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    Une autre voie d'approche est de supposer que l'Univers est effectivement rempli de matière noirematière noire, et d'essayer de la détecter. Ceci constitue une activité de recherche intense.

    On peut distinguer deux approches :

    • détection directe : on instrumente un bloc de matière et on attend qu'une particule vienne interagir...
    • détection indirecte : on cherche dans le ciel des signaux anormaux, qui pourraient venir de la désintégration ou l'annihilation de particules de matière noire.
    Observer le ciel à la recherche de la matière noire. © Robert, Fotolia
    Observer le ciel à la recherche de la matière noire. © Robert, Fotolia

      La recherche d'objets compacts : les microlentilles gravitationnelles

      Dans un sens, beaucoup d'observations du ciel peuvent être considérées comme des recherches de matière noire, on essaie de détecter des choses que l'on n'avait pas encore vues... Inversement, une expérience dont le but avoué est de détecter de la matière noire peut permettre de mieux connaître certaines caractéristiques d'objets astrophysiques connus mais dont certains avaient échappé à l'observation. Un exemple frappant est fourni par l'utilisation de micro-lentilles gravitationnelles. Nous avons vu plus haut que le champ gravitationnel d'un objet (la lentille) peut courber la trajectoire des rayons lumineux et changer l'apparence de l'image d'un autre objet situé derrière. Quand l'objet-lentille a une masse de l'ordre d'une fraction de masse solaire, l'effet peut être assez spectaculaire : le flux lumineux de l'image peut être amplifié par le passage de la lentille, et ce d'un facteur qui peut atteindre plusieurs dizaines.

      Il a alors été imaginé par plusieurs équipes de rechercher la matière noire sous forme de telles lentilles ayant des masses sub-solaires, de la façon suivante : on surveille un certain nombre d'étoiles, et quand une d'entre elles devient soudainement plus brillante, on se penche sur son cas... Plusieurs phénomènes, autres que celui de lentille gravitationnelle, peuvent causer cet éclat soudain : une variation de luminositéluminosité de l'étoile-cible elle-même par exemple. Différents tests permettent de trier les candidats et d'isoler les microlentilles gravitationnelles. Par exemple, la variation de luminosité devrait être indépendante de la couleurcouleur pour les microlentilles, ce qui n'est pas le cas des autres phénomènes, souvent associés à un changement de température de l'étoile.

      Ce phénomène est rare, et il faut observer des millions d'étoiles si on veut détecter quelques événements de microlentille. Ceci n'a pour le moment pu être fait que dans des régions très denses en étoiles : le centre galactiquecentre galactique et les nuagesnuages de Magellan (l'expérience Agape étend cette méthode pour l'appliquer à la galaxie d'Andromèdegalaxie d'Andromède M31). Si la matière noire est faite d'objets compacts susceptibles de donner lieu à ces événements de microlentille gravitationnelle, alors on peut calculer le nombre de ces événements que devrait induire la matière noire contenue dans le halo de notre Galaxie.

      Ces événements ont effectivement été observés, mais en quantité plus faible que ce qui était prédit par les modèles. L'analyse précise des résultats indique que le halo de la Galaxie ne peut pas être constitué de plus de 20 % d'objets ayant des masses comprises en 10-6 et 1 masse solaire. Cette gamme de masse recouvre tous les objets de type naines brunesnaines brunes, étoiles de faible masse.

      La détection directe

      Si notre Galaxie est entourée d'un halo de matière noire sous forme de particules, la Terre devrait être traversée en permanence par un flot de ces particules. On devrait alors être capable de les détecter directement, c'est-à-dire de mettre en évidence leur interaction avec de la matière dans un détecteur.

      Plusieurs expériences sont dédiées à ce type de recherches. Une des difficultés principales consiste à reconnaître les éventuelles particules de matière noire parmi les autres processus qui peuvent conduire à un événement dans le détecteur : un rayon cosmiquerayon cosmique, une particule issue de la radioactivitéradioactivité naturelle, etc. La première précaution est de blinder l'expérience et de l'enfouir sous Terre (pour se protéger des rayons cosmiques). Ensuite, les événements provenant de la matière noire n'ont pas la même probabilité selon la saisonsaison dans l'année : la Terre tourne autour du soleilsoleil qui lui-même tourne autour du centre galactique. La vitessevitesse de la Terre par rapport au halo de la Galaxie diffère d'une saison à l'autre, et on devrait ainsi observer une variation annuelleannuelle du signal de détection directe.

      Une telle variation annuelle a été annoncée dès 1998, et régulièrement confirmée depuis, par la collaboration DAMA située au grand Sasso (Italie). Toutefois cette annonce rencontre encore un certain scepticisme au sein de la communauté scientifique, car d'autres expériences au moins aussi sensibles (Edelweiss, par exemple) trouvent que le résultat annoncé par DAMA est exclu.

          Vues des expériences CMS, Edelweiss, ZEPLIN, DAMA, HDMS, CRESST.
          Vues des expériences CMS, Edelweiss, ZEPLIN, DAMA, HDMS, CRESST.

      La détection indirecte

      Si l'Univers est rempli de particules d'un type nouveau, des collisions ont lieu de temps en temps, et celles-ci peuvent conduire à des réactions qui les détruisent, des annihilations. Elles peuvent produire des particules dont on connaît les propriétés, et qu'on sait détecter : des photonsphotons, des neutrinosneutrinos, des électronsélectrons, des positronspositrons, des protonsprotons et même des antiprotonsantiprotons ou des antinoyaux. Notons tout de suite que ces annihilations sont rares, si bien que la production de particules que nous évoquons ici est un phénomène marginal.

      Il devrait tout de même exister, et on devrait voir apparaître de telles particules dans les régions de l'Univers où la matière noire est abondante. Plus précisément, ces endroits sont les centres de galaxies et les centres d'amas de galaxiesamas de galaxies, qui contiennent beaucoup de matière noire simplement parce que les galaxies se sont formées là où la matière noire était abondante ! Il devrait aussi y avoir une concentration de matière noire assez importante dans le Soleil et au cœur de la Terre, pour une raison différente : ces objets célestes peuvent capturer la matière noire ambiante dans leur champ de gravitégravité. Enfin, si la matière noire se présente sous la forme de grumeaux, comme nous l'avons suggéré plus haut, ces grumeaux sont aussi des endroits où la concentration est particulièrement élevée.

      La stratégie de détection indirecte consiste à observer ces endroits pour essayer de mettre en évidence un excès de particules... On se rend assez vite compte de la difficulté d'appliquer cette remarque pour mettre en évidence la matière noire : mettre en évidence la présence d'électrons dans le Soleil ou dans les galaxies n'a rien d'extraordinaire, c'est même très banal, et il faudra beaucoup de persuasion pour convaincre quiconque qu'ils proviennent d'annihilation de matière noire !

      L'idée n'est pas si stupide cependant, car on peut s'intéresser à des particules qui sont a priori plus rares dans l'endroit qu'on observe. Considérons plusieurs cas spécifiques :

      • Neutrinos

      On peut observer le Soleil ou les galaxies en essayant d'en capter des neutrinos de haute énergieénergie. Les neutrinos émis par le Soleil, et les étoiles en général, lors des réactions thermonucléaires, ont une énergie relativement faible, et on ne connaît pas d'autre processus que l'annihilation de matière noire pour créer des neutrinos de haute énergie. C'est un des buts des expériences Amanda et Antares, qui constituent des télescopestélescopes à neutrinos.

      Amanda au pôle Sud, Antares en Méditerranée. Des lignes de détecteurs sont placées dans un milieu transparent, la glace dans le premier cas, l'eau dans le second.
      Amanda au pôle Sud, Antares en Méditerranée. Des lignes de détecteurs sont placées dans un milieu transparent, la glace dans le premier cas, l'eau dans le second.
      • Photons gamma

      Les annihilations de matière noire pourraient aussi donner des photons gamma de haute énergie. Les observations des grands télescopes dédiés à l'observation dans le domaine gamma pourraient apporter des éléments de réponse importants...

        Les quatre télescopes de Hess en Namibie et celui de 17 mètres de Magic.
        Les quatre télescopes de Hess en Namibie et celui de 17 mètres de Magic.
      • Les positrons

      Les annihilations de particules de matière noire pourraient aussi produire des positrons, les antiparticulesantiparticules des électrons. Ces positrons sont assez facilement visibles dans la galaxie, car ils s'annihilent à leur tour lorsqu'ils rencontrent des électrons, en produisant des photons d'énergie caractéristique (une raie d'annihilation à 511 keV). Cette raie d'annihilation est bien observée, et est même utilisée pour produire des cartes de positrons dans la galaxie (cf image). Ceux qui ne s'annihilent pas peuvent aussi être détectés directement dans des instruments en orbiteorbite (Egret). Le but premier de ces instruments n'est pas de détecter la matière noire, mais (entre autres) de mesurer la quantité de positrons qu'on sait être présents, étant produits par les nombreux phénomènes très énergétiques dans la Galaxie. Il se trouve que ces deux instruments ont détecté des flux anormalement élevés de positrons. L'origine de cet excès de positrons n'est pas encore comprise, et l'hypothèse qu'ils sont dus à des annihilations de matière noire reste débattue dans la communauté scientifique.

      Instrument Egret à bord du satellite CGRO.
      Instrument Egret à bord du satellite CGRO.
      La carte des annihilations de positrons obtenue par analyse des données prises par le satellite Integral.
      La carte des annihilations de positrons obtenue par analyse des données prises par le satellite Integral.
      • Les antiprotons et les antinoyaux

      Comme pour les positrons, plusieurs expériences sont dédiées à l'étude des antiprotons cosmiques. Des mesures très précises de la quantité d'antiprotons au-dessus de l'atmosphèreatmosphère terrestre ont été effectuées par l'expérience Bess, ainsi que lors du vol-test de l'expérience AMSAMS à bord de la navette spatiale en 2002. Les mesures actuelles sont tout à fait en accord avec les quantités prédites par les modèles décrivant la production de ces antiprotons. Ceci signifie que s'il existe une contribution venant de la matière noire, elle doit être suffisamment faible pour ne pas entrer en compétition avec la contribution « standard ». Cette non-observation, si l'on peut dire, permet de mettre des contraintes sur les propriétés de la matière noire, en excluant les modèles qui conduiraient à une production trop importante d'antiprotons. Des études similaires sont faites pour des antinoyaux plus lourds, principalement l'antideuterium, qui a aussi été bien observé par AMS.

      Dessin de l'expérience AMS-01 à bord de la navette spatiale pour le vol-test en 1998.
      Dessin de l'expérience AMS-01 à bord de la navette spatiale pour le vol-test en 1998.
      • Les rayons cosmiques de haute énergie

      On observe un excès de particules chargées de haute énergie par rapport aux attentes théoriques. La nature de ces particules chargées n'est pas connue, il pourrait s'agir de protons, mais aussi d'autres choses. Plusieurs expériences sont dédiées à l'observation à grande échelle de ces rayons cosmiques, dans le but de comprendre leur composition, leur origine, et peut-être leur relation avec la matière noire.

      Vue d'une cuve de l'expérience Auger dans la Pampa argentine.
      Vue d'une cuve de l'expérience Auger dans la Pampa argentine.