anglais).

    La société canadienne D-Wave Systems commercialise des calculateurs quantiques (photo ci-dessus). Deux générations de ces calculateurs utilisant un processeur avec des circuits quantiques supraconducteurs se sont succédé. © D-Wave Systems

    La société canadienne D-Wave Systems commercialise des calculateurs quantiques (photo ci-dessus). Deux générations de ces calculateurs utilisant un processeur avec des circuits quantiques supraconducteurs se sont succédé. © D-Wave Systems

    Rappelons que l'apprentissage automatique est l'un des champs d'étude de l'intelligence artificielle concerné par le développement, l'analyse et la mise en œuvre de méthodes automatisables qui permettent à une machine d'évoluer grâce à un processus d'apprentissage. On ne peut s'empêcher de penser que la fondation du Quantum Artificial Intelligence Lab par Google n'est pas sans relation avec son recrutement récent de Ray Kurzweil, véritable gourou du transhumanismetranshumanisme.

    L’obstacle de la décohérence quantique

    Comme l'expliquait un précédent article de Futura-Sciences consacré à l'achat du D-Wave Two par Google, la communauté scientifique fait preuve d'un grand scepticisme vis-à-vis de ce calculateur. D'abord parce que la société D-Wave Systems n'a pas vraiment fourni de preuves qu'elle était parvenue à intriquer plus de 100 qubits pour faire des calculs quantiques. Mais surtout parce que cette performance semble impossible ou presque à beaucoup, à cause du fameux obstacle de la décohérence.

    Serge Haroche est devenu mondialement célèbre en 1996, grâce à une publication portant sur les expériences effectuées avec ses collègues sur le mécanisme de la décohérence. Ce mécanisme avait été proposé il y a des années par le physicien Wojciech Zurek pour résoudre le célèbre paradoxe du chat de Schrödinger. Il s’agit d’un problème fondamental de l’interprétation de la mécanique quantique, auquel Zurek a beaucoup réfléchi avec le grand physicien John Wheeler. © Collège de France

    Serge Haroche est devenu mondialement célèbre en 1996, grâce à une publication portant sur les expériences effectuées avec ses collègues sur le mécanisme de la décohérence. Ce mécanisme avait été proposé il y a des années par le physicien Wojciech Zurek pour résoudre le célèbre paradoxe du chat de Schrödinger. Il s’agit d’un problème fondamental de l’interprétation de la mécanique quantique, auquel Zurek a beaucoup réfléchi avec le grand physicien John Wheeler. © Collège de France

    Le problème de la décohérence peut se comparer à la constructionconstruction d'un château de cartes : chaque carte représente un qubit. Pour bâtir un processeur, il faut fabriquer un château, le plus grand possible si l'on veut un gros processeur. La décohérence, c'est un coup de ventvent qui vient abattre l'édifice. Pour parer à ce problème, il faut isoler notre château de son environnement, et en particulier de tout souffle de vent. Imaginons donc que ce château de cartes soit un calculateur très puissant, mais qu'il s'écroulerait si souvent et si vite qu'aucun calcul pratique n'aurait le temps d'être réalisé.

    Voilà où on en est : ça pourrait marcher, mais on n'a toujours pas réussi à colmater toutes les fuites qui font passer les courants d'airair. Quoique si : on a montré qu'un château avec une ou deux cartes pouvait rester debout assez longtemps. Ce n'est pas encore Versailles, mais après tout, bien peu à l'époque du Roi SoleilSoleil pensaient qu'ils pourraient un jour admirer l'édifice achevé. Mais alors, pourquoi un processeur classique, dont le fonctionnement qui, au fond, repose aussi sur les lois de la mécanique quantique marche-t-il si bien ? Disons qu'on met de la colle entre chaque carte, ce qui aide quand souffle la tempêtetempête...

    Une intelligence artificielle quantique problématique

    Résumons la chose, calcul long et complexe veut dire : gros château de cartes bien isolé de son environnement pour avoir le temps de mener à bien le calcul. Isoler, c'est par exemple supprimer toutes les vibrationsvibrations mécaniques, mais surtout refroidir le processeur à une température proche du zéro absoluzéro absolu. C'est la raison pour laquelle beaucoup ne croient pas que l'on puisse expliquer la conscience associée au cerveau humain, en avançant l'hypothèse que celui-ci serait en fait un ordinateur quantique, ou qui opérerait selon les idées de Roger Penrose. Selon l'opinion générale, il serait impossible de construire de gros châteaux quantiques bien isolés.

    Laurent Saminadayar travaille sur des problèmes de cohérence quantique en physique mésoscopique à l'Institut Néel. © Institut Néel, 2012

    Laurent Saminadayar travaille sur des problèmes de cohérence quantique en physique mésoscopique à l'Institut Néel. © Institut Néel, 2012

    Alors, Google et la Nasa sont-ils malgré tout sur la route qui mènera dans peu de temps à la création du Skynet de Terminator avec D-Wave Two, en dépit du murmur de la décohérence ?

    Pour tenter de le savoir Futura-Sciences a demandé à Laurent Saminadayar ce qu'il pensait des affirmations de D-Wave Systems concernant ses calculateurs quantiques. Professeur à l'université Joseph FourierJoseph Fourier, membre de l'Institut universitaire de France, le chercheur est membre de l'équipe Cohérence quantique du célèbre Institut Néel de Grenoble. Retrouvez son interview, dans l'article qui fera suite à celui-ci.