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    Je voudrais maintenant aborder la question des dérives trop évidentes de la biologie de la reproduction et des essais cliniquesessais cliniques en ce domaine. On assiste en effet de part le monde à la mise en œuvre d'essais procréatifs de plus en plus acrobatiques et dont ni la nécessité, ni les règles de réalisation n'obéissent aux principes de l'éthique médicale. Les essais d'homme, comme j'ai proposé de dénommer la « procréatique expérimentale » nécessiteraient-ils moins d'attention que les essais sur l'homme ? Or, les tentatives pour surmonter la stérilité, notamment masculine, sont de plus en plus osées, théoriquement incertaines, et ne peuvent s'appuyer sur nul essai préalable pertinent sur du matériel expérimental. De plus, il s'agit là de répondre à des situations qui ne sont jamais d'une urgence telle qu'elles nécessitent de prendre de tels risques quant à l'état des enfants dont on va éventuellement permettre l'avènement. En cas de stérilité masculine, et tant que des traitements expérimentaux n'ont pas été validés, les couples peuvent en effet faire appel à la fécondationfécondation de la conjointe par du spermesperme de donneur, voire à l'adoption.

    Cependant, l'une des caractéristiques des vingt ans qui viennent de s'écouler est l'intolérance croissante à des filiations non biologiques. Dans nos sociétés, l'exigence de plus en plus impérieuse d'une filiation par le sang et par les gènesgènes a entraîné un développement scientifique et technique rapide des méthodes d'assistance médicale à la procréationassistance médicale à la procréation : après la fécondation in vitrofécondation in vitro classique appliquée à la stérilité masculine, est venue la fécondation après concentration du sperme, et enfin la méthode d'injection intra-ovocytaire de spermatozoïdesspermatozoïdes (ICSIICSI). Parfois, les hommes stériles n'ont pas même de spermatozoïdes ; des essais ont alors été réalisés pour tenter de féconder néanmoins des ovocytesovocytes avec des précurseurs immatures prélevés directement dans le testiculetesticule. On est même allé dans un cas, jusqu'à forcer, à l'aide d'un traitement hormonal en culture, la maturation en gamètesgamètes mâles fécondants de précurseurs peu différenciés, prélevés par biopsiebiopsie testiculaire. Il existe de nombreuses raisons scientifiques pour craindre que de telles manipulations n'aboutissent à de graves troubles du développement, voire à l'apparition de cancerscancers congénitaux.

    Donc, dans le but de repousser plus loin les limites de l'infécondité, des biologistes et des parents sont amenés à prendre des risques inconsidérés. Chez certains hommes, cependant, il est impossible d'envisager de prélever un fragment testiculaire car celui-ci est dépourvu de tout précurseur gamétique. Il peut même s'agir d'un couple homosexuelhomosexuel féminin qui désire un enfant procédant des deux conjointes. Ces personnes seraient en droit de revendiquer de n'être pas exclues de progrès réalisés dans la lutte contre la stérilité et dont bénéficient des hommes considérés jusque là comme irrémédiablement stériles. Or, rien ne nous empêche d'imaginer désormais qu'un conjoint dépourvu de testicule puisse néanmoins procréer. Ce sera son enfant, puisqu'il aura ses gènes, mais ce sera également l'enfant de la femme qui aura donné un ovocyte capable de reprogrammer le noyau cellulaire du conjoint ; cette femme qui aura porté et nourri en son sein cet enfant et en aura accouché. Le cas des femmes ménopausées chez lesquelles on greffegreffe un embryonembryon, qui n'est naturellement pas leur embryon biologique, montre la très forte capacité de réappropriation de l'enfant, en dehors même de la filiation du sang et des gènes, qu'ont les femmes à partir du moment où elles le mettent au monde. Telle est donc l'une des indications potentielles du clonageclonage reproductif, dont nous avons vu que la mise au point de la méthode de production d'embryons humains clonés à des fins thérapeutiques pourrait en faciliter la réalisation. Ici, se pose d'abord la question des limites de la liberté des parents de décider ce que doit être l'enfant. Les parents décident d'avoir un enfant ; sans conteste, s'ils ne le décident pas, l'enfant ne vient pas au monde. Mais, au-delà de cette décision qui leur appartient, à partir de quand peut-on considérer que la liberté de choix des parents serait attentatoire à la liberté de cette personne à part entière qui va naître, leur enfant ?

    La question commence à se poser avec le choix du sexe ; elle pourrait s'étendre demain, avec l'extension des connaissances en génétiquegénétique, à celui d'autres traits non pathologiquespathologiques, physiques, voire psychiques, des enfants. En règle générale, les avis convergent sur un point : rien ne peut justifier, si l'on se réfère à l'éthique, le « magasin des enfants », ou l'enfant à la carte.

    L' « enfant à la carte », c'est à coup sûr ne pas prendre en considération l'irréductibilité de cette personne que deviendra l'enfant à la volonté préétablie de ses géniteurs. Etre parents, c'est non seulement décider d'avoir un enfant mais surtout l'aider à cheminer vers son indépendance. Un enfant qui naîtrait par transfert nucléaire serait à peu près identique à un jumeaujumeau du donneur de noyau. Par conséquent, la prédétermination de beaucoup de caractéristiques de cet enfant serait considérable : déterminisme de l'aspect général, du sexe, de la couleur des yeuxyeux et des cheveux, de nombreux traits de caractère, autant de caractéristiques transmises génétiquement. C'est beaucoup plus qu'un enfant sélectionné, c'est l'enfant prédessiné. Comment pourrait-on à la fois rejeter, souvent avec indignation, l'idée de l'enfant à la carte et accepter celle d'un enfant au génomegénome parfaitement pré-déterminé, obtenu par transfert nucléaire ?