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    La recherche de vie sur un autre monde

    La recherche de vie sur un autre monde

    Le géologuegéologue Charles FrankelCharles Frankel nous explique dans cette deuxième partie d'interview les conditions nécessaires à l'apparition de la vie, les expériences de recherche d'eau sur Mars et la nature des formes de vie qu'il serait possible de trouver sur la Planète rouge.


    Y a-t-il eu de l'eau sur Mars ? © Nasa

    Pourriez-vous nous donner une définition précise de la vie, de ce que l'on cherche ? On associe souvent la recherche de la vie à la recherche de l'eau sur Mars. Est-ce qu'il faut forcément de l'eau pour que la vie apparaisse ?

    Charles Frankel : On n'a pas de définition universelle de la vie, puisque l'on ne connaît que celle qui existe sur Terre. Mais, faute de mieux, on s'accorde à définir la vie comme un système autoreproducteur et mutant (c'est-à-dire qu'elle peut voir sa structure évoluer vers autre chose, à la différence d'un simple cristal par exemple qui reste identique à lui-même). En ce qui concerne la Terre, la vie est basée sur des atomes de carbone et utilise l'eau liquide comme milieu idéal pour des réactions chimiques. À notre connaissance (et la chimie est universelle, pas seulement terrestre) aucune autre combinaison d'atomes ou de milieux ne permet autant de complexité et de rapiditérapidité, deux facteurs importants pour l'apparition et l'évolution de la vie.

    Carte montrant les zones aquifères de Mars. © Nasa

    Carte montrant les zones aquifères de Mars. © Nasa

    Quelles expériences sont mises en place pour savoir s'il y a, ou s'il y a eu de l'eau sur Mars ?

    Charles Frankel : De l'eau sur Mars, il y en a des milliards de tonnes ! Il n'y a pas photo ! La calotte boréale de Mars est un immense glacierglacier de 3 kilomètres d'épaisseur, grand comme le Groenland ! Mais c'est de l'eau solide, pas liquideliquide. Là où il y a un mystère, c'est si de l'eau liquide peut couler à la surface de Mars à l'époque actuelle, malgré la très faible pression atmosphériquepression atmosphérique qui empêche en principe sa forme liquide. Les travaux actuels des chercheurs tendent à démontrer que l'environnement martien peut changer sur une échelle de temps de quelques dizaines de milliers d'années seulement, et que des précipitationsprécipitations ou des ruissellements d'eau liquide ont lieu périodiquement. D'autre part, dans le sous-sol de Mars, où la pression et la température augmentent avec la profondeur, on s'attend à ce qu'il y ait des poches d'eau liquide souterraines. Le radar de l'orbiteur Mars ExpressMars Express devrait nous éclairer à ce sujet.

    Quelle(s) forme(s) de vie cherchons-nous sur Mars ? Des formes primitives ?

    Charles Frankel : Pour la vie passée, il faut trouver des microfossilesmicrofossiles. Pour l'instant, nos sondes n'ont pas les instruments nécessaires (les microscopesmicroscopes de Beagle-2 et des Mer de 2004 ne sont pas assez performants). Le mieux est de rapporter des échantillons sur Terre. Pour des traces de vie actuelles, j'ai les mêmes réserves. Des expériences faites sur place par des robotsrobots peuvent livrer des indices, mais pour faire jouer toute la technologie dont nous disposons et avoir des résultats incontestables, il faudra rapporter dans nos laboratoires terrestres des roches et du sol martien, échantillons parfaitement choisis pour la circonstance [NDLRNDLR : en 2012, Curiosity est arrivé sur Mars, des échantillons du sol martien ont été prélevés et étudiés].

    Analyse du sol martien. © Nasa

    Analyse du sol martien. © Nasa

    La planète est-elle adaptée à toutes sortes de vie (bactéries, microbes, animaux, humains...) ?

    Charles Frankel : Dans l'environnement actuel de Mars, seules des formes de vie minuscules peuvent se maintenir, et plus probablement dans le sous-sol qu'en surface. Nous ne pourrions pas cultiver nos propres plantes à la surface de Mars, car il n'y a pas assez de pression atmosphérique (il faudrait la faire passer de 5 à 50 millibars au moins). Et peut-être que le sol a besoin d'être neutralisé chimiquement : peut-être est-il trop oxydant. Mais ces problèmes peuvent être résolus, sous une serre par exemple, où la pression serait augmentée au moyen de pompes. En revanche, pour les animaux tels que nous les connaissons (y compris l'Homme) et qui ont besoin d'oxygèneoxygène, il faut complètement changer l'atmosphère de Mars. Il faudra se résoudre à garder nos scaphandres !

    Pourquoi envoyer des Hommes vers Mars plutôt que des machines ?

    Charles Frankel : L'Homme est infiniment supérieur au robot. Lors de simulations que j'ai effectuées au pôle Nord, je suis sorti en scaphandre et j'ai pu trouver des fossilesfossiles en quelques minutes. Les robots que l'on faisait rouler en même temps sur le site n'en ont pas trouvé un seul. L'Homme a une capacité de synthèse, d'intuition (basée sur l'expérience) et d'improvisation phénoménales. De plus, une mission pilotée est beaucoup plus efficace, tant au niveau des coûts que des résultats. Une sonde automatique de retour d'échantillons coûtera sans doute un milliard à deux milliards d'euros et ne rapportera qu'un kilogrammekilogramme d'échantillons, choisis avec peu de jugement (malgré les caméras et autres instruments à bord).

    Une mission pilotée coûtera sans doute 10 à 20 milliards d'euros, soit dix fois plus. Mais les astronautesastronautes rapporteront 100 kg d'échantillons, soit 100 fois plus ! Et ces échantillons seront parfaitement choisis et documentés. Par exemple, les astronautes pourront trier leurs échantillons dans un petit labo sur place, afin de décider lesquels ils rapporteront sur Terre. Sans compter toutes les autres manips qu'ils feront sur la Planète rouge.

    À votre avis, quelles sont les plus grandes difficultés à surmonter pour envoyer des Hommes sur Mars ?

    Charles Frankel : Il n'y a pas de difficulté technique majeure. Pas besoin de propulsion nucléaire, nos moteurs classiques feront l'affaire. Ce sont les facteurs humains qui sont les plus critiques. Il y a d'une part la solidité psychologique d'un équipage livré à lui-même pendant un ou deux ans dans des conditions hostiles, loin de la Terre. Et il y a d'autre part les rayonnements nocifs : particules solaires et rayons cosmiquesrayons cosmiques. Sur ce dernier point, les avis divergent. Certains alarmistes prévoient des doses de radiations, cumulées sur la duréedurée du vol, qui seraient inacceptables. Mais les mesures effectuées lors du vol Terre-Mars par la récente sonde Mars OdysseyMars Odyssey prouvent que les doses sont dans la limite de ce qui est acceptable dans l'industrie nucléaire. Disons que le risque de cancercancer en fin de vie, pour un Martionaute effectuant un vol de 2 ans, sera augmenté d'environ 5 %. Mais il faudra faire particulièrement attention aux tempêtestempêtes solaires qui balancent une grosse dose de radiations en quelques heures, et faire en sorte que les astronautes disposent d'un abri « antiradiations » à bord, où ils s'enfermeront lors de ces crises solaires.

    Tempêtes de sable sur Mars. © Nasa

    Tempêtes de sable sur Mars. © Nasa

    On sait que la planète Mars est un environnement assez hostile (tempête, dioxyde de carbonedioxyde de carbone, radiations...). Est-elle vraiment habitable par une vie ?

    Charles Frankel : Les tempêtes de poussière, ce n'est rien. Le dioxyde de carbone, c'est positif au contraire ! C'est une matièrematière première que peut exploiter la vie par photosynthèsephotosynthèse (ce que font les plantes sur Terre). Les seuls facteurs négatifs sont les radiations et la rareté de l'eau liquide. Pour ce qui est des radiations, la vie peut s'en protéger en se cantonnant sous quelques centimètres de sol, voire en développant une carapace résistante ou des enzymesenzymes protecteurs. Sur Terre, il existe une forme de bactériebactérie qui prospère dans les cuves des centrales nucléairescentrales nucléaires !

    Pour ce qui est de la rareté de l'eau liquide, elle implique que la vie risque d'être rare elle aussi. Mais pas impossible ! Surtout à quelques centaines de mètres de profondeur, où des poches d'eau liquide existent vraisemblablement dans le sous-sol de Mars.

    Et les météorites récoltées sur Terre, que nous enseignent-elles ?

    Charles Frankel : Parmi les quelques 30.000 météorites que nous avons récoltées sur Terre, une quarantaine (en date de 2003) nous proviennent de Mars. La grande majorité des météoritesmétéorites sont des résidus de l'origine du Système solaireSystème solaire (fragments d'astéroïdesastéroïdes et de comètescomètes) et sont âgés de 4,5 milliards d'années. Celles qui nous intéressent sont beaucoup plus jeunes : 1,3 milliards d'années, voire dans certains cas 170 millions d'années seulement ! Seules les planètes volcaniquement actives, comme Mars et VénusVénus, ont pu fabriquer des roches à des époques aussi récentes. D'autre part, ces météorites ont un taux d'oxydationoxydation important, ce qui élimine la LuneLune comme source possible (du reste, on a aussi une vingtaine de météorites lunaires en notre possession, qui sont bien différentes). Mais le plus beau, c'est que certaines de ces météorites contiennent des bulles de gazgaz qui ont la même composition que l'atmosphèreatmosphère martienne ! En fait, ces météorites martiennes ont été éjectées dans l'espace par l'impact d'astéroïdes à la surface de la Planète rouge.

    Pensez-vous que l'atterrisseur Beagle 2Beagle 2 qui doit rechercher cette année [NDLR : 2004] la vie à la surface de Mars apportera une réponse définitive au problème ?

    Charles Frankel : Beagle 2 n'est pas équipé pour chercher la vie, recherche qui est un problème complexe, comme on l'a vu. Ce que la petite sonde va chercher, en revanche, ce sont des moléculesmolécules organiques à base de carbone qui sont les « briques » de la vie. Les sondes Vikingsondes Viking n'en avaient pas détectées, mais je pense que leurs instruments n'étaient pas assez sensibles, tout simplement. Je suis près à parier que Beagle en trouvera. D'autre part, la sonde va « peser » le carbone, s'il en trouve, et mesurer la proportion de Carbone-12 et de Carbone-13. Dans ses réactions chimiques, la vie préfère le Carbone-12, plus léger. Ce ne sera pas une preuve, mais un taux élevé de Carbone-12 dans le sol serait un indice d'activité biologique.

    Mise à jour d'octobre 2012 : Beagle 2 n'aura pas pu rechercher ces fameuses briques de la vie, puisque l'atterrisseur n'a plus donné aucun contact après s'être détaché de Mars Express... On ne sait pas même s'il a pu atterrir sur Mars.