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Jean-Michel Chazine

Jean-Michel Chazine

Ethno-archéologue

Les hasards de la vie, ou plutot la manière dont on les met à profit, m'ont amené à découvrir et étudier de près à la fois les plus petits espaces terrestres dont l'océan autorise la survie et la partie la plus reculée de la grande forêt de Bornéo avec ses grottes immenses où les hommes se sont en fait installés depuis des dizaines de milliers d'années. Et là, en plus, ils y ont laissé des traces de leurs préoccupations et de leurs tentatives pour se ménager, en beauté, la bonne volonté des esprits. Esthétique et intentions y sont intimement liés et visiblement exprimés, confirmant la modernité dont les mains des hommes -et des femmes ! - préhistoriques étaient déjà porteurs. La recherche à la fois des techniques, mais aussi des valeurs dont les humains ont su faire preuve, même dans des contextes extrêmes, met en lumière leurs exceptionnelles capacités inventives et adaptatives. Aussi, je souhaite que Futura-Sciences puisse contribuer à lever les préjugés et faire reconnaître et respecter la diversité des représentations humaines.

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Biographie

Jean-Michel Chazine est ethnoarchéologue (ingénieur de recherche senior) au CNRS, au Credo (Centre de recherche et de documentation sur l'Océanie), faisant partie de la Maison Asie-Pacifique associée à l'EHESS et l'université Saint-Charles à Marseille.

D'abord spécialiste de l'étude de l'anthropisation des écosystèmesécosystèmes des îles basses (atollsatolls) du Pacifique, il a ensuite réorienté ses recherches vers les premières traces d'occupation, notamment de peintures rupestres, à Bornéo et, plus généralement, dans l'aire Indo-Pacifique.

Après une formation d'ingénieur physico-métallographe et un court passage dans l'industrie de l'eau (1969-1973), il s'est reconverti à l'ethnoarchéologie (Nanterre/Sorbonne/Paris 1) en commençant à travailler en muséographie au Musée de l'Homme et au MAAO (1973-1979) ainsi qu'en Polynésie française (1974). Son implantation à Tahiti (1974) lui permet de créer et diriger le département Archéologie (1979-1982) en initiant le personnel local et en lançant des programmes d'études et d'inventaire ethnoarchéologiques dans les différents archipelsarchipels.

Les atolls des Tuamotu et la découverte des grottes de Bornéo

Entre 1982 et 1992, il initie et coordonne plusieurs programmes de recherches axés sur les modes d'occupation et l'exploitation des ressources naturelles des atolls des Tuamotu et du Pacifique en général. Programme repris depuis 2000 et plus spécifiquement orienté vers la recherche des premières occupations et de leurs ascendances.

En 1992, une rencontre improbable avec le spéléologue-photographe-documentariste Luc-Henri Fage l'emmène dans une prospection pionnière au cœur de Bornéo qui s'avère vierge de toute investigation archéologique. Là, jusqu'en 2002, ils vont, en commun, découvrir plus d'une centaine de grottes dont plus de 30 sont ornées (http://www.kalimanthrope.com).

Un art rupestre imprévu et exceptionnel présentant des variantes inédites va être observé et étudié, permettant d'envisager des hypothèses nouvelles concernant notamment la fonction des mains négatives ainsi que l'utilisations de ces lieux extrêmes (http://pacific-credo.net/staff_pages/).

Deux documentaires de 52 mn (en 1997 et 2004), réalisés par L.-H. Fage, relatant leurs aventures scientifiques ont été diffusés sur FR3 et Arte et primés dans de nombreux festivals. Ils ont obtenu le prix du Rolex Award for Enterprise Associé en 2000, et été subventionnés par la National Geographic Society en 2003.

Jean-Michel Chazine a reçu le Cristal du CNRS en 2001

Depuis 2003, en concertation avec les autorités locales, Jean-Michel Chazine a conçu et entrepris un programme de fouilles (grâce aux aides conjointes du Ministère des Affaires étrangères, de l'Ambassade de France et le soutien logistique de Total-Indonésie) qui a permis de confirmer une occupation humaine très riche et particulièrement diversifiée antérieure à la fin du PléistocènePléistocène (plus de 10.000 ans). Des sépulturessépultures inédites dont les déterminations ADNADN sont en cours, montrent déjà une très grande complexité dans les processus de peuplement de cette partie de l'aire Indo-Pacifique. Ces résultats sont à mettre en corrélation avec des recherches ethnoarchéologiques que Jean-Michel Chazine a conduites également dans les grottes de Palawan (Philippines) entre 1996 et 2000 et sur lesquelles un documentaire de 52 mn (Traces de vie) a été réalisé, en collaboration avec la réalisatrice Catherine Michelet.

Bibliographie succincte

2006 : Identification sexuelle des empreintes de mains négatives de Gua Masri II (Est-Kalimantan/Indonésie (coll. avec A. Noury), in INORA 44, p.1-5 (+ version anglaise).
2006 : Grottes ornées : le sexe des mains négatives in Archéologia 429, p. 8-11.
2005 : Rock Art, burials and habitations : caves in East Kalimantan, in Asian Perspectives, 44 :1, p.219-230.
2003 : Les Tuamotu : Recherches sur un passé encore très récent, in Les Tuamotu, Bull. de l'Assoc. des HistoriensHistoriens et Géographes de Pol. Fse, JM. Dubois & CTRDP (ed.) Papeete, N°7, p.7-20.
2003 : Rock Art and ceramics in East Borneo : logical discoverydiscovery or new cornerstone ?. Conf internationale sur l'Archéologie du Pacifique: Bilan et perspectives. Publ. Département Archéologie n° 14, Nouméa p.43-52.
2003 : Résultats des recherches archéologiques à Makemo, Tuamotu, dans Cahiers du Patrimoine, Dossier N°2, Service de la Culture de Polynésie Française (ed.), Papeete, p.117-136.
2002 : Découverte d'un art rupestre inattendu dans l'est de Bornéo : datations et problématiques, dans Datation : Actes Conférence du CEPAM/Antibes, oct. 2000, Ed. APDCA, Antibes, p.371-383.
2001 : Les Tuamotu à la recherche d'un passé encore très présent, dans Recherches Géographiques n° 9, CTRDP, Papeete, oct. 2003, p.8-25.
1999 : Préhistoire: Découverte de grottes ornées à Bornéo, in Archéologia, n°352, Janv. 99, pp.12-19.
1999 : La Ligne de Wallace a-t'elle été franchie par les artistes des temps préhistoriques ? Deux nouvelles grottes ornées à Bornéo en sept. 98, (collab. avec LH. Fage) dans Karstologia n°32, Fev. 99, pp. 39-46.
1999 : Kalimantan, l'île qui n'avait pas de Préhistoire, (collab. avec LH. Fage) dans Grands Reportages, n°205, Fev. 99, pp.20-38.

1999 : Unraveling and reading the past in Borneo: an archaeological outline of Kalimantan, dans The Pacific from 5.000 to 2.000 BP : colonisation and transformations, Publ. ORSTOM/IRDIRD, Nouméa, pp.213-226.

Missions (terrains, documentation, participations colloques...)

1974 : Tahiti (Ta'ata), atoll de Taiaro (Tuamotu);
1975 : Tahiti (Papeno'o), Iles s/s le VentVent (ISLV), atoll de Takapoto (Tuamotu);
1976 : " ", Nouvelle Calédonie;
1977 : ", Australes (Tubuai, Rurutu), ISLV (Vaihi), Atoll de Reao (Tuamotu);
1978 : " ", Marquises, Iles Australes (Tubuai);
1979 : " " (Papeno'o), Australes (Rurutu), Marquises;
1980 : " " (Papeno'o), atolls des Gambiers, Takaroa & Reao (Tuamotu);
1981: Tahiti, Marquises, Malaisie, Japon;
1982: Tahiti, Takapoto, Nouvelle Zélande, Sydney;
1984: Tahiti, atolls de Rangiroa, Ahe, Manihi & Reao (Tuamotu);
1985: Tahiti, atoll de Ana'a, Archipel des Cook , Moscou & Leningrad (Conf.);
1986, 87 & 88: Tahiti, ISLV (Huahine), Ana'a (Tuamotu);
1989: Tahiti, Nouvell Zélande, Ana'a (Tuamotu), atolls des Marshalls (Conf.), Fiji, Kiribati & Tuvalu;
1990: Tahiti, atolls de Rangiroa & Ana'a (Tuamotu), Hawaii (Conf.);
1991: Tahiti, atolls de Fakarava, Toau & Ana'a (Tuamotu), Hawaii (Conf.);
1992: Tahiti, atoll, de Ana'a (Tuamotu), Vancouver, Bornéo (Sarawak, Est Kalimantan);
1993: Tahiti, NZ, Iles des Salomons centrales, Bornéo (Est Kalimantan), Jakarta (CEDUST);
1994 : Thailande (Conf. IPPA), Jakarta, Kalimantan Ouest (BRC) et Est, Palawan (Conf.), Salomons, New Dehli (Conf.WAC).
1995 : Jakarta, Palawan (Philippines), Bornéo (Est Kalimantan), Iles Salomons, Canberra. (Australie).
1996 : Jakarta, Palawan, Port Vila (conf.IRD), Brunei (Conf.BRC), Borneo (E. Kalimantan), Jakarta (Conf.)Iles Salomons.
1997: Jakarta, Palawan, Borneo (E. Kalimantan), Samoa.
1998: Palawan, Borneo (E. Kalimantan), Malaisie (IPPA Conf.), Jakarta.
1999: Borneo (E. Kalimantan), Palawan.
2000:Tahiti/Makemo (Tuamotu) (X2).
2001: Borneo (E. Kalimantan et Jakarta,) X2, Kuching ( Malaisie), Tahiti/Makemo(Tuamotu), Palawan (Philippines).
2002: Borneo(E. Kalimantan/Kuching), Tahiti/Makemo(Tuamotu), Noumea, Canberra (PICS Conf.).
2004: Borneo(E. Kalimantan), Tahiti/Tatakoto(Tuamotu), Valcamonica (RA Conf.), New Dehli (RASI Conf.), Jakarta (Expo Mus.), Nouméa (PHA Conf.), Armidale (AAA Conf.).
2005 Borneo(E. Kalimantan), Tonga (Lapita Conf.), Moscou (RA Conf.).
2006: Borneo(E. Kalimantan), Manille (IPPA Conf.).

Activités audiovisuelles

(Co-production (CP), Direction Scientifique (DS), Co-Realisation (CR), Camera (C)):

1 1981 : "Techniques traditionnelles de pêchepêche" , documentaire 16mm (en coll. avec P. Auzépy et E. Conte), DA du CPSH, Papeete, 45mn diffusées sur RFO/80mn archivées, (CP+DS+CR).
2 1987a :"Images d'une mission aux Tuamotu", montage préliminaire de 22mn (en coll. avec P. Auzépy ), Vidéo 3/4 Umatic pour diffusiondiffusion institutionnelle, (DS+CR).
3 1987b :"Le sablesable, l'eau et l'humushumus", documentaire Vidéo 3/4 Umatic de 26mn (en coll. avec P. Auzépy) , MEDETOM-DA du CPSH, Papeete, diffusé sur RFO, FR3, M7, Festivals et francophonie, (DS+CR).
4 1987c :"Eléments d'Ethnothèque", documents vidéo 3/4 Umatic d'archives de 7h, (en coll. avec P. Auzépy ), MEDETOM-DA du CPSH, Papeete, (DS+CR).
5 1987d : "Plantes et techniques anciennes : le pia ", document vidéo 3/4 Umatic de 43mn dont 6mn diffusé sur RFO, (en coll. avec P. Auzépy), Ministère du Développement des Archipels (MDA), Papeete, ( P+DS+CR).
6 1987e : "Plantes et techniques anciennes : le pokea ", document vidéo 3/4 Umatic de 13mn (en coll. avec P. Auzépy), MDA, Papeete, (P+DS+CR).
7 1988a : "Jardins et compostcompost", document vidéo 3/4 Umatic de 11mn ( en coll. avec P. Auzépy), MDA, Papeete, (P+DS+CR).
8 1988b : "Tradition et Développement", série de 4 émissionsémissions de 20mn en vidéo 3/4 Umatic, (en coll. avec P. Auzépy), réalisées et diffusées localement, MDA, Papeete, (P+DS+CR).
9 1989a : "Tradition et Développement sur d'autres atolls", émission de 22mn (en coll. avec P. Auzépy, réalisée et diffusée localement en vidéo V8, MDA, Papeete, (P+DS+CR+C).
10 1989b: "Tradition et Développement", documents vidéo V8 d'archives et de montage de 7 heures sur les Tuamotu, (en coll. avec P. Auzépy), MDA, Papeete, (P+DS+CR+C).
11 1989c: "Des îles et des hommes, Tradition et Développement", documents vidéo V8 d'archives et de montage de 6 heures sur les atolls du Pacifique occidental, MDA, Papeete, (P+DS+C).
12 1989d: "Courses de modèles de pirogues de Kiribati", documentaire vidéo V8 de 30mn, MDA, (P+DS+C).
13 1989e: "De drôles de petits bateaux!", montage commenté de 4mn 35, diffusé sur RFO, Papeete, (P+DS+C).
14 1990a: "Journée d'un enfant paumotu ", documents de travail vidéo V8 de 72mn (en coll. avec P. Auzépy et J. Hauata), MDA/Univ. Fse du PacPac., Papeete, (P+CR+C).
15 1990b: "Une journée d'enfant paumotu ", montage vidéo 3/4 Umatic de 22mn, (en coll. avec P. Auzépy), MDA/CTRDP , Papeete, (P+CR+C).
16 1992a: " Organisation du premier stage CPCV à Ana'a", 45mn, MDA/Eglise Evangélique, Papeete (P+DS+C.).
17 1992b: " Trekking archéologique à Bornéo", documents de travail vidéo V8 de 10h 30 (DS+R+C).
18 1993a: "Sur le fil de l'eau à Bornéo", montage vidéo Betacam commenté de 7mn, diffusé sur RFO, Papeete, (DS+R+C).
19 1993b : "Du Pacifique à Bornéo" documents de travail vidéo 8 et Hi8 de 5h (DS+R+C).
20 1994 : " missions 94 à Kalimantan, Palawan et Salomons" doc. de travail vidéo Hi 8 de 6 heures (C).
21 1995a : "Traces de mains, traces d'humains". montage Betacam de 8mn pour l'émission scientifique "Nimbus"/FR3, diff.sept.95 en col.avec LH Fage et V. Lombroso (DS+C).
221995b : "Les Savanturiers", montage Betacam de 15mn pour un pilote de 26mn en col. avec LH Fage et V. Lombroso (DS+C).
231996a : "Les grottes ornées de Bornéo", coll. et Dir. Scient. au documentaire Betacam de 52 mn en coproduction avec Gédéon et FR3, réalisé par L.H.L.H. Fage (primé à de nombreuses reprises dans les festivals).
241999/2004: " Bornéo: La mémoire des grottes" coll. et Dir. Scient. au documentaire Betacam de 52 mn en coproduction avec MC4 et ARTE, réalisé par L.H. Fage (primé à de nombreuses reprises dans les festivals).
251999/2007: "Traces de vies" (mission ethnoarchéologique à Palawan, 1999), coll. et Dir. Scient au doc. Betacam de 52 mn réalisé par Cath. Michelet (2001/2007).
26 2001/2002: "La pêche au operu, îles sous le Vent", coll. et Dir. Scient. au doc. de 26 mn co-réalisé avec P. Auzépy (2001/2002).

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métier

Il est 6heures: les singes commencent à hulluler, quelques oiseaux à piailler et notre cuistot préféré a déjà fait jaillir de grandes flammes du feu, avec une giclée de pétrole. Habituellement tout le monde dort encore, mais étant un "lève-tôt", j'aime bien faire partie du premier service de café. Alors, je m'extrais de mon hamac, en arrachant délicatement le scratch qui fixe la moustiquaire et en visant en premier mes spartiates dans la pénombre. Ensuite, rapidement, il vaut mieux allumer un "tortillon" car les moustiques sont embusqués. Comme ils sont très souvent porteurs de la malaria et que nos pilules ne seraient efficaces qu'à 85 à 90 %, mieux vaut réduire les risques… Il faudra à peu près deux heures à notre équipe, assistée d'une dizaine de transmigrants ou d'authentiques locaux, pour prendre le premier des 3 repas quotidiens, constitué invariablement d'une platée de riz et de quelques ingrédients pour tenter d'en moduler un peu le goût. La toilette et les ablutions matinales dans la rivière, mais aussi dans la moindre petite vasque d'eau, sont tout aussi rituelles chez nos partenaires indonésiens.
Après une petite demie-heure de marche ou d'escalade, on accède au chantier de fouilles et ses 2 ou 3 sondages en cours d'investigations en grotte ou en pied de falaise. Là, la première opération consiste à allumer des tortillons anti-moustiques, puis à dégager les protections qui avaient été posées la veille sur la surface fouillée. Chacun des 3 à 4 archéologues professionnels français et indonésiens de notre équipe pluridisciplinaire a son propre programme, établi en début de chantier et sait comment gérer les diverses couches et vestiges matériels que les fouilles font peu à peu apparaître. Tous les déblais extraits à la petite truelle langue de chat, sont tamisés avec une maille de 2mm environ, classés par couche et triés par catégories d'objets: os, pierres travaillées, déchêts lithiques, céramiques… etc. Si l'on rencontre des charbons et qu'ils sont éloignés d'au moins 50cm de toute trace de végétal pour éviter les pollutions, on va pouvoir les prélever avec précaution et les isoler, pour faire des datations par le carbone 14. Au fur et à mesure, des notes, des croquis, des relevés et des photos ( numériques maintenant) sont faites par chacun d'entre nous qui seront regroupées en fin de mission. Sans être vraiment insupportable, la température nous a tous déjà mis en nage et la sueur a complètement mouillé nos tenues de terrain, bien avant la coupure de 10 heures pour le petit café "à la turque", plus fort en sucre qu'en café. Pendant les fouilles, tout objet, observation ou contexte particulier fait l'objet d'une exclamation bien sonore puis d'une confrontation commune immédiate avec les collègues qui parfois diffèrent dans leur interprétation, ce qui alimentera les hypothèses ultérieures. Après la pause de 11heures trente et la consommation de nos sachets individuels de nouilles instantanées de différents goûts (Indo-mie) auxquels chacun tente d'ajouter une petite variante, suivi du même café sirupeux, les fouilles vont reprendre jusqu'à 16 heures 30, car la nuit, comme pour toutes les zones tropicales, tombe très vite autour de 18 heures. Souvent un grondement annonce l'arrivée d'une petite averse qui ponctue nos travaux à partir de la mi-journée, mais comme nous sommes à l'abri dans une grotte ou dans un abri sous roche, cela permet de se rendre compte de la véritable occupabilité du site tout en rafraîchissant notablement la température. Pendant qu'une équipe procède aux fouilles, descendant parfois à plus de 2 mètres de profondeur, une autre équipe s'occupe de faire les relevés et les photos des peintures rupestres qui ont été repérées au préalable dans quelque grotte proche. L'utilisation de l'appareil photo numérique a remplacé avantageusement les relevés sur film plastique transparent (que l'UNESCO déconseille fortement maintenant car pouvant altérer ou polluer la surface pigmentée). Quelques sondages entrepris au pied des parois a jusqu'à présent confirmé que ces grottes n'avaient pas servi de lieu d'habitation, ne contenant aucun vestige alimentaire ou d'activité. Une observation méticuleuse des panneaux peints est régulièrement effectuée afin d'y déceler la moindre trace différentielle qui fournirait un indice complémentaire ou une répartition qui "parlerait" d'elle-même avec plus de précision. Mais le jour tombant vite, une fois rentrés, toute la bande se précipite dans l'eau autant pour laver les corps que les habits maculés de cette terra rossa caractéristique des massifs karstiques tropicaux. Ensuite l'opération nettoyage, classement et rangement pour ce qui est déjà lavé et séché peut durer jusqu'au repas. Deux aides sont resté au camp pendant la journée autant pour laver précautioneusement le mobilier archéologique et le mettre à sêcher à la moindre éclaircie ensoleillée, que pour nettoyer notre espace, couper le bois de cuisson et préparer le repas. Aujourd'hui par chance, un petit groupe de chasseurs a tué un cerf et nous en propose le cuissot qui pourra être préparé, selon les us des différentes "ethnies" présentes. Comme la conservation naturelle est limitée, tout devra être consommé rapidement, une analogie avec les contingences que les chasseurs-cueilleurs ont du affronter autrefois! Le groupe électrogène, démarré vers 18 heures va tourner jusque vers 21 heures, permettant à chacun les activités qui lui conviennent ou lui incombent. J'en profite pour rédiger le journal de la journée, véfifier des points de discussions, des détails sur des objets, préparer ceux qui seront photographiés avec un éclairage naturel mais choisi…etc. C'est au cours de la soirée qu'à tour de rôle, on utilise le téléphone satellite, seul lien immédiat (mais capricieux car dépendant de la météo) qui nous relie avec le monde, car nous sommes au delà du dernier des derniers villages, à au moins deux jours de pirogue et parfois à un ou plusieurs jours de marche à l'intérieur d'un massif karstique prodigieux. Ces conditions interdisent de fait d'avoir le moindre pépin: le portage d'un corps, pire, d'un cadavre ou même d'un éclopé est quasiment inenvisageable… Quant à l'hélico, il lui faut au préalable une drop zone d'au moins 50 mètres de diamètre, ayant nécessité une semaine de déboisement à 4 ou 5 travailleurs locaux (ce que nous avons eu et pu réaliser quand même 3 fois). Jusqu'à présent, à part quelques accès de malaria chez nos porteurs, une piqure de cent pieds (aussi venimeux qu'un gros scorpion) ou un accès sévère d'hépatique B, je croise les doigts chaque jour, pour que cela "doure" encore, avec toujours aussi peu de coups durs. Il en va ainsi pendant trois semaines environ, puis après un dernier adieu à nos guides, aides et piroguiers, une fois rentrés dans leurs villages respectifs, nous traçons la piste, puis la route, pour retrouver Balikpapan, la ville enfumée, polluée, bruyante et surexitée, et surtout notre dépôt de fouilles, y apportant une grosse centaine de nouveaux kilos de vestiges. Pendant une quinzaine de jours, dans les trois pièces que nous avons co-louées dans une petite maison sur la colline, nous allons reprendre un à un chacun des vestiges extraits et en faire l'étude par catégories et selon nos spécialisations respectives. Un complément de nettoyage suivi d'une éventuelle restauration puis de prise de clichés, précède le rangement jusqu'à la prochaine mission. En ce qui me concerne, je m'occupe de la céramique qui est en fait dans cette partie du monde assez récente, puisqu'apportée par les Austronésiens il y a environ 5.000 ans. Je m'occupe également de tout ce qui concerne les peintures rupestres et les recherches bibliographiques ou analytiques sur leur contexte, mais ce sera pour plus tard, une fois rentrés en France. Ce qu'il importe dans l'immédiat, c'est d'étudier le plus rapidement et complètement possible le matériel puisqu'il ne peut être exporté. Seuls les échantillons soit de charbons, soit de colorant ou de toute autre matière donnant lieu à analyse spécifique peuvent être emportés, sous contôle des autorités indonésiennes. Et puis, 2, 3 voire 5 ou 6 mois après, les résultats des datations et des analyses nous donneront une nouvelle bouffée de chaleur, avant de se lancer dans la rédaction d'un rapport et, souvent d'un article d'information ou de vulgarisation, et parfois du scoop attendu et redouté!