Durant des décennies, un mystère n'a cessé d'intriguer les généticiens: comment se peut-il que des jumeaux génétiquement identiques présentent néanmoins des différences génétiques? Une nouvelle étude réalisée par une équipe de chercheurs du Centre national espagnol de recherche en oncologie vient de faire la lumière sur cette énigme.

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    Le mystère des différences entre vrais jumeaux dévoilé

    Le mystère des différences entre vrais jumeaux dévoilé

    Les jumeaux sont des bébés multiples conçus ensemble, qui se développent dans un seul utérusutérus et naissent en même temps. Il existe deux types de jumeaux : les jumeaux fraternels et les jumeaux identiques. Les jumeaux fraternels, ou dizygotesdizygotes, présentent un patrimoine héréditaire différent alors que les jumeaux identiques, c'est-à-dire monozygotes, sont génétiquement identiques.

    Issu d'un seul et même ovuleovule fécondé, les jumeaux monozygotes partagent une information génétiquegénétique identique. Ils sont toujours du même sexe et présentent la même disposition de gènesgènes et de chromosomeschromosomes. Ils ont habituellement des caractéristiques physiques et mentales similaires.

    Les scientifiques se sont donc posé la question suivante : comment est-il possible que, chez des jumeaux identiques partageant un patrimoine génétique commun, l'un puisse développer un trouble bipolairetrouble bipolaire ou une schizophrénieschizophrénie, par exemple, et l'autre pas ? Ou : chez deux soeurs jumelles présentant la même altération du gène BRCA1, comment l'une peut-elle développer un cancer du seincancer du sein à l'âge de 25 et l'autre pas avant 70 ans?

    En fait, la plupart des paires de jumeaux monozygotes ne sont pas identiques - ils présentent ce que l'on appelle une discordancediscordance phénotypique, c'est-à-dire des différences au niveau de l'apparence et de la constitution physiques, ou une manifestation spécifique d'un trait. On peut citer ici comme exemples les différences en matière de prédispositionprédisposition à la maladie et un grand nombre de caractéristiques anthropomorphiques.

    Diverses explications peuvent être avancées pour ces observations, dont l'une est l'existence de différences "épigénétiques", à savoir des différences au niveau du mode d'expression du génomegénome.

    L'ADNADN n'est pas présent sous forme de molécules nues dans la cellule: il est associé à des protéinesprotéines appelées histoneshistones pour former une substance complexe, la chromatinechromatine. Toute modification chimique de l'ADN ou des histones altère la structure de la chromatine sans modifier la séquence nucléotidique de l'ADN. De telles modifications sont dites épigénétiques.

    Pour élucider cette énigme, Mario F. Fraga et ses collègues du laboratoire d'épigénétique du Centre national espagnol de recherche en oncologieoncologie (CNIO), ont étudié 160 jumeaux monozygotes âgés de trois à 74 ans. Pour mener à bien cette étude, l'équipe espagnole a coopéré avec des instituts de recherche au Danemark, en Suède, en Grande-Bretagne et aux États-Unis.

    Les recherches ont ciblé deux mécanismes biologiques qui influencent l'activité des gènes. Dans le mécanisme de méthylationméthylation de l'ADN, les enzymes présents à l'intérieur de la cellule accrochent une minuscule molécule à un gène en vue de le désactiver. Le second mécanisme, "l'acétylation d'histones", vise à réactiver un gène dormantdormant.

    Ces données génétiques modifiées peuvent être biochroniques - mais ne sont pas transmissibles à la descendance - et avoir un impact non négligeable si, par exemple, le gène désactivé est un gène ayant un effet protecteur contre le cancer. Jusqu'à présent, la part des changements épigénétiques préprogrammés de naissance ou provoqués par des facteurs extérieurs au corps reste difficile à déterminer.

    L'équipe de recherche a établi que le mode d'expression des gènes ne permettait pas de distinguer les jeunes jumeaux. Parmi les jumeaux plus âgés du groupe d'étude, cependant, des différences significatives de l'expression géniquegénique ont été relevées dans 35 pour cent des cas.

    Autre découverte qualifiée de révolutionnaire par les scientifiques : les profils épigénétiques de jumeaux élevés séparément ou ayant eu des vies très différentes - sont ici considérés les habitudes nutritionnelles, l'historique des maladies, l'activité physique, la consommation de tabac, d'alcoolalcool et de médicaments - diffèrent plus que ceux de jumeaux ayant vécu ensemble plus longtemps ou ayant partagé des environnements et des expériences similaires.

    De l'avis des chercheurs, les résultats confirment la théorie selon laquelle les facteurs environnementaux - dont le tabac, les régimes alimentaires et l'activité physique - peuvent affecter l'activité génétique d'une personne et expliquer certaines des différences en matière de risque de maladie relevées entre jumeaux identiques.

    De petits incidents épigénétiques avant la naissance expliquent probablement un grand nombre des différences mineures qui, sur les plans de l'apparence, de la personnalité et de la santé générale, distinguent les jeunes jumeaux. Par la suite, de nouveaux changements épigénétiques biochroniques augmentent progressivement l'individualité.

    Au-delà de son importance potentielle pour la compréhension des différences entre jumeaux identiques, l'épigénétique pourrait permettre d'expliquer bon nombre des incidents de parcours qui ponctuent la vie des personnes ordinaires - pourquoi une personne peut-elle être atteinte du cancer et l'autre en être épargnée, alors même que chez ni l'une ni l'autre l'ADN ne présente de mutation cancérigène.

    Ces découvertes pourraient conduire à des révélations de plus vaste portée sur la façon dont notre environnement conditionne des prédispositions pour de nombreuses maladies telles que le diabètediabète, le cancer et les maladies cardiaques. Les changements épigénétiques ne modifient pas l'écriture génétique mais peuvent, s'agissant de mutations génétiques avérées, justifier de nombreux cas de cancer et d'autres maladies.

    Les scientifiques veulent maintenant identifier les changements épigénétiques provoqués par des expositions environnementales spécifiques - qu'il s'agisse de facteurs alimentaires, de toxinestoxines environnementales ou d'influences plus nuancées telles que le stressstress persistant - et développer des médicaments pour inverser ces altérations.