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    Le bagne : transportation, relégation, déportation

    Le bagne : transportation, relégation, déportation

    Le bagne a profondément marqué l'histoire de la colonisation de la Nouvelle-Calédonie alors que cette expérience de peuplement a été un échec. La racine bagnarde dans le peuplement colonial est un fait longtemps mal vécu par les calédoniens, même si les libérés dans leur grande majorité n'ont pas eu de descendance. La génération actuelle s'est enfin décidée à assumer ce passé dont elle n'a pas à avoir honte et à surmonter un complexe que ne justifiait en rien la génétiquegénétique. Le bagne reste néanmoins un épisode douloureux et une utopie de plus dans les projets de peuplement coloniaux de la Nouvelle-Calédonie.

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    • L'échec de l'objectif de colonisation

    L'objectif de colonisation pénale était officiellement de peupler la colonie de la Nouvelle-Calédonie et de "régénérer" les condamnés. A partir de 1869 l'administration institua des concessionnaires pénaux auxquels elle attribua des terrains de 4 à 5 hectares qu'ils devaient mettre en valeur pour en obtenir à terme la pleine jouissance. Ils devaient ainsi se réhabiliter par le travail, l'objectif étant de créer, vallée après vallée, des colonies de paysans. C'était le grand dessein du gouverneur Guillain. Les concessions étaient attribuées à l'origine aux meilleurs sujets à la fin de leur peine. A partir 1878 l'accès aux concessions fut étendu aux condamnés en cours de peine. Avec cette nouvelle réglementation et à partir de 1882, sous l'impulsion du gouverneur Pallu de la Barrière qui voulait vider le bagne, le rythme d'octroi des concessions augmenta fortement jusqu'à ce que les colons libres, exaspérés, obtinrent à partir de 1886 une plus grande rigueur. Il s'en suivi une décrue. Il y eut aussi une politique de transportation de femmes qui manquaient car la colonie en avait peu qui puissent accepter de se marier avec des libérés.

    En 1897, à la fin de la transportation au bagne, il y avait 1.700 colons pénaux en Nouvelle-Calédonie. En rapprochant ce chiffre des 22.000 condamnés envoyés en Nouvelle-Calédonie on mesure l'échec de la colonisation pénale. En fait le bagne de Nouvelle-Calédonie avait pour objectif premier de débarrasser le sol métropolitain de ses indésirables. Il traduit la férocité répressive du XIXe siècle.

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    Les "transportés" étaient des délinquants et criminels et la justice de cette époque balayait large (vols 51%, meurtres ou tentatives 29%, moeurs 9%, incendies ruraux 5%, escroqueries et fraudes 4%). Les "relégués" envoyés à partir de 1886 étaient des petits délinquants récidivistes. La loi de 1885 instituait leur déportation sans retour à la fin de leur peine. Leur présence sur le territoire métropolitain gênait la rigueur morale de la IIIème République des notables. Les relégués étaient surtout issus du prolétariat citadin (ouvriers pauvres, petits métiers, mendiants, clochards) et dans une moindre mesure, paysan (journaliers).

    • Déportés politiques

    Après l'insurrection de La Commune en 1871, des "communards" furent déportés en Calédonie. Le premier convoi arriva le 29 septembre 1872 par la Danae. Au total environ 5.000 communards furent déportés sur le Territoire. Ils furent installés dans la presqu'île de Ducos, à l'Ile des Pins et à Dumbéa. Parmi ces déportés il y eut des personnages célèbres et en particulier Louise Michel. Durant sa déportation elle s'intéressa aux coutumes des Canaques, les décrivit avec considération et s'occupa d'eux avec humanité. Le pamphlétaire Henri de Rochefort et Pascal Grousset se signalèrent en réussissant à s'évader. Amnistiés le 3 mars 1879, les déportés de la Commune regagnèrent la Métropole dans leur quasi totalité.
    La France déporta également à partir de 1871 des Kabyles qui s'étaient opposés à la conquête de l'Algérie. Pour la plupart ils restèrent sur place. Ils ont fait souche notamment dans la vallée de la Nessadiou prés de Bourail. Au col de Nessadiou il y a toujours un "cimetière arabe". Ces Kabyles sont, depuis plusieurs générations, des Calédoniens parfaitement intégrés dans la communauté européenne.

    • Le problème non traité des libérés

    La loi de 1854 faisait aux transportés condamnés à des peines de plus de 8 ans, interdiction absolue de retourner en Métropole à l'expiration de leur peine. Les condamnés à moins de 8 ans étaient soumis au "doublage" qui était une obligation de résidence de même durée que leur peine. La Métropole pouvait ainsi se débarrasser définitivement de ses délinquants et criminels condamnés au bagne. Résultat, en 1887 la Calédonie comptait près de 6.000 libérés du bagne contre 9.000 colons libres. Le nombre des libérés était de 9.000 en 1906. Très peu de libérés eurent accès aux concessions. L'administration leur préférait des hommes en cours de peine qu'elle pouvait plus facilement contrôler. Dans leur immense majorité ils furent donc "jetés sur les chemins de la colonie avec (...) pour seule perspective la recherche désespérée d'un moyen de subsistance"(Isabelle Merle). La loi de 1854 et les décrets qui suivirent, avaient hypocritement occulté le problème des libérés.

    Ils étaient déclarés indésirables à Nouméa et dans les centres de brousse. Sans argent, sans terre pour les nourrir, ils vivaient une existence misérable et nomade, errant sur les routes à la recherche d'un travail chez les colons ou les mineurs. Ils étaient souvent contraints aux larcins. Ils faisaient des petits métiers mais l'administration moralisatrice leur en proscrivait certains (cabaretiers, brocanteurs). Beaucoup s'adonnaient à l'ethylismel. Ces hommes restaient entre eux, mais que pouvaient-ils faire d'autre ? Ils étaient craints de la population libre qui néanmoins profitait aussi de cette main d'oeuvre et parfois l'exploitait. On tentait de leur interdire l'accès aux tribus où ils contribuaient à l'alcoolisme des hommes et des femmes. On chercha, sans résultat, à limiter administrativement leurs déplacements. On les accusa de tous les maux. Tout concourait à les marginaliser, les nomadiser et à ne pas leur offrir la moindre de chance de se réhabiliter. Les libérés laissèrent, on s'en doute, peu de descendants et officiellement encore moins.

    • Le pénitentiaire

    L'administration pénitentiaire était très puissante, autonome en 1875 elle devint une sorte d'Etat dans l'Etat. Elle gérait de nombreux établissements pénitenciers; Île Nou, Ducos, Dumbéa, Île des Pins, Ouégoa, Téremba, etc.
    Très gourmande en terres la pénitentiaire se délimita une réserve qui atteint 110.000 hectares. Celle-ci ne fut que très partiellement utilisée mais elle contribua gravement aux spoliations des mélanésiens, origine des insurrections de 1878 et 1917 et des revendications foncières du mouvementmouvement indépendantiste kanak.

    • Le travail des bagnards

    Les bagnards étaient employés aux travaux d'intérêt général de la colonisation. A Nouméa on leur doit les important travaux de remblaiement du centre ville. Ils firent aussi l'exploitation de forêts et l'ouverture de routes. Les bagnards travaillaient bien entendu aux constructionsconstructions et projets divers de l'administration pénitentiaire. Ils furent en outre utilisés pour des intérêts privés.

    En 1866 le Gouverneur Guillain créa les "assignés", condamnés distingués par leur bonne conduite et qui étaient autorisés à travailler chez les particuliers. En 1875 le budget sur Ressources Spéciales fut institué et l'administration put passer des contrats de travail avec des particuliers, notamment dans la mine. Ainsi la pénitentiaire loua pour un prix dérisoire au mineur Higginson 300 forçats pour 20 ans. Ils furent employés dans les mines Balade et Pilou de 1878 à 1886. 65 forçats déportés politiques d'origine kabyle creusèrent les galeries de la mine Ao en 1901.