L'existence de Georges Charpak commence curieusement : « Né en Pologne le 8 mars 1924 à Sarny », mais « déclaré le 1er août à Dabrowica ». Son enfance débute par une errance.

Georges Charpak, un homme aux multiples facettes

Arrivé en France dans sa huitième année, il assimile rapidement la langue, la culture française, ayant enfin trouvé « sa » patrie. Arrive pourtant la guerre : la famille doit se réfugier dans le Midi. Il se fait arrêter une nuit de 1943 alors qu'il colle des affiches avec des camarades résistants. Déporté à Dachau, il en réchappera, ayant désormais horreur de tous les absolutismes. Il reprend dès septembre 1945 ses études de sciences à l'École des mines de Paris.

L'atome : un peu d’épistémologie…

Grâce à Marie CurieMarie Curie, aidée par Pierre CuriePierre Curie, et à tous les chercheurs qui se sont engouffrés derrière elle après sa découverte annoncée en 1898, la radioactivitéradioactivité est inscrite dans une épopée, celle de l'histoire des Sciences : l'atomeatome s'est dévoilé peu à peu. Les superbes travaux de J. J. Thomson, parachevés en 1897, donnent à l'électronélectron, première particule subatomique, sa carte d'identité. (Il convient de rappeler l'hésitante marche vers ce concept !) Puis viennent les travaux du Néo-Zélandais Ernest RutherfordErnest Rutherford avançant en 1911 l'existence d'un minuscule noyau, modèle perfectionné par le Danois Niels BohrNiels Bohr émettant l'hypothèse des électrons sur des orbitesorbites quantifiées. Si l'existence du protonproton fut assez rapidement acceptée, il fallut attendre 1932 pour admettre celle du neutronneutron.

Enfin, le neutrinoneutrino, imaginé dès 1930 par Pauli, puis théorisé par Fermi en 1934, permit de résoudre le problème de la conservation de l'énergieénergie lors de la désintégration d'un atome par émissionémission bêtabêta. Cependant, les physiciensphysiciens du monde entier veulent aller plus loin dans le degré d'élémentarité de l'atome, et percer les secrets du noyau et de ses composants. Après l'utilisation de l'énergie des sources radioactives, s'ouvre l'époque des accélérateurs de particules, d'abord linéaires, puis circulaires, de plus en plus puissants, permettant des chocs formidables entre particules et atomes, puis entre particules circulant en sens opposés dans les collisionneurs. Pendant ce temps, la détection des particules progresse dans l'analyse des collisions.

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Une photo récente de Georges Charpak. © Mike Struit, Cern 

Si, pour les pionniers, l'observation se faisait à l'œilœil nu sur des écrans recouverts de sulfuresulfure de zinczinc devenant fluorescent à l'endroit des impacts, le compteur de l'Allemand Hans Geiger, avec son fil tendu dans l'axe d'un cylindre empli d'un gazgaz raréfié où des ionisationsionisations se produisent au passage des particules (les électrons émis étant captés par le fil) fut une énorme avancée. Puis, les « chambres à brouillardbrouillard » permirent la visualisation des traces d'électrons par la condensationcondensation de gouttelettes d'eau le long de leurs trajectoires.

Elles seront remplacées par les « chambres à bulles », où la trajectoire de la particule chargée est visualisée par les traînées de bulles produites dans de l'hydrogènehydrogène liquideliquide proche de son point d'ébullition ; la chambre étant soumise à un champ magnétiquechamp magnétique qui incurve les trajectoires, il est possible de déterminer la charge, la vitesse, la charge massique, et ainsi la massemasse de la particule. Le gain en rapiditérapidité des mesures est de mille par rapport aux chambres à brouillard ! L'enthousiasme des chercheurs est grand pendant ces années lors desquelles ils découvrent des centaines de particules, socle du modèle standardmodèle standard !

Entrée en scène de Georges Charpak

Il faut réaliser qu'après la tourmente de la guerre 1939-1945, si la physiquephysique peut se glorifier de ses savants -- dont le prestigieux théoricien Louis de BroglieLouis de Broglie, un des fondateurs de la mécanique quantiquemécanique quantique --, en revanche, les laboratoires sont vétustes. On va heureusement assister à la montée en puissance du CNRS (créé en 1939), puis, en 1945, à l'inauguration du CEA, Commissariat à l'énergie atomique (qui a élargi en 2010 son champ de recherche aux « énergies alternatives »). Des moyens importants sont alors accordés à la recherche fondamentale.

Charpak participera à ces expériences exaltantes de l'histoire de la matièrematière. Tout d'abord, en 1948, stagiaire au CNRS, il a la grande chance d'entrer dans le prestigieux laboratoire de chimiechimie nucléaire de Frédéric Joliot-CurieFrédéric Joliot-Curie, où il soutient sa thèse. Quand le Cern est officiellement créé à Genève en 1954 (l'acronyme correspond au nom initial « Conseil européen pour la recherche nucléaireConseil européen pour la recherche nucléaire »), sa carrière de chercheur dans le domaine des particules élémentairesparticules élémentaires commence, grâce à une autre rencontre providentielle, celle du physicien américain Léon Lederman, futur prix Nobel déjà connu dans ce domaine, qui lui propose de se joindre à l'équipe qu'il est en train de former pour une grande expérience du Cern, au tout nouvel accélérateur, le synchrocyclotron ! Trois années s'ensuivront, au sein d'une équipe travaillant jour et nuit dans la convivialité, auprès de l'accélérateur qui fonctionne en continu pendant plusieurs jours.

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À gauche, Georges Charpak devant une chambre proportionnelle multifil en cours de réalisation. © Cern 

C'est là que Charpak construit sa première chambre à fils, ce nouveau détecteur qui va révolutionner la recherche dans le domaine des particules. Sa thèse, soutenue en 1954, analysant ce qui se passe dans le cortège électronique d'un atome frappé par des particules bêta, s'était faite à l'aide d'un compteur cylindrique à fil de type Geiger. L'avancée considérable de la puissance des nouveaux accélérateurs amène à la production de milliards de photos parmi lesquelles il faut tenter de repérer quelques évènements intéressants. Sa réflexion aboutira à deux résultats :

  • L'informatique est alors en expansion : il pense qu'il faut lier les détecteurs à des ordinateursordinateurs, dont les informations remplaceront les photos des chambres à bulles.

  • En même temps, avec sa petite équipe de fidèles techniciens, il met au point son idée : rapprocher un grand nombre de tubes Geiger et en éliminer les parois ; il reste donc des fils parallèles, (en tungstènetungstène doré), quatre fois plus fins qu'un cheveu (20 µm), et deux grilles métalliques. Son petit prototype initial multiplie par mille le nombre d'évènements pouvant être analysés ! Dès 1966, commence la renommée bientôt mondiale des « chambres Charpak », ou « chambres proportionnelles multifils », donnant ensuite les « chambres à dérives » avec les apports croissants de l'électronique associée. De plus en plus grands, atteignant plusieurs m2, à partir de 1975, ces détecteurs, que nous devons au génie de Charpak, deviennent universels.

Les grands détecteurs actuels, utilisés dans le collisionneur LHC (Large Hadron ColliderLarge Hadron Collider) du Cern pour scruter la matière, sont devenus des géants. On sait que dans ce temple de tous les records qu'est l'anneau du LHC (de 27 km de circonférence abritant une tubulure centrale de quelques centimètres de diamètre), deux flots de particules circulent en sens inverse, à 99,999 % de la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière, en un faisceau plus fin qu'un cheveu (une quinzaine de µm). C'est la course effrénée des « paquetspaquets » de milliards de particules injectées dans l'anneau qui va être scrutée par les deux plus grands détecteurs, le CMSCMS et Atlas, analysant les millions de données expérimentales fournies par le LHC :

  • CMS (Compact MuonMuon Solenoïd), de 12.500 tonnes, est l'objet d'étude de 2.000 scientifiques appartenant à 179 instituts.

  • Les données d'Atlas, acronyme de « A Toroïdal LHC apparatuS » (7.000 tonnes), sont examinées par 3.000 scientifiques de 177 instituts.

Le croisement de leurs informations se termina en apothéose par l'annonce médiatisée au Cern, le 4 juillet 2012, de la découverte du boson de Higgsboson de Higgs (ou plutôt boson BEH, Brout, Englert et Higgs ayant postulé, séparément, son existence en 1964), « maillon manquant » du « modèle standard ». Le boson BEH, le quantum du champ de Higgs, ouvre la voie à une nouvelle physique...

Charpak, l'humaniste :  la fondation La main à la pâte

Si le génie de Georges Charpak, qui obtint le prix Nobel en 1992, est évident, sa dimension humaniste est incontestable. Conscient des dangers que constituent les armes atomiques, des menaces qu'elles représentent pour l'équilibre planétaire, Georges Charpak se lança dans une action d'envergure, grâce à la notoriété que lui donna son prix Nobel. Dès 1993, il frappa à de nombreuses portesportes de palais présidentiels, aux États-Unis, en Union soviétique, en France, s'inscrivant dans la lignée de ceux qui ont participé au long travail de réduction des armes stratégiques.

L'aventure de « la Main à la Pâte » fut initiée en 1994, au vu de l'expérience d' « alphabétisation scientifique » tentée par le grand Léon Lederman dans les faubourgs de Chicago. À son retour en France, il s'entoura d'une équipe persuadée de l'importance d'un enseignement précoce des sciences à l'école, dont Pierre Léna et Yves Quéré. Ensemble, ils réunirent 344 instituteurs pionniers, qui firent rapidement des émules ; l'initiative s'internationalisa rapidement. En 1998-1999, est rédigée une charte qui, en dix « principes », explique avec rigueur les objectifs, les protocolesprotocoles, les méthodes pédagogiques, les partenaires, les moyens nécessaires pour donner le goût des sciences aux enfants ; l'objectif est de susciter chez les jeunes des vocations scientifiques. Aujourd'hui, les actions de la MAP (Fondation La main à la pâte) sont attentivement suivies et épaulées par l'Académie des sciences, les universités, les grandes écoles, soucieuses de susciter des vocations scientifiques dans notre pays. 

À l'automneautomne 2013, un véliplanchiste s'élança dans le golfe de Sagone, près de Cargèse, en Corse, avec un précieux fardeau : il fut chargé de disperser les cendres de Georges Charpak, qui s'inscrit pour nous dans la cohortecohorte des grands découvreurs. 

La Traque des particules élémentaires, de Jacqueline Desselle-Marinacce

Le livre La Traque des particules élémentaires, de Jacqueline Desselle-Marinacce, accompagne, par un hasard providentiel, la communication mémorable faite au Cern en juillet 2012, vous mettant ainsi au cœur des évènements qui passionnent nos physiciens des particules à la recherche du boson de Higgs traqué depuis plus de quarante ans !

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De Leucippe à Charpak, en passant par Lavoisier, Marie Curie et les autres... Préface de Jean-Paul Martin, directeur de Recherche au CNRS. Cliquez pour acheter le livre de l'auteur.

Braquant un projecteurprojecteur sur quelques êtres exceptionnels, cet ouvrage évoque cet inlassable jeu de cache-cache auquel s'amusent depuis près de trois millénaires les Hommes et les particules atomiques. Il débute durant l'Antiquité grecque et se termine par l'interview d'un physicien des particules du Cern.

À la lecture de ce livre, vous vous joindrez ainsi à la cohorte de tous ceux qui se passionnent pour ce monde dans lequel nous sommes immergés, visible ou invisible, des lointaines nébuleusesnébuleuses jusqu'aux quarksquarks du noyau de l'atome...