Une équipe internationale, rassemblant des représentants de plusieurs entités du secteur spatial, a rendu publique une étude inédite qui fera date. Elle classe les débris les plus menaçants et montre l'ampleur de la menace qui plane sur la sécurité des activités spatiales, surtout en orbite basse. Les explications de Christophe Bonnal, spécialiste français des débris spatiaux au Cnes.


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    Une équipe internationale a recensé 5.000 très gros débris, dont 3.000 satellites en fin de vie et 2.000 étages de lanceurs laissés à l'abandon dont elle a extrait une liste des 50 objets spatiaux les plus dangereux, c'est-à-dire ceux qui présentent le plus grand risque potentiel de générer de nouveaux débris. À contrario, s'ils étaient désorbités ou empêchés d'entrer en collision, ils réduiraient le risque de générer de nouveaux débris dans des proportions très significatives.

    Cette étude inédite a été rendue publique lors du dernier Congrès international d’Astronautique (IAC-20.A6.2.1) qui s'est tenu en ligne en octobre 2020. C'est la première fois que 13 entités distinctes du secteur spatial, dont des Chinois, des Japonais, des Russes, des Américains et des Français notamment, se sont associées pour travailler ensemble sur ce sujet. Pour comprendre sa portée et son impact, il faut savoir que des auteurs russes ont publié que l'essentiel des problèmes liés aux débris spatiaux est d'origine russe. Impensable, il y a encore quelques mois !

    Cette étude classe ces objets par ordre de dangerosité et donc par ordre de priorité, pour lesquels il est nécessaire de trouver une solution. Pour chaque objet, le nom, le pays d'origine, la masse, les caractéristiques de l'orbite (apogée, périgée et inclinaison) ainsi que la date de lancement sont renseignés. Tous ces débris sont essentiellement concentrés dans une bande étroite en 600 et 1.350 km d'altitude, là où sont installés les satellites d'observation de la Terreobservation de la Terre et la Station spatiale internationaleStation spatiale internationale qui évolue légèrement plus bas, à 400 kilomètres.

    Le top 50 des débris spatiaux recensé par une équipe internationale. © 2020 <em>by the International Astronautical Federation. All rights reserved</em>
    Le top 50 des débris spatiaux recensé par une équipe internationale. © 2020 by the International Astronautical Federation. All rights reserved

    Pourcentage de débris spatiaux par pays

    La majorité des objets de ce top 50 sont d'origine russe (à partir de 1992) ou soviétique (jusqu'en 1991) et 16 % de ces objets proviennent de la Chine, du Japon et de l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne. Dans les faits, si on ne se limite pas à ce seul top 50, la Chine est un des trois pays qui compte le plus de débris. Au total, sur les 15.751 débris en orbite basse (LEOLEO) recensés, 92 % appartiennent à la Chine, les États-Unis et la Russie ! Dans le détail, 24 % sont d'origine chinoise, 32% russe et 35% américaine. En des termes plus clairs, ces trois pays sont majoritairement responsables de la situation actuelle. Quant à l'Agence spatiale européenne, elle est à l'origine de seulement 0,3 % des débris, le Japon 0,1 % et la France 0,7 %.

    Le saviez-vous ?

    Depuis 1957,  la carte de la masse et du nombre d’objets catalogués augmente très vite. On compte aujourd’hui 34.000 objets de plus 10 cm, dont 22.000 catalogués, et statistiquement 900.000 de plus de 1 cm et 130 millions de plus 1 millimètre.

    Dans ce top 50, on recense 39 sont étages de lanceurs et seulement 11 sont des charges utiles, dont les satellites Envisat (ESA), Adeos (Japon) et Meteor 3M (Russe). On notera que 40 de ces 50 objets ont été placés en orbite avant l'an 2000 et seuls, 10 à partir de 2001 ; ce qui signifie que 80 % de tous les objets de ce top 50 ont été lancés avant 2001 ! Évidemment, cela ne signifie pas que les États et les agences spatiales sont devenues plus précautionneux et « propres » depuis 2001 mais simplement, il faut tenir compte de la duréedurée de vie des satellites avant de les recenser comme débris.

    L’exhaustivité de ce top 50 limitée par la base de données fournie par Space-track

    À ceux qui s'étonnent que cette liste ne contienne aucun débris ni objets « américains », il faut savoir que le seul catalogue public disponible qui les recense est le catalogue Space-Track du Commandement stratégique américain (USSTRAT-COM). Ce catalogue contient les paramètres orbitaux de plus de 22.000 objets de diamètre supérieur à 10 cm en orbite autour de la Terre. Parmi eux, plus de 15.751 sont sur des orbites basses (altitude inférieure à 2.000 Km). Mais, statistiquement, on pense qu'il y a 34.000 objets de plus de 10 cm. Quelque 12.000 débris de plus donc, parmi lesquels des satellites militaires américains ou français dont les paramètres ne sont pas rendus publics, tout comme les étages de lanceurs utilisés, également classifiés.

    Avec une masse de 9 tonnes, le débris le plus menaçant de ce top 50 est le deuxième étage d'un lanceur Zenith lancé en mars 1993 (SL-16 R/B). Cela dit, cette liste compte 20 autres étages identiques qui peuvent tous prétendre à cette première place guère enviée ! Une collision avec cet étage serait dramatique et générerait un nombre considérable de nouveaux débris ! À titre d'exemple, la collision entre deux étages de 9 tonnes doublerait la population des débris, s'il s'agit d'une collision de face ! Un scénario qui pourrait bien se réaliser : deux étages Zenith passent à moins de cent mètres l'un de l'autre chaque mois ! Notez que l'on compte 288 étages supérieurs du lanceur cosmoscosmos 3M.

    Envisat et un étage d’Ariane 5 dans le top 50

    Sans surprise, avec une masse de 8 tonnes, et des dimensions hors-tout de 26 × 10 × 5 m, le satellite Envisat de l'Agence spatiale européenne figure dans ce top 50 (21e). Lancé en mars 2002, son contrôle a été perdu en 2012. En positon 39, se trouve un débris français : il s'agit d'un étage supérieur EPS d'une Ariane 5Ariane 5 lancée en 2002. Notez que l'étage supérieur d'Ariane 6Ariane 6, dont le vol inaugural a été repoussé au cours du deuxième trimestre 2022, sera doté du moteur réallumable Vinci et, lorsqu'il aura effectué sa mission, il pourra effectuer un « demi-tour » pour être précipité dans l'atmosphèreatmosphère et n'encombrera pas l'orbite. Cela se fait au prix d'une perte de performance mais il s'agit d'un choix assumé par l'Europe concernant la réduction des débris spatiaux.

    Accumulation des débris au fil des années et selon le type, en nombre (à gauche) et en masse (à droite). © 2020 <em>by the International Astronautical Federation. All rights reserved</em>
    Accumulation des débris au fil des années et selon le type, en nombre (à gauche) et en masse (à droite). © 2020 by the International Astronautical Federation. All rights reserved

    Pour les auteurs de cette étude, cette liste doit servir d'électrochocélectrochoc et rappeler aux agences spatiales et gouvernements que la lutte contre la prolifération des débris est une nécessité sous peine de transformer l'espace en le rendant difficilement utilisable, notamment en orbite basse. Cette accumulation croissante de débris constitue une menace pour les activités spatiales et compromet la sécurité dans l'espace. À plus long terme, l'encombrement des débris peut aboutir à gêner la mise en orbite de futurs objets spatiaux. Certains estiment que la pacification de l'espace pourrait être menacée par ces débris qui peuvent compromettre la sécurité dans l'espace en faisant obstacle à la bonne conduite des activités spatiales.

    Pour Christophe Bonnal, spécialiste français des débris spatiaux au Cnes, « la situation est critique » et force est de constater que le syndrome de Kesslersyndrome de Kessler est « installé et chaque nouveau satellite a de 5 à 8 % de chances d'être détruit par l'impact d'un débris, suivant deux études financées par la Commission européenne ». À certaines orbites, la densité des débris en orbite terrestre basse est « suffisamment forte pour que les collisions entre les objets et les débris créent une réaction en chaîneréaction en chaîne », chaque collision générant des débris qui augmentent à leur tour la probabilité de collisions supplémentaires. Chaque année, on estime qu'« une dizaine de satellites sont mis hors service, victimes d'un débris » !

    Le syndrome de Kessler est installé et chaque nouveau satellite a de 5 à 8 % de chances d’être détruit par l’impact d’un débris

    La gestion des débris constitue un enjeu majeur dans la mesure où les satellites sont aujourd'hui indispensables pour notre vie quotidienne, l'activité économique et la sécurité. Il est donc capital de surveiller ces débris et prévenir les risques de collision. Une prise en charge efficace de ce problème est aujourd'hui nécessaire afin d'assurer une utilisation pacifique de l'espace. Comme le rappelle Christophe Bonnal, il y a bien du nettoyage en cours mais il n'est pas suffisant car on « désorbite de façon contrôlée des satellites en fin de vie ou des étages de lanceurs et du nettoyage naturel dû à l'atmosphère ».

    Plusieurs options techniques pour retirer ces 50 débris

    Cette liste documentée des 50 débris les plus menaçants peut inciter certaines initiatives privées, voire motiver des start-upstart-up à investir dans le développement de nouveaux services commerciaux en orbite dans le service d'assainissementassainissement, dont la désorbitation active de débris en fin de vie et le retrait de débris actifs. Pour désorbiter ces 50 débris, « plusieurs solutions sont à l’étude », précise Christophe Bonnal.

    Il faut savoir que si l'enlèvement actif des débris (ADR) est l'option la plus couramment évoquée à l'avenir, « d'autres options pourraient être mises en œuvre ». Aussi prometteur soit-il, l'ADR coûte très cher. « Lcoût d'une mission [est] estimé par les industriels, de 10 à 30 millions d'euros, selon le scénario retenu et les techniques de désorbitaiton mises en œuvre ». Le rapport coût d'utilisation/intérêt opérationnel n'est pas à son avantage.

    Clear-Space 1 en train de saisir avec sa pince géante un débris spatial. Cette mission s'inscrit dans le cadre du projet Adrios (<em>Active Debris Removal/In-Orbit Servicing</em>) du programme de Sécurité spatiale de l'ESA. © ESA
    Clear-Space 1 en train de saisir avec sa pince géante un débris spatial. Cette mission s'inscrit dans le cadre du projet Adrios (Active Debris Removal/In-Orbit Servicing) du programme de Sécurité spatiale de l'ESA. © ESA

    D'autres techniques moins coûteuses permettent d'éviter des collisions comme des « manœuvres de dernière minute (JCA) qui consistent à donner une pichenette à un objet pour éviter une collision ». Typiquement, une variation de vitessevitesse de 3 mm/s (sur 8 km/s !) 24 h avant la collision permet d'avoir 1 km de marge. Pour réaliser cette « pichenette », plusieurs techniques sont à l'étude. On citera en exemple la libération d'un « petit nuagenuage de gazgaz et de particules devant un des débris pour le ralentir, donc modifier sa trajectoire » ou l'utilisation d'une « cohortecohorte de cubesatscubesats qui s'accrochent au débris pour le dévier (nano-tugs) ». Cela dit, les manœuvres JCA ne font que déplacer le problème. Certes, le débris gênant est « déplacé pour éviter une collision à l'instant T, mais il reste toujours en orbite et continuera d'être une menace dans le futur ».

    Dans le cadre du Large Debris Traffic Management (LDTM), l'idée de l'utilisation d'un « laserlaser situé à 800 kilomètres d'altitude, au milieu où se trouvent les débris les plus massifs et volumineux » séduit. Ce laser sera utilisé pour contrôler en permanence la position orbitaleorbitale de chaque débris dans son champ de vision et couplé à un laser plus puissant qui « focaliserait un faisceau lumineux de façon à chauffer suffisamment les débris pour qu'une petite partie se vaporise ». L'éjection du gaz ainsi produit, « provoque un mouvementmouvement par réaction, lequel modifie la trajectoire, avant qu'ils ne deviennent potentiellement dangereux ». À suivre donc.

    Voir aussi

    Astéroïdes, débris spatiaux, éruptions solaires : les projets de l’ESA pour protéger la Terre

    En conclusion, on ne peut qu'applaudir l'initiative de l'Agence spatiale européenne qui vient d'ouvrir la voie à une première mission de désorbitation d'un gros débris. Début décembre, l'ESA a signé un contrat de 86 millions d'euros avec la start-up suisse ClearSpace SA pour l'achat d'un service unique : le premier enlèvement d'un débris spatial en orbite lors de la mission ClearSpace-1, prévu en 2025. Cette mission s'inscrit dans le cadre du projet Adrios (Active Debris Removal/ In-Orbit Servicing) du programme de Sécurité Spatiale de l'ESA.