Apothicaire ou pharmacien ? Vers 1260, l’« apotecaire » prépare et vend des drogues ; en 1314, la « farmacie » désigne une purgation à l’aide d’un médicament. Vers 1530, l’ « apothicairesse » est une religieuse qui prépare les remèdes des malades de l’hospice. Puis, en 1575, la « farmacie » est devenue la science des remèdes et des médicaments. Enfin, vers 1730, l’apothicairerie ou la pharmacie (on emploie les deux termes) correspond à l’officine où l’on prépare et conserve les drogues, remèdes et médicaments.  


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    Au XIIe siècle, médecine et pharmacie sont encore confondues et exercées par des religieux. Les soins sont dispensés dans les Hôtel-Dieu qui possèdent une salle d'hospitalisation, un jardin botaniquebotanique et un apothicaireapothicaire. En 1241, à la demande de l’empereur germanique Frédéric II de Hohenstaufen, l'édit de Salerne impose un serment à tous ceux qui veulent fabriquer des médicaments ; la profession d'apothicaire est surveillée et le prix des remèdes est fixé. Désormais, une séparationséparation juridique est instituée entre médecins et apothicaires. L'édit de Salerne, par sa diffusion sur l'ensemble de la chrétienté, peut être considéré comme l'acte de naissance de la profession d'apothicaire, même s'il existe dès l'antiquité, des spécialistes de la préparation des médicaments.

    Illustration de l'ouvrage <em>Le régime du corps</em>, montrant une boutique d'apothicaire au XV<sup>e</sup> siècle. Texte transcrit : « <em>Ici, commence un traité en français qui parle de physique comment on doit garder son corps en santé...</em> ». Manuscrit conservé à la bibliothèque municipale de Besançon (cote MS. 0463). © <em>Wikimedia Commons</em>, domaine public
    Illustration de l'ouvrage Le régime du corps, montrant une boutique d'apothicaire au XVe siècle. Texte transcrit : « Ici, commence un traité en français qui parle de physique comment on doit garder son corps en santé... ». Manuscrit conservé à la bibliothèque municipale de Besançon (cote MS. 0463). © Wikimedia Commons, domaine public

    Quand l'apothicaire n'était encore qu'un épicier... érudit

    La doctrine médicale médiévale considère que les maladies constituent des essences morbides et que les remèdes agissent comme des antidotesantidotes. Au Moyen Âge, apothicaires et épiciers vendent le même type de produits : des plantes, des épices et notamment du sucre, rare et considéré comme un remède plus qu'un aliment.

    Les apothicaires appartiennent donc à la corporation des épiciers : leur formation est exclusivement pratique et consiste en l'apprentissage des préparations de remèdes. Les maîtres apothicaires se chargent de l'instruction des apprentis qui doivent avoir des notions de latin et de grammaire, afin de lire les ordonnances des médecins. La durée de l'apprentissage varie selon la législation locale en vigueur : à Strasbourg, la formation d'un compagnon apothicaire s'étend sur cinq ans. 

    Représentation d'un maître apothicaire donnant la leçon à son apprenti, extrait de <em>Das Buch der Gesundheit</em> (le livre de la santé) par Hieronymus Brunschwig, édité à Strasbourg vers 1505. © <em>Wikimedia Commons</em>, domaine public
    Représentation d'un maître apothicaire donnant la leçon à son apprenti, extrait de Das Buch der Gesundheit (le livre de la santé) par Hieronymus Brunschwig, édité à Strasbourg vers 1505. © Wikimedia Commons, domaine public

    La naissance du métier d’apothicaire

    Les corporations d'apothicaires se constituent dans les villes, elles sont à l'origine du caractère réglementé de la pharmacie actuelle. Dans le royaume de France, les premiers statuts d'apothicaires voient le jour à Montpellier, dès la fin du XIIe siècle, puis à Avignon en 1242, Paris en 1271 et Toulouse en 1309. En 1484, Charles VIII promulgue une ordonnance stipulant que « doresnavant nul espicier de nostre dicte ville de Paris ne s'en puisse mesler du fait et vacation d'apothicairie si le dit espicier n'est lui-même apothicaire ».

    De nombreux conflits surgissent pour des questions de compétence, entre corps de métiers : les apothicaires se trouvent également en concurrence avec les chirurgiens barbiers. Membre d'une corporation influente et détenteur de droguesdrogues rares et chères, l'apothicaire du XVIe siècle est devenu un véritable commerçant. La vente du tabac sous forme de poudre, va d'ailleurs être réservée aux apothicaires.

    Vase à « thériaque » daté de 1782, pharmacie des Hospices de Beaune (Bourgogne). La thériaque est une préparation d'apothicaire, sorte de remède universel composé d'une soixantaine d'éléments végétaux, animaux et minéraux ; sa formule rendue publique au XVII<sup>e</sup> siècle, est retirée du Codex en 1884. © <em>Wikimedia Commons</em>, domaine public 
    Vase à « thériaque » daté de 1782, pharmacie des Hospices de Beaune (Bourgogne). La thériaque est une préparation d'apothicaire, sorte de remède universel composé d'une soixantaine d'éléments végétaux, animaux et minéraux ; sa formule rendue publique au XVIIe siècle, est retirée du Codex en 1884. © Wikimedia Commons, domaine public 

    Le métier d’apothicaire acquiert ses lettres de noblesse

    Au XVIIe siècle, la science progresse mais les remèdes extraits des règnes végétal, minéralminéral et animal, ne correspondent pas nécessairement aux progrès de la pharmacologie. La première école publique de « farmacie » date de 1576 et Louis XVI la transforme en collège royal de pharmacie en 1777. Le roi sépare définitivement les métiers d'apothicaire et épicier ; il reconnaît le monopole de la vente des médicaments aux pharmacienspharmaciens.

    Il officialise la pharmacie comme science médicale, nécessitant des études et des connaissances approfondies. En avril 1803, le Premier Consul Napoléon Bonaparte crée trois écoles de pharmacie à Paris, Montpellier et Strasbourg. Chaque école doit, à ses frais, organiser l'enseignement d'au moins quatre matières : botanique, histoire des médicaments, pharmacie et chimie.

    La pharmacie au Lys à Mulhouse, plus ancienne officine de France encore en activité (depuis 1649). Mulhouse, Alsace. © <em>Wikimedia Commons</em>, domaine public
    La pharmacie au Lys à Mulhouse, plus ancienne officine de France encore en activité (depuis 1649). Mulhouse, Alsace. © Wikimedia Commons, domaine public

    L'apothicaire militaire

    Dans le domaine médical et des sciences naturelles, il est important de souligner le rôle essentiel de la pharmacie militaire : le souci d'améliorer les conditions de survie et l'administration des soins aux soldats et aux marins, ont contribué aux progrès de la pharmacologie. Les pharmaciens militaires sont associés à toutes les campagnes et expéditions sur terre et sur mer. Témoins des hécatombes sur les champs de batailles, des ravages causés par les maladies et de la dénutrition, ils deviennent responsables de la fabrication et la distribution des produits de santé et d'hygiène aux armées.

    La présence d'apothicaires associés aux armées du roi est décrite pour la première fois dans un rapport du chirurgien et anatomiste Ambroise Paré, en 1552. Richelieu crée, en 1620, le premier hôpital sédentaire pour les soldats à Pignerol (en Italie), avec la présence de deux apothicaires. Ils sont associés aux médecins et aux chirurgiens, dans les hôpitaux militaires établis par le roi Louis XIII pendant la guerre de Trente Ans, notamment en Italie en 1629.

    L'édit royal de 1674 prévoit une place d'apothicaire à l'Hôtel des Invalides qui reçoit « tous les officiers et soldats tant estropiés que vieux et caduquescaduques » lors des guerres de Louis XIV. Dans les années 1740, la multiplication des abus dans les hôpitaux militaires impose la constitution d'un corps d'apothicaires militaires subordonnés aux médecins, à raison d'un apothicaire pour cinquante soldats hospitalisés.

    Pharmacie portative du XVIII<sup>e</sup> siècle. Musée Flaubert et d'Histoire de la Médecine, ancien Hôtel-Dieu, Rouen. © Sauvegarde du patrimoine pharmaceutique
    Pharmacie portative du XVIIIe siècle. Musée Flaubert et d'Histoire de la Médecine, ancien Hôtel-Dieu, Rouen. © Sauvegarde du patrimoine pharmaceutique

    Un apothicaire illustre : Antoine Parmentier (1737-1813)

    À 20 ans, il est déjà pharmacien aux armées pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763). Fait prisonnier en Allemagne, il découvre la qualité nutritive de la pomme de terrepomme de terre, destinée à l’alimentation des animaux et des prisonniers. En 1766, Parmentier obtient la charge d'apothicaire de l'Hôtel royal des Invalides et continue ses recherches agronomiques sur la pomme de terre.

    En 1772, les membres de la Faculté de médecine de Paris finissent par déclarer que la consommation de la pomme de terre ne présente pas de danger pour la santé. Avec l'appui de Louis XVI, Parmentier crée en 1786 une plantation à Neuilly, puis à  Gentilly, où les gardes des lieux ont ordre de laisser la population « voler » les plants précieux, ce qui permet de populariser le tuberculetubercule.

    Mes recherches n’ont d’autre but que le progrès de l’art et le bien général… J’ai écrit pour être utile à tous

    Parmentier s'intéresse aussi à la conservation des farines, du vin et des produits laitiers. Il va améliorer la qualité du pain distribué aux armées et aux hôpitaux, en imaginant une nouvelle méthode de panification à l'origine de la réputation du pain français.

    Il préconise la conservation des viandes par le froid et travaille sur la technique des conserves alimentaires par ébullition (mis au point par Nicolas Appert en 1810). Parmentier devient le premier président de la Société de pharmacie de Paris ; très attaché à son titre de pharmacien, il définit ainsi sa vie et son œuvre : « Mes recherches n'ont d'autre but que le progrès de l'art et le bien général... J'ai écrit pour être utile à tous ».

    Atelier laboratoire d'Antoine Parmentier aux Invalides (actuelle cour d'Alger). Hôtel national des Invalides, Paris. © Paris-bise-art
    Atelier laboratoire d'Antoine Parmentier aux Invalides (actuelle cour d'Alger). Hôtel national des Invalides, Paris. © Paris-bise-art