La société D-Wave Systems  prétend depuis des années être en mesure de commercialiser des calculateurs quantiques avec plus de 100 qubits intriqués. La communauté scientifique est majoritairement sceptique, mais Google vient d'annoncer qu'il a acheté l’un de ces calculateurs et que la Nasa l'utilisera aussi.

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    Le concept d'ordinateur quantique, introduit il y a plusieurs décennies par Richard Feynman et d'autres chercheurs, continue de faire rêver. Il permettrait de briser les limites des ordinateurs classiques pour certains types de calculs. On ne sait pas encore fabriquer de tels ordinateurs au sens exact du terme. Mais on est capable de réaliser des calculateurs ou des simulateurs spécialisés, capables de manipuler non plus des bits mais bien des qubitsqubits d'informations, tout comme les ordinateurs quantiques.

    Leur fonctionnement repose sur le principe fondateur de la physique quantique, celui de la superposition des amplitudes de probabilités pour un état quantique, et plus précisément sur la notion d'intrication quantiqueintrication quantique. Malheureusement, pour le moment, ces calculateurs sont aisément battus par une calculatrice de poche. Pour vraiment inquiéter des superordinateurs comme le K japonais, il faudrait disposer d'un grand nombre de qubits.


    Claude Aslangul, en compagnie de Richard Taillet, est interrogé par les éditions De Boeck. Dans cette vidéo il répond aux questions : Pourquoi la décohérence est-elle un obstacle à la fabrication d'un ordinateur quantique ? Quelle est la différence entre un ordinateur quantique et un classique ? © Éditions De Boeck, YouTube

    La décohérence, une limite pour le temps de calcul quantique

    Le problème de ce projet est qu'il implique que la taille d'un vrai ordinateur quantique, du moins la partie effectuant les calculs, s'approche de celles des objets de notre monde macroscopique. Or, comme le montre bien le paradoxe du chat de Schrödingerchat de Schrödinger, le monde quantique laisse la place au monde classique à cause du phénomène de la décohérence.

    La majorité des travaux avec des calculateurs quantiquescalculateurs quantiques existant déjà nécessite, pour limiter la décohérence, de les refroidir à très basses températures. Il s'agit de les protéger du bruit thermique capable de détruire la fragile superposition des états et l'intrication quantique. Plus généralement, il faut isoler le plus possible un tel système de son environnement pour lui laisser un temps de calcul quantique suffisamment long pour résoudre un problème. L'obstacle est donc immense et il est probable que l'on soit en présence d'une voie sans issue.

    Erwin Schrödinger a mis en évidence théoriquement le phénomène de l'intrication quantique en 1935. Il serait sans doute très heureux de voir que, via des calculateurs quantiques, l'intrication quantique serait peut-être sur le point de révolutionner ce que l'on pense des cellules vivantes et du cerveau, lui qui a travaillé sur les bases physiques de l'hérédité et de la conscience. © <em>The Nobel Foundation</em>

    Erwin Schrödinger a mis en évidence théoriquement le phénomène de l'intrication quantique en 1935. Il serait sans doute très heureux de voir que, via des calculateurs quantiques, l'intrication quantique serait peut-être sur le point de révolutionner ce que l'on pense des cellules vivantes et du cerveau, lui qui a travaillé sur les bases physiques de l'hérédité et de la conscience. © The Nobel Foundation

    Un calculateur pour Google et la Nasa avec 512 qubits

    Or, depuis des années, la société canadienne D-Wave Systems prétend avoir contourné l'obstacle de la décohérence, au moins dans certaines situations. Elle affirme avoir réussi à construire un calculateur quantique (donc pas encore un vrai ordinateur programmable) utilisant 128 qubits. Malgré le scepticisme affiché de bon nombre de spécialistes du calcul quantique comme Scott Aaronson, D-Wave Systems était parvenue à vendre son calculateur quantique à la célèbre société Lockheed Martin pour dix millions de dollars en 2011.

    Le calculateur de la société, D-Wave One, était censé se limiter à mettre en pratique une méthode de calcul d'optimisation largement utilisée pour résoudre divers problèmes, une version quantique des algorithmes dits de recuit simulé (simulated annealing en anglais). Mais depuis 2011, rien n'était vraiment venu contredire les doutes de la communauté scientifique. On comprend donc que l'annonce récente de GoogleGoogle, impliquant la Nasa, ait fait l'effet d'une véritable bombe. On vient d'apprendre en effet que le Ames Research Center de la NasaNasa, en partenariat avec la USRA (Universities Space Research Association) va accueillir le Quantum Artificial Intelligence Lab de Google.

    Le plus stupéfiant, c'est que le géant d'Internet a simultanément fait savoir que ce nouveau laboratoire accueillera le dernier calculateur quantique de D-Wave Systems. Le nouveau joujou que Google a acheté, nommé D-Wave Two, devrait toujours être capable d'utiliser l'intrication quantique pour résoudre des calculs de recuit simulé... mais cette fois avec environ 500 qubits !

    Un calculateur quantique 3.600 fois plus rapide

    S'agit-il d'un coup de bluff de plus de D-Wave Systems ? On a du mal à le croire. Ni Lockheed Martin, ni Google et encore moins la Nasa (même si elle s'est permis une parodie du Gangnam Style) ne sont des plaisantins ou des ingénus.

    Une vue des calculateurs quantiques de D-Wave Systems au Canada. C'est sur l'un d'entre eux que des informaticiens comme Catherine McGeoch ont fait des tests, pour tenter de déterminer si l'on était bien en présence de calculateurs quantiques capables de battre les ordinateurs classiques. © <em>Amherst College</em>

    Une vue des calculateurs quantiques de D-Wave Systems au Canada. C'est sur l'un d'entre eux que des informaticiens comme Catherine McGeoch ont fait des tests, pour tenter de déterminer si l'on était bien en présence de calculateurs quantiques capables de battre les ordinateurs classiques. © Amherst College

    L'affaire a fait grand bruit, d'autant plus que D-Wave Systems a autorisé des experts reconnus à faire passer des tests de vitessevitesse de calcul à D-Wave Two. Les conclusions de Catherine McGeoch, professeure au Technology and Society (Computer Science) du Amherst College, ont en particulier été largement diffusées sur la toile. L'informaticienne et ses collègues ont annoncé qu'au moment où ils ont essayé D-Wave Two, le calculateur quantique était bel et bien capable de résoudre des problèmes particuliers d'optimisation des milliers de fois plus vite que les ordinateurs et les algorithmes classiques de l'époque.

    Alors, sommes-nous vraiment au seuil d'une révolution technologique sans précédent basée sur le calcul quantique ? Futura-Sciences se penchera plus longuement sur les performances de D-Wave Two dans un prochain article.