Peut-on défier Einstein et sa vitesse limite imposée par la structure de l'espace-temps sans pour autant le contredire ? Théoriquement, c'est possible avec un moteur Warp Drive mais, en pratique, la question se pose toujours et des travaux théoriques sur un tel moteur sont encore poursuivis comme le prouve une récente publication.


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    Comme Futura l'avait expliqué, il y a déjà 7 ans, la fakescience dans les médias, concernant les soi-disant travaux de chercheurs de la Nasa compétents à propos d'un moteur déformant l'espace-temps au point de permettre des voyages transluminiques, est restée une fake newsfake news. Tout comme dans le cas des thèses « rassuristes » concernant l'inexistence d'une seconde vaguevague avec la Covid-19Covid-19, les travaux présentés n'avaient aucune crédibilité. Ils étaient en outre portés par des personnes qui n'en avaient pas non plus dans le domaine de la physique théorique, pas plus en théorie de la relativité générale qu'en théorie quantique des champs.

    Toutefois, l'idée d'une propulsion transluminique de type Warp Drive a bien un fondement scientifique sérieux et les recherches initiées en 1994 par le physicienphysicien mexicain Miguel Alcubierre sont toujours considérées comme sérieuses par la communauté scientifique. Malheureusement, les calculs avancés il y a plusieurs décennies indiquaient que, pour avoir l'accès aux étoiles, sans même considérer précisément comment construire un moteur War Drive comme celui présenté dans le magnifique court-métrage de SF ci-dessous, il fallait auparavant contourner ou éliminer un redoutable obstacle théorique.


    Le Warp Drive d'un futur de rêve. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Dust

    Un moteur Warp Drive avec de l'énergie ordinaire

    Pour fonctionner le moteur doit déformer l'espace-temps autour de lui afin de profiter du fait que, si la vitessevitesse des déplacements des particules ne peut dépasser la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière, il n'en est pas de même lorsque l'on dilate ou compresse le tissu élastique de l'espace-temps, ce qui permet donc aux particules qu'il porteporte de s'éloigner les unes des autres en théorie à des vitesses arbitrairement élevées. Mais un moteur Warp Drive doit pour cela utiliser une énergieénergie dite exotiqueexotique qui se comporte via des effets quantiques comme s'il s'agissait d'une énergie négative. Mais rien que créer une bulle de seulement 100 m de diamètre entourant un vaisseau nécessiterait une quantité d'énergie négative dont la massemasse serait des milliards de milliards de fois supérieure à celle de notre Voie lactée qui contient des centaines de milliards d'étoiles.

    Ceux qui espèrent que les lois de la nature ne soient pas aussi défavorables qu'elles semblent l'être pour la colonisation des exoplanètesexoplanètes, proches en quelques siècles tout au plus, se sentiront peut-être encouragés à persister dans leurs espoirs à la suite de la publication dans le journal Classical and Quantum Gravity d'un article de l'astrophysicienastrophysicien Erik Lentz de l'université de Göttingen. On peut consulter l'article en accès libre sur arXiv.

    Le chercheur pense avoir trouvé une nouvelle solution des équationséquations d'EinsteinEinstein décrivant une sorte de soliton gravitationnel, c'est-à-dire une sorte de paquetpaquet d'énergie du champ de gravitationgravitation qui ne se disperse pas comme une onde linéaire à cause précisément d'effets non-linéaires, et qui permettrait de faire du Warp Drive sans énergie négative.

    C'est déjà un progrès, d'autant plus que la quantité d'énergie nécessaire baisse là aussi prodigieusement. Mais le chercheur ne cache pas que, pour le moment au moins, elle reste formidable et totalement inatteignable en pratique. Il faudrait encore des centaines de fois l'énergie équivalente à la masse de JupiterJupiter pour propulser plus vite que la lumière un vaisseau spatial de 100 mètres de rayon.


    NGC 346 est une nébuleuse et un amas ouvert d'étoiles dans le Petit Nuage de Magellan observé ici avec Hubble. Situé à plus de 21.000 années-lumière du Soleil, cet objet astronomique ne pourrait être visité par l'humanité en un temps raisonnable que si elle découvrait le secret du voyage interstellaire à des vitesses bien supérieures à celles de la lumière. © Nasa
    NGC 346 est une nébuleuse et un amas ouvert d'étoiles dans le Petit Nuage de Magellan observé ici avec Hubble. Situé à plus de 21.000 années-lumière du Soleil, cet objet astronomique ne pourrait être visité par l'humanité en un temps raisonnable que si elle découvrait le secret du voyage interstellaire à des vitesses bien supérieures à celles de la lumière. © Nasa

     

    Buzz : non, la Nasa ne travaille pas sur la propulsion transluminique

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco, publié le 18 juin 2014

    Les images de l'IXS Enterprise, présentées comme un projet de vaisseau spatial de la Nasa équipé d'un moteur transluminique, sont devenues virales. Comme nous l'avons déjà expliqué, ce succès est très exagéré. La Nasa s'est en effet seulement contentée de fournir un petit laboratoire et quelques dizaines de milliers de dollars à l'un de ses brillants ingénieurs voulant tester ses idées sur la physique de la mythique propulsion Alcubierre. Il ne s'agit pas d'un canularcanular mais, en pratique, on n'en est pas loin...

    Dans un court article évoquant la quête entreprise pendant le XXe siècle par les physiciens pour percer les secrets de la gravité quantique, le grand théoricien Bryce DeWitt révèle un secret de polichinelle. Lui et plusieurs de ses collègues, dont le jeune Peter HiggsPeter Higgs qu'il avait invité comme postdoc, ont bénéficié de la fin des années 1950 au milieu des années 1960 de certains crédits en provenance de l'AirAir Force. Fort du succès du projet Manhattan, les militaires états-uniens voyaient alors les physiciens comme des dieux et pensaient que, grâce à eux, l'antigravité était peut-être à portée de main.

    C'est pourquoi ils ont financé pendant un temps des programmes de recherche sur la relativité générale. DeWitt ne cache pas que lui-même avait refusé un financement de la Glenn L. Martin Aircraft Company qui, elle, lui demandait ouvertement de faire des recherches sur l'antigravité. Les théoriciens de haute volée de la relativité générale, tel DeWitt, savaient déjà qu'il y avait très peu d'espoir d'aboutir à quoi que ce soit dans cette direction, même en considérant des extensions de la théorie de la gravitation d'Einstein. Les militaires US en prendront conscience en 1966 et supprimeront dès lors les crédits alloués à DeWitt.


    Les scènes de Stark Trek où les héros dépassent la vitesse de la lumière sont mythiques. Ils utilisent un moteur à distorsion (Warp Drive) que l'on a par la suite interprété comme un exemple de la propulsion Alcubierre. © Romulan64, YouTube

    De l'antigravité à la propulsion Alcubierre

    La situation n'a pas changé aujourd'hui même si l'on se prépare tout de même au CernCern à réaliser des tests expérimentaux sur l'antimatière qui pourraient apporter des surprises. Il y a bien eu cependant quelques indices théoriques laissant supposer l'existence d'effets que l'on peut interpréter comme de l'antigravité. C'est le Mozart des supercordes, le Français Joël Scherk au destin tragique et fulgurant, qui va les trouver peu de temps avant de disparaître à 34 ans en 1980.

    De 1996 à 2002, la Nasa a poursuivi une nouvelle chimèrechimère en finançant le programme de physique avancée des propulseurspropulseurs (Breakthrough Propulsion Physics, ou BPP). Son objectif était d'étudier différentes méthodes révolutionnaires de propulsion des vaisseaux spatiaux dont la réalisation aurait exigé des percées en physique, d'où le nom du programme. L'une de ces méthodes révolutionnaires concernait la propulsion Alcubierre (Alcubierre drive). Elle repose sur l'existence d'une solution des équations d'Einstein découverte par le physicien mexicain Miguel Alcubierre.

    Dans un article publié en 1994 et que l'on peut consulté sur arxiv, ce brillant théoricien de la relativité générale montrait qu'il est peut-être possible de voyager plus vite que la lumière entre les étoiles sans violer la théorie de la relativité. L'idée est simple : s'il n'est pas possible pour un objet physique ordinaire de voyager plus vite que la lumière dans l'espace, il est tout de même possible d'étirer ou de compresser le tissu de l'espace de sorte que des objets puissent s'éloigner ou se rapprocher l'un de l'autre plus vite que la lumière. Ce fait est bien connu des cosmologistes qui savent que pendant les tout premiers instants de l'universunivers observable, l'espace se dilatait plus vite que la lumière.

    Miguel Alcubierre est un authentique physicien théoricien ayant à son actif plusieurs publications dans le domaine de la relativité générale. Ses travaux portent notamment sur la relativité numérique, l'étude par ordinateur des espace-temps solutions des équations d'Einstein. On lui doit la métrique de Alcubierre, la solution analytique exacte des équations d'Einstein à la base de la propulsion Alcubierre. © C.C by 2.0, Wikipédia
    Miguel Alcubierre est un authentique physicien théoricien ayant à son actif plusieurs publications dans le domaine de la relativité générale. Ses travaux portent notamment sur la relativité numérique, l'étude par ordinateur des espace-temps solutions des équations d'Einstein. On lui doit la métrique de Alcubierre, la solution analytique exacte des équations d'Einstein à la base de la propulsion Alcubierre. © C.C by 2.0, Wikipédia

    Une énergie supérieure à celle de la masse de l'univers observable

    Surfant sur la vague des trous de ver traversables à la fin des années 1980, Alcubierre a utilisé cette propriété de l'espace permise par la relativité générale pour montrer que si l'on dispose d'une quantité d'énergie négative suffisamment importante il est possible, en quelque sorte, de contracter l'espace devant un vaisseau spatial et de le faire entrer en expansion derrière lui. De sorte qu'au final, une sorte de bulle entourant et emportant ce vaisseau pourrait se déplacer dans l'espace plus vite que la lumière sans que les voyageurs ressentent les effets des accélérations. Malheureusement, comme les physiciens Michael J. Pfenning et L.H. Ford allaient le montrer quelques années plus tard, créer une bulle de seulement 100 m de diamètre nécessiterait une quantité d'énergie négative dont la masse serait des milliards de milliards de fois supérieure à celle de notre Voie lactée.

    Le programme BPP de la Nasa a complètements pris fin en 2008 mais les financements pour des recherches ont cessé bien avant. Il reste en ligne des pages consacrées à quelques spéculations raisonnables sur divers types de méthodes de propulsions utilisables pour le voyage interstellaire mais c'est tout.

    Les annonces faites épisodiquement depuis quelques années au sujet de travaux soi-disant menés par la Nasa et portant sur la mise au point d'un moteur basé sur le principe de la propulsion Alcubierre apparaissent donc comme particulièrement douteuses. Elles concernent un physicien et ingénieur en mécanique et aérospatiale de la Nasa du nom de Harold G. White. Il est censé poursuivre des études sur la physique de la propulsion Alcubierre avec des collègues du Johnson Space Center. En ce moment, White fait à nouveau parler de lui pour son étude du Warp Drive, grâce, surtout, aux superbes illustrations de Mark Rademaker sur Flickr. Il s'agit d'un artiste numériquenumérique bien connu pour ses dessins de vaisseaux spatiaux, notamment pour la série Star Trek.

    Rademaker a donné une forme concrète aux idées de White sous la forme du IXS Enterprise. White affirme en effet depuis quelques années que, selon ses calculs, en utilisant une nouvelle forme de distribution d'énergie négative, un tore épais dont la densité oscille périodiquement, il est possible de faire chuter drastiquement la quantité d'énergie nécessaire. Il suffirait d'une masse équivalente à celle de la sonde Voyager 1. Regardée d'un peu plus près, cette histoire semble peu crédible.

    Des idées qui ne sont pas prises au sérieux par les physiciens

    Tout d'abord, White n'est pas un physicien théoricien et encore moins un spécialiste de la relativité générale. Le chercheur a effectivement écrit des articles décrivant les calculs qu'il a menés concernant la propulsion Alcubierre, mais à l'exception d'une publication dans General Relativity and Gravitation en 2003, il semble bien qu'aucun d'entre eux n'ait été accepté dans un des journaux dans lesquels publient les physiciens théoriciens chevronnés. Il n'existe pour l'essentiel que des comptes rendus de communications lors de colloques. Aucun physicien du calibre d'un Kip Thorne ou d'un Matt Visser ne parle de ses travaux, qui ne semblent donc pas pris au sérieux par la communauté des relativistes.

    Une représentation faite par Harold G. White du principe de son moteur à propulsion Alcubierre. Un anneau d'énergie négative contracte l'espace devant un vaisseau spatial et le dilate derrière lui. © Harold G White
    Une représentation faite par Harold G. White du principe de son moteur à propulsion Alcubierre. Un anneau d'énergie négative contracte l'espace devant un vaisseau spatial et le dilate derrière lui. © Harold G White

    Impossible de trouver une page Web de la Nasa prouvant que White travaille vraiment actuellement pour l'agence spatiale sur la propulsion Alcubierre. Son nom est seulement mentionné, avec ceux de quelques collègues, dans un rapport technique de la Nasa sur ce sujet datant de 2011 et dans un périodique du Johnson Space Center datant de 2012. Deux articles, l'un dans SpaceRef et l'autre dans Popular Science datant d'avril 2013, permettent d'y voir plus clair. Quelques responsables de la Nasa interviewés ainsi que quelques physiciens théoriciens, dont Alcubierre lui-même, y mettent les points sur les « i ».

    Comme on pouvait s'en douter il n'y a pas de réel programme de la Nasa pour construire un moteur digne de Star Trek. Il y a juste un brillant ingénieur en aérospatiale que l'on autorise à faire joujou avec des expériences peu coûteuses. Il poursuit ce qui n'est rien d'autre qu'une lubie dans un laboratoire du Johnson Space Center sous l'œilœil et la protection de quelques responsables locaux bienveillants. À défaut de vraiment permettre de construire un jour l'Enterprise de Star Trek, c'est sans doute une bonne opération de communication pour faire rêver le grand public. Mais on peut se demander si cela n'entame pas la crédibilité de la Nasa.

    Comme aimait à le dire le grand Richard Feynman au sujet de la physique : « The game I play is a very interesting one. It's imagination, in a tight straightjacket » (Le jeu auquel je joue est très intéressant. C'est celui d'avoir de l'imagination à l'intérieur d'une camisole de force). La rationalité et la lucidité ne devraient pas être sacrifiées à la poursuite de rêves qui nous tiennent à cœur.