au sommaire


    Au cours de cette conférence, on a amplement parlé des perspectives thérapeutiques des cellules souchescellules souches, qu'elles soient embryonnaires ou issues d'organes déjà différenciés. Cette dernière stratégie n'a évidemment que des avantages, sur le plan immunologique aussi bien que pratique et éthique. Cependant, les possibilités ouvertes par l'utilisation des cellules souches embryonnairescellules souches embryonnaires (cellules ES) humaines sont grandes elles aussi et méritent manifestement d'être explorées. Aucune objection éthique ne me semble s'opposer à de telles études dès lors qu'elles sont menées dans les conditions que j'ai résumées.

    Qu'en est-il du recours à des cellules ES issues d'embryonsembryons humains obtenus par transfert de noyau dans des ovocytesovocytes énucléés, ce que l'on appelle le « clonageclonage thérapeutique » ?.

    Dans l'avenir, une personne atteinte d'une maladie de Parkinsonmaladie de Parkinson ou d'un diabètediabète, demanderait à sa femme, à sa fille, de lui faire don d'ovocytes, ou bien les obtiendrait de donneuses, rémunérées ou non. Le médecin remplacerait le noyau de ces ovulesovules par celui d'une cellule quelconque de la personne à soigner et cultiverait l'embryon cloné ainsi créé pendant 6 à 7 jours dans les conditions du laboratoire jusqu'à sa transformation en blastocytes. A ce stade, les cellules du bouton embryonnaire constituent les précurseurs du fœtusfœtus proprement dit. C'est là l'origine des cellules souches embryonnaires. S'il est possible de leur commander de se différencier, en agissant sur les conditions de culture, en cellules du cerveaucerveau ou du pancréaspancréas, elles pourront alors être greffées au malade pour traiter sa maladie de Parkinson ou son diabète. La prise de la greffegreffe sera parfaite puisque les cellules greffées seront identiques à celles de la personne receveuse.

    Il faut noter que la description qui vient d'être faite d'un protocoleprotocole de clonage à visée thérapeutique chez l'homme reste à ce jour très académique. En effet, plusieurs équipes ont tenté de reproduire le clonage par transfert nucléaire chez des primatesprimates non humains (singes macaques et rhésus), mais sans succès. Selon des résultats rapportés par des journalistes scientifiques, les embryons clonés obtenus dégénèrent très rapidement, après quelques divisions seulement ; à leur niveau s'accumulent des anomalies chromosomiquesanomalies chromosomiques dont la cause n'est pas comprise. Ces résultats négatifs rendent très improbable le succès d'éventuelles tentatives de clonage humain, si elles étaient réalisées aujourd'hui.

    Cela signifie que des recherches menées au nom du « clonage thérapeutique » se focaliseraient en fait aujourd'hui exclusivement sur la méthode de création d'embryons humains clonés, et ne participeraient en aucun cas à l'avancée des connaissances nécessaires pour créer les conditions d'une utilisation possible des cellules souches embryonnaires en clinique. Une telle recherche n'a donc, à ce jour, rien de « thérapeutique », et ses résultats sont d'ailleurs nécessaires pour quiconque voudrait faire naître des bébés clonés aussi bien que pour les thérapeutes cellulaires qui rêveraient d'avoir à leur disposition des cellules ES immuno-compatibles. Cet aspect de la question apparaît évidemment crucial en ce milieu de l'année 2001, où se multiplient les déclarations d'intention de réaliser un clonage reproductif humain. La secte des raéliens a fondé une société de biotechnologiebiotechnologie dévolue à ce projet, Clonaid. Un groupe d'éminents biologistes de la reproduction mené par l'Italien Severino Antinori a également annoncé qu'il était mandaté par deux cents couples stériles pour parvenir à la production de bébés clonés à partir de cellules des pères stériles. Ces deux entreprises possèdent des atouts pour réussir. Les mécanismes sectaires, d'essence totalitaire, mettent en effet à la disposition des raéliens des centaines de jeunes femmes « volontaires » pour donner des ovules et prêter leur utérusutérus afin qu'y soient transférés les embryons clonés. Quant à Antinori et à ses collègues, ils disposent d'une solide expérience clinique en biologie de la reproduction. Le seul obstacle rencontré par ces candidats cloneurs est qu'ils sont vraisemblablement incapables de fabriquer à ce jour, nous l'avons vu, des embryons humains clonés normaux. Le jour où la technique aura été mise au point pour les besoins du clonage thérapeutique, l'obstacle sera levé, et il ne faudra pas attendre longtemps avant que l'on annonce la naissance d'enfants clonés.

    Une autre inquiétude a trait aux risques d'instrumentalisation supplémentaire du corps féminin auquel ne manquerait pas de conduire une large utilisation du clonage thérapeutique. En effet, les équipes publiques ou privées réalisant ces expériences devraient alors disposer d'une grande quantité d'ovules humains. La demande créant inéluctablement un marché, au moins en de nombreux pays, on imagine alors que des femmes dans le besoin seraient enrôlées en nombre pour constituer des cohortescohortes de donneuses d'ovules rémunérées. Elles accepteraient, par contrat, de se prêter à des stimulationsstimulations ovariennes répétées, accompagnées du contrôle sanitaire nécessaire à la vérification de la qualité des productrices et de leur production.

    Ainsi, la mise au point aujourd'hui de la méthode de production d'embryons humains clonés m'apparaît-elle comporter plus de risques éthiques que constituer une étape urgente et nécessaire vers la réalisation des promesses de la médecine régénératrice. Nous sommes là dans une situation classique de tension éthique créée par l'opposition entre deux logiques toutes deux recevables mais néanmoins incompatibles. Dans la logique de l'éthique aristotélicienne vue comme une morale de l'action, il faut néanmoins surmonter le blocage et faire un choix considéré comme le plus compatible avec l'idée que l'on se fait de la « vie bonne ». Il me semble retrouver dans les motivations des défenseurs d'une autorisation immédiate du clonage thérapeutique, les trois ressorts des dérives en matière d'expérimentation médicale : l'attrait de l'ouverture d'un champs scientifique nouveau, appréhendé comme un progrès en soi ; la déshumanisation de l'objet d'expérience ; les avantages allégués de l'expérience pour l'humanité.