Quand on recherche une preuve définitive de la théorie de l'inflation cosmique, on mentionne souvent la découverte des fameux modes B liés à la polarisation du rayonnement fossile. Il s'agit de traces laissées par des fluctuations quantiques du champ de gravitation dans l'univers primordial. On vient d'annoncer la détection de modes B dans les observations du South Pole Telescope, un radiotélescope en Antarctique. Mais il est bien trop tôt pour y voir une preuve de la théorie de l'inflation.

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    Lorsque l'on pense aux tentatives pour percer les mystères du rayonnement fossile, la plus vieille lumière de l'univers qui a commencé à se propager dans le cosmoscosmos environ 380.000 ans après le Big Bang, ce sont les satellites Cobe, WMap et Planck qui viennent à l'esprit. Mais avant ces trois célèbres sondes, qui avaient pour mission de cartographier toute la sphère céleste, des résultats partiels avaient déjà été obtenus en utilisant des instruments au sol et même des ballons. Il existe encore des programmes similaire de nos jours.

    Justement, les membres du South Pole Telescope (SPT) viennent de mettre en ligne sur arxiv un article dans lequel ils annoncent avoir enfin détecté ce qu'on appelle les modes B dans le rayonnement fossile. Les membres de la collaboration PlanckPlanck sont en train de chercher ces modes dans les observations du satellite. Comme l'avait expliqué le cosmologiste Aurélien BarrauAurélien Barrau à Futura-Sciences, ces modes B liés à la polarisation de lumière du rayonnement fossile pourraient être riches d'informations sur l'ère de la gravitation quantique.

    Les modes B et la polarisation du rayonnement fossile

    L'existence des modes B de polarisation du rayonnement fossile peut constituer une preuve solidesolide de l'existence d'une phase d'inflation dans l'histoire très primitive du cosmos observable. Mais il ne faudrait pas croire pour autant que l'annonce de la découverte de ces modes par les chercheurs soit automatiquement une preuve de l'inflation. Pour le comprendre, commençons par rappeler quelques faits concernant la polarisation de la lumière et la théorie de l'inflation.

    Le cosmologiste Andrei Linde a proposé une des premières théories de l'inflation au début des années 1980. Il figure, avec Alan Guth et Alexei Starobinsky (potentiels prix Nobel de physique) parmi les pionniers de la théorie de l'inflation. © <em>Stanford University</em>

    Le cosmologiste Andrei Linde a proposé une des premières théories de l'inflation au début des années 1980. Il figure, avec Alan Guth et Alexei Starobinsky (potentiels prix Nobel de physique) parmi les pionniers de la théorie de l'inflation. © Stanford University

    Les équations de Maxwell gouvernant le champ électromagnétiquechamp électromagnétique amènent à considérer la propagation d'une onde lumineuse, le long d'un rayon de lumière par exemple, comme un vecteur champ électriquechamp électrique oscillant perpendiculairement à la direction de propagation de l'onde. Lorsque ce champ vibre selon une même direction perpendiculaire fixe, on parle de lumière polarisée linéairement. Le vecteur pourrait aussi bouger dans l'espace en décrivant un cercle, on parle alors de polarisation circulaire. La lumière émise par les objets naturels chauds n'est pas polarisée. Mais en entrant en interaction avec d'autres objets, par exemple en traversant un cristal ou l'atmosphèreatmosphère, elle peut devenir polarisée, totalement ou partiellement.

    Ainsi, on s'attend à ce que la lumière du rayonnement fossile soit partiellement polarisée sur la voûte céleste mais dans un état différent d'une région à une autre. La façon dont cette polarisation change dans l'espace peut se comparer à certaines caractéristiques d'un champ électrique, on parle de modes E, mais aussi à celles d'un champ magnétiquechamp magnétique, on parle alors de modes B.

    L'inflation cosmique et les modes B

    La théorie de l'inflation prédit qu'en raison de l'existence de champs scalaires analogues à celui du boson de Higgs, l'univers aurait subi pendant une infime fraction de son histoire une expansion accélérée très importante, peu de temps après le fameux temps de Planck qui est de 10-43 seconde après une problématique temps zéro de l'histoire de l'univers. On pense que cette phase d'inflation s'est produite environ 10-35 seconde après ce temps zéro. Si elle avait été assez intense, elle aurait dilaté des fluctuations quantiques du champ de gravitationgravitation, plus précisément sous forme d'ondes gravitationnellesondes gravitationnelles, de sorte que des traces de ces fluctuations seraient détectables sous forme de modes B dans le rayonnement fossile.

    La découverte des modes B du rayonnement fossile par les chercheurs du SPT pourrait signifier que nous sommes sur le point de démontrer qu'il y a bien eu une période d'inflation dans l'univers primordial. Une fenêtre sur une nouvelle physique, par exemple sur la théorie de Grande unification des forces de la physique (dite Gut), est peut-être sur le point de s'ouvrir. © Cern

    La découverte des modes B du rayonnement fossile par les chercheurs du SPT pourrait signifier que nous sommes sur le point de démontrer qu'il y a bien eu une période d'inflation dans l'univers primordial. Une fenêtre sur une nouvelle physique, par exemple sur la théorie de Grande unification des forces de la physique (dite Gut), est peut-être sur le point de s'ouvrir. © Cern

    Ces modes B liés aux ondes gravitationnelles, s'ils sont produits par une phase d'inflation, ont une forme caractéristique unique. Les détecter serait une preuve probablement définitive de l'inflation et aussi une porteporte ouverte sur une nouvelle physiquephysique. Les membres du South Pole Telescope viennent donc d'observer des modes B dans le rayonnement fossile pour la première fois avec un radiotélescope de 10 m de diamètre situé au pôle Sud, dans la station Amundsen-Scott.

    L'effet de lentille gravitationnelle faible polarise le rayonnement fossile

    Toutefois, il faut savoir que les galaxiesgalaxies, par effet de lentille gravitationnelle faible, polarisent le rayonnement fossile au cours de son périple dans l'univers observable, de sorte qu'il acquiert naturellement une polarisation sous forme de modes B. Avant de pouvoir affirmer avoir démontrer la théorie de l'inflation, les scientifiques devront soustraire du signal observé la composante due aux galaxies.

    S'ils savent opérer cette soustraction, ils évaluent avec difficulté l'importance de la partie des modes B qui pourrait être liée à une phase d'inflation. Il n'est pas certain qu'un signal assez fort, compte tenu de la précision des mesures, reste finalement dans les données après l'élimination des effets de lentille gravitationnellelentille gravitationnelle faible des galaxies. Alan Guth et Andrei Linde, les principaux découvreurs de la théorie de l'inflation - il y a pléthore de modèles théoriques possibles générant en cosmologiecosmologie une phase d'inflation -, ne sont donc pas forcément assurés de décrocher le prix Nobel de physique cette année.

    La découverte des modes B est essentielle, même s'il l'on ne sait pas encore à quels niveaux. On en saura probablement plus en 2014 grâce aux résultats de Planck. Il ne faudrait pas non plus oublier que les modes B liés aux effets de lentille gravitationnelle peuvent faire avancer les connaissances sur les masses des neutrinos.