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    Comment l'univers pourrait-il ne pas être éternel ? On peut aisément admettre que les Hommes naissent et meurent. Que les planètes naissent et meurent. Mais comment le contenant, l'espace lui-même, pourrait-il naître ou mourir ? La raison imposerait de penser un univers éternel dans lequel se déploient des phénomènes temporels. C'est pourtant très exactement ce que vient contester le modèle du Big BangBig Bang. Bien que nous soyons maintenant habitués à cette idée de Big Bang, je pense qu'il est essentiel de ressentir à quel point elle est étrange.

    © NASA / WMAP Science Team, Wikimedia commons, DP

    © NASA / WMAP Science Team, Wikimedia commons, DP 

    Le modèle du Big Bang repose sur de nombreux piliers. Premièrement, le ciel de nuit est noir. Cette remarque désuète pointe en fait vers un véritable paradoxe. Si l'univers était statique et éternel, plus ou moins uniformément empli d'étoiles, il ne pourrait en être ainsi. Rien ici ne donne d'argument décisif en faveur du modèle du Big Bang. Mais cet état de fait montre au moins que l'image la plus intuitivement acceptable -- un cosmoscosmos figé et existant de toute éternité -- ne fonctionne pas.

    Deuxièmement, l'argument décisif, le plus évident, le plus incontournable, le plus simple aussi, est très certainement l'observation de l'éloignement des galaxies. Chaque galaxie observée dans l'univers s'éloigne de chaque autre. Découvert, dit-on, par HubbleHubble (mais en réalité plutôt par l'astronomeastronome américain Vesto Slipher, ou même par le chanoine et physicienphysicien belge Georges LemaîtreGeorges Lemaître), ce phénomène est immensément lourd de conséquences. Il dessine immédiatement l'image d'un univers en expansion, à l'instar d'une gigantesque bombe en explosion.

    Georges Lemaître (1894-1966), à gauche, et Edwin Hubble (1889-1953), à droite, sont les premiers à avoir observé l’éloignement des galaxies. Le télescope sur la gauche est le télescope Hooker du mont Wilson en Californie. Le télescope spatial Hubble est sur la droite. © A. Feild, Nasa, Esa

    Georges Lemaître (1894-1966), à gauche, et Edwin Hubble (1889-1953), à droite, sont les premiers à avoir observé l’éloignement des galaxies. Le télescope sur la gauche est le télescope Hooker du mont Wilson en Californie. Le télescope spatial Hubble est sur la droite. © A. Feild, Nasa, Esa

    Troisièmement, dès lors que l'on observe un univers en expansion se pose inévitablement la question de son âge. Si, en effet, les points d'univers s'éloignent les uns des autres, il doit exister un instant où tous ces points se touchaient. À partir de la vitesse d'expansion observée, il est très facile d'inférer approximativement le temps qui nous sépare de cet événement primitif. Et de façon remarquable, les plus vieux objets astrophysiques ont un âge qui est proche de cette valeur, mais un peu inférieur. C'est un résultat très convaincant en faveur du modèle du Big Bang.

    Quatrièmement, étant donné que la lumièrelumière se déplace à une vitesse finie, les objets lointains sont observés tels qu'ils étaient « dans le passé ». Or, en étudiant certaines galaxies, il apparut dès le milieu du XXe siècle que les plus proches différaient des plus lointaines. Autrement dit, puisque voir loin, c'est voir tôt, une évolution temporelle a eu lieu. C'est un argument décisif. Si l'univers existait de toute éternité, il n'y aurait aucune raison de se trouver en plein cœur d'une phase d'évolution.

    Cinquièmement, la physiquephysique nucléaire est une science bien maîtrisée. On peut, grâce à elle, prédire ce que devraient être les abondances des différents atomesatomes dans un modèle de type Big Bang. Aujourd'hui, ces études sont très sophistiquées, et à l'exception d'une légère tension pour le lithium 7 (un noyau comportant 3 protonsprotons et 4 neutronsneutrons), l'adéquation entre les prédictions et les mesures est remarquable. Ce bon accord entre les observations et les contraintes imposées par le modèle du Big Bang est un élément central et subtil en sa faveur.

    Sixièmement, le rayonnement fossilerayonnement fossile est sans doute la découverte la plus importante de la cosmologiecosmologie contemporaine. La mise en évidence d'un bain de « lumière » emplissant tout l'univers, de façon très homogène, et présentant exactement l'énergieénergie attendue est un immense succès, et une confirmation éclatante du modèle du Big Bang. Le satellite Cobe en a mesuré la dispersion en température. L'histoire ne s'est pas achevée ici, et un second satellite, WMap, est allé beaucoup plus loin : il s'est intéressé plus en détail aux infimes différences de températures que présente ce rayonnement dans des directions différentes. Aujourd'hui, c'est Planck, un satellite de l'Esa, qui donne les meilleurs résultats concernant le rayonnement fossile, avec une sensibilité plusieurs centaines de fois supérieure à celle de WMap. Il permet d'affiner encore notre description quantitative du modèle du Big Bang et de construire une cosmologie de haute précision.

    Le satellite Planck devant la carte la plus précise à ce jour des fluctuations de température du rayonnement fossile. Sa découverte est l’un des arguments forts en faveur du modèle du Big Bang. © Esa

    Le satellite Planck devant la carte la plus précise à ce jour des fluctuations de température du rayonnement fossile. Sa découverte est l’un des arguments forts en faveur du modèle du Big Bang. © Esa

    Que nous dit la cosmologie à propos de la science ? Je crois que ce qui caractérise cette démarche n'est ni une visée ni une méthode. Je crois que c'est une tension. Une tension entre d'une part l'immense liberté dont jouit le chercheur, et d'autre part cette altérité absolue qui s'impose, parfois avec violence, lors de la découverte. Il y a incontestablement quelque chose de démiurgique dans l'élaboration d'un modèle scientifique. Une description du monde est évidemment aussi la création d'un monde.

    Mettre une théorie sur pied (ou même donner sens à une observation) exige une immense liberté et une belle capacité d'invention. Mais en contrepoint, force est de constater que ce qui est vu n'est pas toujours ce qui était attendu. Peut-être même n'est-ce jamais exactement le cas. Une « extériorité » radicale semble être ici en mesure de reprendre ses droits. Ce subtil mélange entre le geste créatif du scientifique, finalement assez peu contraint, et la surprise qui, inéluctablement, se révèle lorsque le réel est plus intensément ou plus judicieusement scruté est sans doute constitutif de la spécificité de la démarche.

    Bien sûr, les élaborations scientifiques sont socialement déterminées. Notre modèle cosmologique n'est évidemment pas insensible au contexte sociétal dans lequel il se dessine. Il dit pourtant quelque chose du monde. Quelque chose de correct. Quelque chose qui n'est pas une simple tautologie. Mais il le dit suivant une vérité qui est elle-même construite et contractuelle, réfutable et mortelle.