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Francesca Gulminelli

Francesca Gulminelli

Physicienne

Le regard intimidé et méfiant des gens quand on leur dit qu'on fait de la physique théorique est une expérience de tous les jours, et m'attriste profondément. En effet l'apprentissage que la plupart d'entre nous a eu de la science à l'école est une série de formules arides et obscures, un langage inaccessible au plus grand nombre et déconnecté de leurs émotions et des leurs soucis. Pourtant la physique théorique est, d'abord et avant tout, une des plus puissantes approches interprétatives du réel. La physique théorique est un art, et comme tous les arts elle peut et elle se doit de parler à tout le monde. Les équations sont émouvantes comme des symphonies, évocatrices comme des tableaux, mais à la différence des autres arts, la physique se confronte sans arrêt avec le monde extérieur. Cette confrontation avec la donnée objective - le pouvoir prédictif de la science - est à l'origine de sa puissance inégalée et demande en même temps un exercice continuel de rigueur et d'humilité. La science est une inépuisable source de jouissance intellectuelle et une école de vie. C'est pour cela que la formation des jeunes vers la science et à travers la science est un enjeu essentiel dans notre société. Avec ses moyens limités et malgré le dévouement et la bonne volonté de tant de profs passionnés, l'école n'arrive malheureusement pas à transmettre aux nouvelles générations la fascination et le dynamisme d'une science vivante et à mesure d'homme, ayant pour but un progrès véritable et durable de l'humanité entière. En réduisant la science à la froideur ingrate d'immuables et arbitraires lois d'algèbre, au lieu de fournir un instrument puissant de liberté et de respect, l'école contribue à creuser un fossé odieux entre une élite brillante mais conservatrice et dogmatique, et le reste du monde. Des sites comme Futura-Sciences contribuent à soulever ce voile qui éloigne tant de jeunes gens des joies de la science. En reconnaissant à la science son coté ludique, de curiosité, d'invention et d'intuition, Futura-Sciences prépare une génération qui sera certainement meilleure de la précédente. La science est abordable, la science est rigolote, faire de la science – à n'importe quel niveau – donne bien plus de satisfactions que faire de l'argent : ne soyez pas intimidés par les sciences les jeunes, surfez sur le web et laissez vous porter !

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Biographie

Francesca Gulminelli est née à MilanMilan (Italie) en 1964.

Elle n'a eu aucune vocation précoce pour la physiquephysique.

Elle a suivi des études littéraires jusqu'au bac, ses meilleurs notes étaient en grec ancien et en philosophie, et elle s'est seulement ensuite approchée de la physique, surtout fascinée par la conception du réel apportée par les sciences exactes. Elle a fait ses études à l'Université de Milan, et soutenu sa thèse Mastaire en 1988.

A la suite d'une série de circonstances éminemment aléatoires, Francesca a déniché un contrat d'un an en tant que chercheur associé auprès d'un institut de recherche en physique nucléaire théorique rattaché à l'Université de Munich (LMU) en Allemagne.

Cette expérience lui a fait comprendre clairement que sa voie serait la recherche scientifique. Elle a donc obtenu une bourse de trois ans de l'Université de Milan pour préparer son travail de thèse doctorale, que elle a soutenu en 1992.

Cette thèse en co-direction entre l'Université de Milan et l'Institut National de Physique Nucléaire de Catane lui a fait voir pas mal de pays. Pas seulement elle a vécu à moitié temps entre sa Lombardie natale et la Sicile, à l'autre bout de l'Italie, mais aussi, encouragée par son directeur de thèse, Francesca a passé près d'un an en 1991 aux Etats-Unis, entre le laboratoire nationale NSCL dans l'état de Michigan et la Kent State University en Ohio.

L'expertise acquise dans ces quatre années de recherche en physique nucléaire théorique lui a permis d'obtenir entre 1992 et 1993 un contrat de recherche postdoctorale à l'Université de Giessen, en Allemagne, et ensuite une bourse de l'Union Européenne à l'Institut de Sciences Nucléaires de Grenoble (maintenant LPSC).

A Grenoble Francesca a appris la langue française, ce qui lui a permis d'être embauchée en 1994 comme enseignant chercheurenseignant chercheur (Maître de ConférencesMaître de Conférences) à l'Université de Caen, où elle travaille encore aujourd'hui.

Au cours des années ses intérêts de recherche se sont progressivement déplacés de la physique nucléaire vers la mécanique statistique des systèmes nanoscopiques et microscopiques, plus particulièrement leurs propriétés de transitions de phasestransitions de phases. La remarquable liberté intellectuelle reconnue aux chercheurs par les universités françaises, qui aujourd'hui est de plus en plus menacée par la volonté politique d'assujettir la recherche scientifique aux lois du marché, lui a permis de mener à bon cette évolution, utilisant ainsi ses capacités au mieux pour le progrès de la science.

Entre 2001 et 2003 elle a bénéficié d'une délégation au CNRS pour pouvoir se dédier entièrement à la recherche scientifique.

Ses travaux ont donné lieu à plus de 60 publications dans des revues scientifiques à comité de lecture, plusieurs articles de revue, et des nombreux cours et séminaires invités dans des écoles et conférences internationales.

Elle a été nommée à l'Institut Universitaire de France en 2003.

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métier

Mon métier au quotidien : Il est certainement vrai que le métier de chercheur n'est pas très bien payé, et qu'il demande des longues années d'études et de précarité professionnelle. Toutefois je reste convaincue qu'il s'agit du plus beau métier du monde : nous sommes payés pour faire exactement ce que nous ferions spontanément sur notre temps libre. Je ne connais pas beaucoup d'autres métiers aussi privilégiés. Quant à moi, je suis enseignante-chercheure. Ceci signifie que je partage mon temps de travail entre la recherche et l'enseignement à l'Université. La passion pour la recherche, est la motivation qui m'a conduite vers cette profession. Faire de la recherche en physique théorique, ça signifie contribuer de façon concrète et personnelle à l'écriture de ce bijou qui est le langage scientifique, un langage qui évolue continûment, et continûment gagne en puissance. Une feuille (plusieurs feuilles…pour chaque fois qu'on se trompe…) de papier et un stylo sont les instruments suffisants pour développer une nouvelle idée ; un ordinateur est nécessaire pour la transformer en une modélisation qui permet de produire des résultats comparables à l'expérience. Cette démarche n'est pas solitaire, mais hautement collective. La physique d'aujourd'hui est tellement sophistiquée et spécialisée que plusieurs compétences complémentaires sont requises pour mener à bon un travail, même théorique. On passe nos journées à discuter, les soirées à chercher de réorganiser les idées et à étudier le travail des autres, et la journée successive on recommence du début. La paternité d'un modèle ou d'une théorie n'est presque jamais attribuable à un génie isolé, ni au travail d'une équipe bien définie. On répète sans cesse le travail des autres, avec des modifications infinitésimales qui sont élaborées en parallèle par plusieurs groupes de part le monde. Et c'est seulement au bout d'un certain temps que l'ensemble de ces variations minuscules prend naturellement aux yeux de la communauté internationale la forme évidente d'une théorie novatrice. C'est un exercice de modestie, la recherche scientifique. Ceci n'empêche que quand on a la chance d'arriver au bout d'une démonstration, on a l'impression d'avoir décelé à nous seuls un fil secret qui unifie la confusion apparente des phénomènes, des symétries cachées qui permettent de relier la pluralité des apparences à la pure splendeur d'une loi rationnelle. C'est un très fort sentiment de puissance. Et ce sentiment engendre facilement de l'arrogance, de la vanité et de l'égocentrisme. La compétition internationale est pesante, on est sans cesse attaqués et mis en défaut, et il faut beaucoup de ténacité pour ne pas se laisser abattre. Ceci je crois est particulièrement vrai pour les femmes. Il n'y a pas véritablement de discrimination à l'embauche, ou tout au moins je n'en ai jamais été témoin. La souplesse de l'organisation du temps de travail fait si que c'est un métier qui se concilie très bien avec une vie de famille. Cet ensemble objectif de facteurs positifs implique que la réalité de la discrimination n'est généralement pas reconnue parmi les scientifiques. Mais l'absence quasi-absolue de femmes, en France comme ailleurs, en position de direction et de pouvoir dans la recherche, est un fait. La grande majorité des intervenants dans les conférences internationales sont des hommes, j'en ai une expérience quotidienne. La réalité est que les qualités dominantes dans la recherche – assurance, arrogance, agressivité – sont des qualités assez masculines et il faut beaucoup d'efforts et d'obstination pour que nos propositions et nos projets en tant que femmes soient pris au sérieux. De ce point de vue, l'enseignement est une activité complémentaire à la recherche qui n'est pas seulement important d'un point de vue social, mais aussi très satisfaisant d'un point de vue personnel. En recherche on peut travailler pendant des mois sans aboutir à rien, ou bien être obligé à abandonner un projet prometteur faute d'investissements. C'est très dur, c'est un véritable deuil. Rien de tel dans l'enseignement : au bout d'une journée de travail, le bilan est toujours positif : on a travaillé, on a bien travaillé, ça ne peut qu'être utile. Et comme tous les enseignants le savent très bien, des instits aux profs de fac, travailler avec les jeunes est la meilleure façon de garder en soi la force créative de la jeunesse. Je voudrais essayer de vous faire partager le plaisir de la recherche en physique par un petit exemple personnel. En baissant la température ambiante, brusquement l'électricité ne rencontre plus aucune résistance à parcourir un fil électrique, et les messages se transmettent sans aucune perte. Ce phénomène très connu bien que étonnant, peut se comprendre seulement en étudiant la structure microscopique du matériel: à la température qui correspond à la transition, en regardant de façon de plus en plus approchée la composition microscopique du métal, on s'aperçoit que sa structure reste immuable: on dit que le métal est un fractal, ou auto-similaire.

Les physiciens ont compris que cette vertigineuse indépendance de l'échelle d'observation s'exprime par une équation mathématique qui gouverne la dépendance en température et en champ magnétique de l'énergie libre

Tout ceci s'appelle la supraconductivité, nous l'apprenons à la fac, et est à l'origine de maintes applications technologiques et industrielles. Maintenant, changeons complètement de domaine d'investigation. Quand un faisceau d'atomes heurte une cible à des vitesse de l'ordre du tiers de la vitesse de la lumière, la violence de la collision est telle que le coeur même des atomes se brise en mille morceaux en révélant ses constituants cachés. Ces expériences sont habituelles au Grand Accélérateur National d'Ions Lourds de Caen. C'est avec une émotion difficile à décrire que nous avons compris et vérifié que la distribution en taille et énergie de ces éclats microscopiques est décrite par la même équation qui gouverne la structure des matériaux supraconducteurs! Ce phénomène d'invariance d'échelle est un des concepts unificateurs qui permettent de décrire une variété disparate de phénomènes, physiques et non, avec le même outil théorique.