En étudiant les origines des conflits religieux au XVIe siècle, on peut s’interroger sur les raisons du succès rapide de la réforme protestante. Il semblerait que l’imprimerie ait joué un rôle bien spécifique car les protestants vont très rapidement l’utiliser comme outil de propagande pour diffuser leurs idées. L’imprimé joue un rôle central dans les conflits religieux : les réformateurs protestants comme les défenseurs de l’Église catholique y voient un instrument efficace pour instruire les populations et gagner leur soutien.


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    Le 31 octobre 1517, Martin Luther (1483-1546) placarde ses 95 thèses sur la porteporte de l'église de Wittenberg, dénonçant le trafic des indulgences dans l'Église catholique. Les thèses du théologien allemand sont imprimées dès 1518, par le biais de ses étudiants et diffusées dans toute l'Allemagne puis en Europe. Dans un ouvrage (Appel à la noblesse chrétienne de la nation allemande) publié en avril 1520, Luther attaque frontalement la papauté en employant des termes brutaux qui font glisser le débat théologique vers l'affrontement écrit. De 1521 jusqu'en 1546, les écrits polémiques de Luther vont susciter des répliques virulentes de la part de ses adversaires, catholiques ou protestants.

    Page de couverture d'un sermon de Martin Luther paru en 1530 ; en bas de page : marque typographique de Luther (rose avec un cœur sur lequel est imprimée une croix) valant autorisation d'imprimer. Bibliothèque du Protestantisme français. © BPF
    Page de couverture d'un sermon de Martin Luther paru en 1530 ; en bas de page : marque typographique de Luther (rose avec un cœur sur lequel est imprimée une croix) valant autorisation d'imprimer. Bibliothèque du Protestantisme français. © BPF

    L’imprimé, une arme au service de la cause religieuse

    Le rôle de l’imprimerie devient déterminant : on estime qu'un tiers de la littérature allemande entre 1522 et 1545, émane de la plume de Luther. De son vivant, il y a eu 4.000 éditions et rééditions de ses œuvres. Sous forme de pamphlets, ses écrits font appel à la polémique et la caricature pour frapper les esprits dans tous les milieux sociaux. Les textes imprimés sont souvent renforcés par des dessins satiriques agressifs, tels ceux du peintre et graveur Lucas Cranach l'Ancien, ciblant particulièrement la papauté.

    Gravure satirique de Lucas Cranach l'Ancien (<em>Sauritt des Papst</em> : le pape à cheval sur un cochon, avec un excrément en main qu'il est en train de bénir), XVI<sup>e</sup> siècle ; dans <em>Caricatures anticatholiques des débuts de la Réforme</em> par Jean Stouff. © Biblioweb, OpenEdition Freemium
    Gravure satirique de Lucas Cranach l'Ancien (Sauritt des Papst : le pape à cheval sur un cochon, avec un excrément en main qu'il est en train de bénir), XVIe siècle ; dans Caricatures anticatholiques des débuts de la Réforme par Jean Stouff. © Biblioweb, OpenEdition Freemium

    Comme Martin Luther, le théologien français Jean Calvin (1509-1564), exilé à Genève en 1541, va développer ses thèses dans des traités érudits, tout en utilisant les pamphlets pour répondre à ses détracteurs. En 1544, la faculté de théologie de la Sorbonne publie un catalogue d'ouvrages interdits dont ceux de Calvin ; le réformateur genevois répond par un « Avertissement sur la censure... » dans lequel il se livre à une satire impitoyable des mœurs des enseignants de la Sorbonne.

    L’utilisation des images 

    Avant même les débuts de la Réforme, il existe une tradition d'images anticléricales, très implantée dans l'espace germanique. Les partisans de Luther ont abondamment recours à la caricature pour soutenir son combat contre Rome. Le réformateur a conscience de l'impact des images sur des populations illettrées et recommande les illustrations dans les livres. La gravure sur boisbois permet la diffusion de petites vignettes bon marché tandis que la gravure sur cuivre plus coûteuse, permet de reproduire des portraits caricaturaux. On peut dire que le succès des pamphlets luthériens doit beaucoup aux gravures qui accompagnent les publications. Elles font pénétrer une opposition à la papauté dans de larges cercles de la population, même ceux des non-lecteurs.

    Image « le lavement des pieds » extraite de la satire « <em>la Passion du Christ et de l'Antéchrist</em> », gravée par Lucas Cranach en 1521 (pendant que le Christ baise le pied de son disciple, un croyant baise le pied du pape). © Wikimedia Commons, domaine public
    Image « le lavement des pieds » extraite de la satire « la Passion du Christ et de l'Antéchrist », gravée par Lucas Cranach en 1521 (pendant que le Christ baise le pied de son disciple, un croyant baise le pied du pape). © Wikimedia Commons, domaine public

    L'image ne sert pas seulement à dénoncer ou caricaturer l'adversaire : dès 1521 sont diffusées des gravures de Luther le présentant comme le champion de la liberté chrétienne. L'imagerie protestante diffusée à Genève dès les années 1540 est tout aussi imaginative. Au fil du siècle, l'image de propagande colle davantage à l'actualité, chaque camp s'efforçant d'orienter l'information dans un sens qui lui soit favorable.

    Le ralliement des imprimeurs au protestantisme

    Luther considère l'invention de l'imprimerie comme « le plus grand don de Dieu ». L'ampleur de la diffusion du protestantisme doit être reliée au ralliement précoce du milieu des imprimeursimprimeurs. Les thèses de Martin Luther n'auraient pas pu avoir un tel retentissement sans les presses des villes de Nuremberg et de Bâle. Entre 1518 et 1525, on estime à trois millions le nombre de pamphlets qui circulent en Allemagne, alors peuplée de treize millions d'habitants.

    Gravure « <em>Atelier d'impression de livres</em> » par Jan Van der Straet, XVI<sup>e</sup> siècle. Musée Plantin-Moretus, Anvers, Belgique. © Wikimedia Commons, domaine public
    Gravure « Atelier d'impression de livres » par Jan Van der Straet, XVIe siècle. Musée Plantin-Moretus, Anvers, Belgique. © Wikimedia Commons, domaine public

    La vaguevague des publications reprend en 1548, lorsque Charles Quint veut imposer « l'Interim d'Augsbourg », texte destiné à rétablir le culte catholique dans tous les territoires protestants, en attendant les décisions du concile de Trente qui s'est ouvert en 1545. On assiste alors à l'impression de pamphlets et de poèmes hostiles à l'empereur en Allemagne du nord. Cette littérature ne reste pas enfermée dans l'espace germanique puisqu'une partie de la production est traduite en latin pour viser une clientèle internationale. Un atelier de Bâle se spécialise dans l'édition vers l'Italie, la France et l'Espagne.

    La Réforme trouve des points d'appui hors d'Allemagne, chez des libraires qui se sont convertis aux idées évangéliques : ils décident de traduire les écrits de Luther en langue vernaculaire puis de les camoufler dans des livrets d'apparence anodine. Au fur et à mesure que la Réforme progresse, elle se dote de nouveaux lieux de propagande imprimée. Pour les pays francophones, la ville de Neuchâtel se charge de la diffusion vers la France : c'est là que paraît en 1535, la première bible réformée en langue française, appelée « bible vaudoise » car elle a été financée par des paysans de Provence et du Dauphiné, issus du mouvement vaudois rattaché au protestantisme en 1532. Elle va demeurer le livre de base de la Réforme en France jusqu'au XVIIe siècle.

    Après 1541, Genève devient le centre de diffusion de la propagande réformée et attire de grands libraires français comme Jean Crespin puis Robert Estienne, ancien imprimeur royal de François Ier. Un nombre important d'imprimeurs français se mettent au service de la Réforme : des ateliers entiers, maîtres et ouvriers, se convertissent. Beaucoup devront quitter le royaume et se réfugier le plus souvent à Genève.

    Page du Nouveau Testament traduit en grec, imprimé par Robert Estienne en 1550 ; utilisation des caractères dits Grecs du roi par le typographe Claude Garamond. Bridwell library, Southern Methodist University, Dallas, États-Unis. © Wikimedia Commons, domaine public
    Page du Nouveau Testament traduit en grec, imprimé par Robert Estienne en 1550 ; utilisation des caractères dits Grecs du roi par le typographe Claude Garamond. Bridwell library, Southern Methodist University, Dallas, États-Unis. © Wikimedia Commons, domaine public

    La Contre-Réforme catholique et le livre

    Les catholiques utilisent également le livre à des fins de propagande religieuse : les jésuites ont compris tout l'intérêt de l'édition d'ouvrages, en faisant de l'université d'Ingolstadt, le centre de la reconquête catholique pour l'Allemagne du sud. La ville d'Anvers illustre bien le retournement des forces qui s'opère à la fin du XVIe siècle : après avoir travaillé pour le protestantisme jusqu'aux années 1540, les imprimeries de la cité flamande constituent désormais le fer de lance de la Contre-Réforme, en diffusant des textes dans toute l'Europe du nord et en Angleterre.

    Vers 1600, la production éditoriale est en grande majorité catholique ; la reconquête spirituelle de l'Allemagne du sud se traduit par une avalancheavalanche de textes émanant des jésuites et imprimés à Ingolstadt. En fait, chaque camp, catholique et protestant, clarifie ses positions doctrinales et le processus de confessionnalisation est pratiquement achevé au début du XVIIe siècle.