On pensait que dans certains matériaux magnétiques considérés comme 2D, le comportement des électrons pouvait parfois devenir tellement étrange qu’on pourrait croire que ces particules, pourtant élémentaires, se scindaient en deux particules dont l’une porte la charge de l’électron alors que l’autre, son spin. Tel est bien le cas comme vient de le prouver une équipe internationale de physiciens. La découverte pourrait éclairer la physique mal comprise des supraconducteurs exotiques que sont les cuprates.

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    Les lois de la mécanique quantique impliquent que l'énergie doit se retrouver sous forme de paquetspaquets discrets dans certains systèmes physiques. Ainsi, les ondes sonores dans un solide, alors qu'elles voient leurs énergies varier continûment en physique classique, sont en fait constituées de l'analogue des paquets d'énergies quantiques du champ électromagnétique. Mais au lieu de s'appeler des photonsphotons, ils portent le nom de phonons. Toujours dans un solide, on peut considérer que certains des atomesatomes qui les constituent sont des sortes de petites toupies aimantées que l'on peut représenter par des flèches, car elles portent un moment cinétiquemoment cinétique, le spinspin. Sur une surface formée de ces toupies, on peut envisager la formation d'ondes, des excitations collectives qui vont se propager en faisant basculer temporairement les axes des toupies. À nouveau, si l'on utilise une description quantique, il va apparaître des quanta d'énergie, mais cette fois-ci, associés à l'aimantationaimantation globale résultante de ces aimantsaimants et que l'on appelle des magnons.

    Il existe en fait un zoo de particules quantiques nouvelles dans les solides, plus généralement dans de la matièrematière condensée, qui correspond à des quanta d'énergie d'excitations collectives et que l'on appelle des quasi-particules pour les distinguer des électronsélectrons et des noyaux qui sont considérés comme de vraies particules fondamentales et élémentaires en physique atomique. Ces quasi-particules permettent de comprendre bien des propriétés des solides comme la conduction thermique, l'aimantation des matériaux ferromagnétiquesferromagnétiques ou encore la supraconductivité.

    Des quasi-particules dans des structures 1D

    Elles peuvent donner lieu à l'existence d'effets surprenants. Ainsi dans les années 1950, l'un des découvreurs de la formulation relativiste de la théorie quantique des champs, le prix Nobel de physique japonais Sin-Itiro Tomonaga, avait jeté les bases de la théorie de la conduction des électrons dans des solides que l'on pouvait considérer comme des objets en 1D (en tout état de cause, résoudre des problèmes en 1D est parfois un bon moyen de comprendre plus facilement des phénomènes en 2D ou 3D). Un exemple moderne d'un tel objet serait par exemple un des nanofilaments ou des nanotubesnanotubes dont on parle beaucoup actuellement avec l'essor des nanotechnologies.

    Le prix Nobel de physique Philip Warren Anderson avait déjà découvert l’essentiel du mécanisme de Brout-Englert-Higgs avant ces trois physiciens, mais dans le cadre de la théorie de la supraconductivité. Plus tard, il fut à l’origine d’une théorie tentant d’expliquer la supraconductivité exotique de certains matériaux comme les cuprates. © <em>Texas A&amp;M University-Commerce</em>

    Le prix Nobel de physique Philip Warren Anderson avait déjà découvert l’essentiel du mécanisme de Brout-Englert-Higgs avant ces trois physiciens, mais dans le cadre de la théorie de la supraconductivité. Plus tard, il fut à l’origine d’une théorie tentant d’expliquer la supraconductivité exotique de certains matériaux comme les cuprates. © Texas A&M University-Commerce

    Comme Tomonaga l'avait compris, le comportement collectif des électrons dans ces structures pouvait se décrire comme s'ils formaient un liquideliquide, mais quantique. De plus, tout se passait comme si ce liquide d'électrons était composé de particules différentes portant seulement l'une des caractéristiques de l'électron chacune. Il se produisait donc un curieux phénomène, celui de séparation spin-charge. On obtenait donc des spinonsspinons (des quasi-particules possédant le spin ½ d'un électron, mais aucune charge) et des chargeonschargeons (chargons en anglais, d'autres quasi-particules, cette fois-ci dépourvues de spin, mais possédant la charge d'un électron). On dit parfois, mais c'est une expression qui est quelque peu abusive et même trompeuse, que l'électron a été scindé en ces particules. C'est en tout cas, un nouvel exemple de ce qu'on appelle des « particules fractionnaires ».

    Des liquides de spin dans les cuprates ?

    Réfléchissant sur les milieux matériels magnétiques formés des sortes de toupies aimantées dont on a parlé plus haut, le prix Nobel de physique Philip Anderson est arrivé à la conclusion en 1973 qu'à côté des matériaux cristallins aimantés où l'on peut trouver un ordre magnétique, il devait exister des états désordonnés dans la matière permettant de parler d'eux en terme de liquide de spin quantique. En 1987, Anderson a poussé sa théorie un cran plus loin en proposant que de tels liquides de spin, dans lesquels peuvent apparaître des spinons et des chargeons, étaient peut-être la clé de la compréhension des supraconducteurssupraconducteurs exotiquesexotiques à hautes températures critiquestempératures critiques que l'on venait de découvrir : les cuprates.

    Un groupe international de chercheurs dont certains sont issus du Laboratoire de magnétismemagnétisme quantique de l'EPFL, de l'Institut Laue-Langevin, et de l'ETH Zurich vient de publier dans Nature Physics un article dans lequel ils annoncent qu'ils ont effectivement mis en évidence le phénomène de séparationséparation spin-charge, mais dans des matériaux magnétiques en 2D. C'est une première.

    « Cette étude marque un nouveau niveau de compréhension d'un des modèles physiquesmodèles physiques les plus fondamentaux » explique à ce sujet Henrik M. Rønnow, l'un des principaux physiciensphysiciens à l'origine de cette découverte. « Il corrobore en outre la théorie d'Anderson sur la supraconductivitésupraconductivité haute température, qui reste l'un des plus grands mystères dans la découverte de matériaux modernes, et ce en dépit de plus de vingt-cinq ans de recherche intensive ».