Deux processeurs quantiques en ligne, dont l'un d'IBM, ont été utilisés pour calculer l'énergie de liaison d'un noyau de deutérium. Après la chimie quantique, les ordinateurs quantiques débarquent donc en physique nucléaire.


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    Une équipe de chercheurs états-uniens du laboratoire national d'Oak Ridge, dans le Tennessee, aux États-Unis (il a été fondé dans le cadre du projet Manhattan), vient de déposer sur arXiv un article qui montre que les spéculations de Richard FeynmanRichard Feynman concernant les désormais mythiques ordinateurs quantiques sont bel et bien en train de sortir du domaine du rêve, lentement mais sûrement. Cet article illustre aussi le fait que la course à ces machines n'est pas seulement une affaire de hardware mais aussi de softwaresoftware. Enfin, il montre également qu'il est possible de permettre à différentes personnes (par exemple celles voulant faire de la chimiechimie quantique) d'utiliser efficacement ces ordinateurs.

    Les physiciensphysiciens se sont en effet servis de deux de ces ordinateurs, disponibles dans le cloud. Ces derniers ont été mis à la disposition de la communauté scientifique par IBM et une jeune start-up californienne, Rigetti Computing, fondée en 2013 à Berkeley par Chad Rigetti, un physicien ayant déjà travaillé sur les ordinateurs quantiques chez IBM et qui a étudié sous la direction du Français Michel Devoret.

    Le processeur quantique de Rigetti, 19Q. © Rigetti
    Le processeur quantique de Rigetti, 19Q. © Rigetti

    Un problème à N corps avec des qubits

    Ces scientifiques ont eu recours à la plate-forme en ligne appelée IBM Quantum Experience donnant accès au processeur quantique d'IBM contenant 16 qubitsqubits. Ils se sont tournés également vers la machine 19Q de Rigetti qui, comme son nom le laisse deviner, possède, elle, 19 qubits. Dans les deux cas, il s'agit de permettre aux physiciens de programmer directement des ordinateurs quantiques pour leurs besoins spécifiques, et ce sans avoir à se transformer en informaticiens quantiques.

    L'objectif était toujours dans la droite ligne des idées de Feynman, c'est-à-dire montrer que des ordinateurs exploitant directement des lois quantiques sont plus performants que des ordinateurs classiques pour simuler et calculer le comportement de systèmes quantiques, en particulier lorsqu'il s'agit de résoudre des problèmes à N corps, comme on dit dans le jargon des physiciens.

    En l'occurrence, il s'agissait de décrire une partie des propriétés d'un noyau de deutérium, plus précisément de calculer son énergieénergie de liaison. Comme il s'agit de l'état lié d'un protonproton avec un neutronneutron, cette liaison doit être décrite avec un modèle simplifié des forces nucléaires entre ces deux nucléonsnucléons. L'entreprise s'est révélée un succès car elle a permis de calculer cette énergie de liaison avec une précision de l'ordre de 2 % par rapport à la valeur effectivement mesurée de longue date.


    IBM progresse vers l'ordinateur quantique du futur

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 16/11/2017

    IBM vient d'annoncer qu'un processeur quantique de 50 qubits avait été réalisé dans ses laboratoires et qu'un autre, de 20 qubits, serait prochainement à disposition de ses clients. 50 qubits, c'est peut-être le seuil à partir duquel certains calculs quantiques seraient plus rapides que d'autres réalisés sur ordinateurs classiques.

    En mars 2017, la société IBM annonçait qu'elle pensait pouvoir construire, dans un avenir proche, un circuit quantique avec 50 qubits... Nous pouvions légitimement en douter. En effet, depuis quelques années, de nombreux experts n'arrêtaient pas de répéter que le graal des ordinateurs quantiques était probablement inatteignable ou, pour le moins, qu'il allait falloir attendre des décennies.

    Or, avec un tel nombre de bits d'informations quantiques (que ceux-ci soient utilisés par un simulateur quantique limité à l'exécution d'un algorithme quantique bien précis ou sous forme d'un authentique ordinateur quantique programmable), nous devons, en théorie, pouvoir commencer à atteindre le territoire mythique de la suprématie quantique. En clair, des supercalculateurs classiques commenceraient à être surpassés en vitesse dans l'exécution de certains calculs (aujourd'hui, les supercalculateurs classiques peuvent encore être capables de simuler le comportement du circuit quantique, quoique plus lentement).

    Il faudrait encore plus de qubits et, bien évidemment, disposer d'une solution au problème de la décohérence, par exemple avec des techniques de correction des erreurs, pour écraser les supercalculateurs classiques en résolvant des problèmes qui leur soient vraiment hors d'atteinte. Il ne faut pas oublier non plus que nous ne savons toujours pas s'il existe des algorithmes quantiques plus rapides qu'un algorithme classique pour résoudre un problème. Par ailleurs, nous avons déjà découvert des algorithmes classiques nouveaux permettant à des ordinateurs classiques de reprendre l'avantage avec la résolution de problèmes bien précis.

    Le cryostat du circuit quantique à 50 qubits. © IBM
    Le cryostat du circuit quantique à 50 qubits. © IBM

    Un circuit quantique supraconducteur avec 50 qubits

    IBM vient de faire savoir qu'elle avait effectivement réussi à fabriquer un processeur quantique avec 50 qubits. L'entreprise va également mettre en ligne pour ses clients, avant la fin de l'année, une version de plus grande taille de 20 qubits fonctionnant comme un ordinateur quantique programmable. Le processeur de 50 qubits serait capable de résister à la décohérence pendant 90 microsecondes en moyenne et ses performances devraient être améliorées au cours de l'année 2018. C'est incontestablement un accomplissement remarquable, et qui vient plus tôt que prévu, ce qui autorise sans doute un optimisme mesuré.

    Dans le cas de ses prédécesseurs avec moins de qubits (5 puis 16), il s'agissait de mettre à disposition de toutes les personnes suffisamment expertes en informatique et en physiquephysique un mini-ordinateur quantique dans le cadre du programme IBM Q (dont Futura avait déjà parlé dans l'article ci-dessous). Il s'agissait d'aider à créer et à explorer des softwares quantiques, révélant déjà leur potentiel avant que n'arrive le hardware des machines plus puissantes ; auparavant, seul un simulateur du circuit avec 20 qubits avait été mis en ligne dans le même but. Grâce à IBM Q, plus de 60.000 utilisateurs inscrits dans plus de 1.500 universités ont effectué leurs premières armes dans le domaine du calcul et de la programmation quantique, ce qui a généré plus de 35 publications.

    Big BlueBig Blue continue donc de progresser vers l'ordinateur quantique du futur et entend bien le commercialiser pour ses applicationsapplications possibles, talonné par Google et d'autres concurrents. Nous aimerions bien, tout de même, comme le physicien Andrew Childs, grand spécialiste de l'informatique quantique, avoir une publication sous la main précisant ce qui a vraiment été accompli avec le circuit à 50 qubits...


    IBM se lance pleinement dans la course à l'informatique quantique

    Article de Laurent Sacco publié le 08/03/2017

    La société IBM vient de faire savoir qu'elle n'entendait pas rater la révolution des ordinateurs quantiques qu'elle espère imminente. Pour cela, elle lance un projet dont le but est d'aboutir à la mise en ligne sur le cloud du premier vrai ordinateur quantique avec applications commerciales et scientifiques. Si développer un software dans ce sens ne devrait pas poser de problème, on peut avoir des doutes pour le hardware.

    Comme le rappelle le physicien Claude AslangulClaude Aslangul qui explique, dans la vidéo ci-dessus, les principes à la base des ordinateurs quantiques, les experts ont beaucoup de doutes en ce qui concerne la réalisation de ces machines. C'est également ce que nous avait confirmé le cosmologiste Max Tegmark dans l'interview qu'il avait accordé à Futura. Lors de cette interview, il nous avait rapporté que les experts qu'il avait consultés à ce sujet, dans le meilleur des cas, ne s'attendaient pas à des miracles avant 2050.

    Ce n'est pas que l'on ne sache pas faire des ordinateurs (universellement programmables) et des calculateurs quantiquescalculateurs quantiques : ils existent déjà, mais l'on ne sait toujours pas comment les faire passer du stade de curiosités de laboratoire aisément surpassées par une calculatrice programmable moderne à celui de machines capables de surpasser les plus puissants superordinateurs. Tout au plus arrive-t-on à produire des calculateurs quantiques en mesure d'effectuer un type d'algorithme bien précis, par exemple pour faire du recuit simulé, comme l'a montré la société D-Wave System.

    Il y a au moins deux verrousverrous à faire sauter pour une révolution technologique basée sur les ordinateurs quantiques :

    • Le premier est celui de la décohérence, dont on n'a toujours pas vraiment la solution, même en utilisant des codes correcteurs quantiques.
    • Le second est qu'il faut disposer d'un suffisamment grand nombre de qubits, et ce avec une technique qui permet a priori de construire des machines de plus en plus puissantes à cet égard.

    Une présentation du potentiel des ordinateurs quantiques. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © IBM Research

    Un ordinateur quantique avec 50 qubits dans quelques années ?

    On a donc bien du mal à prendre au sérieux une partie de la dernière annonce faite par IBM. La célèbre société vient en effet de faire savoir qu'elle se lançait officiellement dans la course à la constructionconstruction du premier vrai ordinateur quantique universel commercial disponible en ligne via le cloud et un projet baptisé IBM Q. Si rien n'interdit de développer dès aujourd'hui le software qui va avec ce projet, on ne peut qu'avoir des doutes quand IBM fait part des ses espoirs concernant le hardware. Celui-ci pourrait être disponible dans quelques années selon Big Blue, qui veut construire une machine avec environ 50 qubits.

    On sait que ce chiffre est avancé lorsque l'on parle au moins de simulateurs, et pas encore d'ordinateurs, en mesure, à l'aide du calcul quantique, de battre certains algorithmes classiques sur des superordinateurs, ce qui établirait ce que l'on appelle « la suprématie quantique ». Rappelons d'ailleurs au passage qu'il n'y aucune preuve qu'un algorithme quantique soit systématiquement plus performant qu'un algorithme classique, ce qui, en plus de la difficulté à construire des ordinateurs quantiques, pourrait bien vouloir dire que seuls certains problèmes seront plus efficacement et à moindre coût traités par des ordinateurs ou des simulateurs quantiques.

    Pour le moment, IBM continue d'explorer les possibilités ouvertes par son processeur quantique à 5 qubits supraconducteurssupraconducteurs localisé au centre de recherche T. J. Watson, à New York, et mis à disposition de tout ordinateur ou appareil mobilemobile via le cloud IBM et la plateforme IBM Quantum Experience.


    La société IBM est encouragée par les résultats déjà obtenus pour un cloud quantique, comme l'explique cette vidéo. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © IBM Research

    Une application pour processeurs quantiques sur le cloud

    Encouragé par les résultats déjà obtenus, IBM vient donc de rendre disponible une application permettant aux développeurs et programmeurs de construire des interfaces entre un ordinateur classique et leur processeur sur le cloud sans qu'ils soient des experts en physique quantiquephysique quantique.

    Big Blue vient également de mettre en ligne un simulateur de circuit quantique avec 20 qubits et annonce que, dans quelques mois, seront aussi disponibles pour les internautes les documents nécessaires pour leur permettre d'explorer les possibilités qu'ouvriront des simulations et les programmes avec un tel circuit.

    Personne ne peut encore vraiment dire ce que l'avenir nous réserve avec les ordinateurs quantiques mais ce qui est sûr c'est que, depuis la mise en ligne du processeur d'IBM, environ 40.000 utilisateurs ont effectué plus de 275.000 expériences avec lui, dont des scientifiques dans plus de 100 pays qui ont déposé 15 articles sur arXiv avec cinq publiés dans des revues de premier plan.


    Le nouveau record d'IBM en informatique quantique

    Article de Laurent Sacco publié le 29/02/2012

    Les chercheurs d'IBM ont établi un nouveau record : le plus long temps de décohérence dans un circuit d'ordinateur quantique. L'exploit n'est pas mince : si un jour ce temps s'allonge suffisamment pour un nombre de « qubits » assez grand, une nouvelle ère technologique s'ouvrira.

    Les bits d'information des ordinateurs classiques sont simplement des nombres binairesnombres binaires que l'on peut manipuler selon des principes en partie établis par les travaux d'Alan Turing. Mais avec des qubits d'informations, des états de machine qui sont des superpositions de « 0 » et de « 1 », des calculs en parallèle d'une très grande puissance et d'une très grande rapiditérapidité deviennent possibles, brisant les limites physiques des ordinateurs basées sur les lois de la physique classique. Avec une telle information quantique, 250 qubits suffiraient pour faire des calculs nécessitant d'enregistrer un bit d'information classique par atomeatome présent dans l'universunivers observable.

    L'un des tout premiers chercheurs qui a exploré les possibilités offertes par des ordinateurs quantiques fut le prix Nobel de physique Richard Feynman.

    La cavité micro-onde en cuivre ouverte avec, en noir sur une surface translucide, le circuit supraconducteur portant un qubit. Un <em>inch</em> (pouce) vaut 2,54 cm. © IBM Research
    La cavité micro-onde en cuivre ouverte avec, en noir sur une surface translucide, le circuit supraconducteur portant un qubit. Un inch (pouce) vaut 2,54 cm. © IBM Research

    On a déjà réalisé des ordinateurs quantiques mais leur puissance reste très faible car n'importe quelle calculatrice programmable des années 1970 les battrait aisément. Pour réellement concurrencer des machines comme le Curie, le supercalculateur de Bull à 2 pétaflops, il faut un assez grand nombre de qubits.

    Des qubits avec jonctions Josephson supraconductrices

    Malheureusement, cela veut dire qu'il faut exorciser le démondémon de la décohérence dont on sait qu'il intervient pour résoudre le paradoxe du chat de Schrödinger.

    IBM vient d'annoncer que ses ingénieurs avaient réussi à défier le démon et à le battre partiellement en utilisant, entre autres, un dispositif exploitant le phénomène de la supraconductivité.

    La porte logique quantique utilisée dans le circuit supraconducteur 2D des chercheurs d'IBM. © IBM Research
    La porte logique quantique utilisée dans le circuit supraconducteur 2D des chercheurs d'IBM. © IBM Research

    Une jonction Josephson a ainsi été suspendue dans une cavité micro-onde et ce circuit supraconducteur qualifié de 3D a permis d'atteindre un temps de résistancerésistance à la décohérence de 100 microsecondes, ce qui améliore les résultats précédemment obtenus d'un facteur de 2 à 4 selon les chercheurs d'IBM. 

    Un autre dispositif supraconducteur, qualifié lui de 2D, a été réalisé avec une puce et le temps de résistance à la décohérence a été cette fois de 10 microsecondes.

    Ces éléments n'ont pas été choisis au hasard car ils devraient pouvoir être multipliés à grande échelle dans le futur. Si notre conscience repose sur des processus de traitement de l'information quantiques, peut-être, d'ici quelques dizaines d'années, l'équivalent de la puce synaptique d'IBM (devenue quantique) permettra-t-elle de réaliser le rêve d'Alan TuringAlan Turing, à savoir de la conscience artificielle.

    Toutefois, pour beaucoup, exorciser définitivement le démon de la décohérence quantique tiendrait du miracle. On verra bien... peut-être vers 2045.