Lorsque l'on empile deux couches de graphène et qu'on les décale d'un « angle magique », elles peuvent devenir supraconductrices. Si cette propriété est connue depuis des années, des chercheurs viennent de trouver une piste sérieuse pour expliquer l’origine de cette propriété étonnante.


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    En 2018, des chercheurs du Massachusetts institute of technology (MIT) découvraient des propriétés étonnantes du graphène. Lorsque l'on en empile deux couches avec un décalage entre elles de 1,08 ° et que l'on porteporte le tout à une température inférieure à 3 Kelvins (- 270 °C), elles conduisent le courant sans résistance électrique : autrement dit, elles deviennent supraconductrices ! Depuis, de nombreux essais ont été effectués, montrant notamment que ce graphènegraphène bicouche tordu pouvait résister à des champs magnétiques intenses, et que la version avec trois couches possède des propriétés encore plus surprenantes.

    Mais certaines réponses sur ce matériau manquaient à l'appel. En particulier sur cet « angle magique » et les changements qu'il induit à très petite échelle. Des chercheurs viennent de l'étudier dans une publication de Nature. Leurs résultats montrent que tout se joue grâce à la géométrie quantique.

    Le graphène a une structure en nid d'abeille. © Alex, Adobe Stock
    Le graphène a une structure en nid d'abeille. © Alex, Adobe Stock

    Les paires de Cooper permettent la supraconductivité

    Uniquement composé de carbone, le graphène est en fait une feuille bidimensionnelle de graphite, ce matériau bien connu que l'on retrouve notamment sur les mines de crayon ! Les atomesatomes y sont arrangés dans une structure en nid d'abeille, chacun étant lié à trois autres atomes de carbone. Pour l'obtenir, « on part d'un cristal lamellairelamellaire sur lequel on vient prélever une seule couche. Il y a d'autres techniques de croissance où le cristal est assemblé, atome par atome, comme dans l'épitaxie par jets moléculaire ou la croissance en phase vapeur (CVD) », explique Vincent Renard, maître de conférencemaître de conférence à l'Université Grenoble-Alpes et spécialiste du graphène.

    Déjà connu pour avoir des propriétés particulières, comme sa souplesse, sa conductivité thermiqueconductivité thermique et électrique ou sa résistance, le graphène s'est révélé encore plus surprenant il y a seulement quelques années. En effet, le moiré de graphène qui consiste en un empilement de deux couches tournées l'une par rapport à l'autre, peut rendre le système supraconducteursupraconducteur !

    Lorsque deux couches de graphène sont empilées et décalées l'une par rapport à l'autre, elles forment ce que l'on appelle un « moiré ». © Vincent Renard
    Lorsque deux couches de graphène sont empilées et décalées l'une par rapport à l'autre, elles forment ce que l'on appelle un « moiré ». © Vincent Renard

    Mais ce qui surprend surtout les scientifiques, c'est que « la théorie conventionnelle de la supraconductivitésupraconductivité ne fonctionne pas dans cette situation, a déclaré dans un communiqué Marc W. Bockrath, coauteur de l'étude. Nous avons fait une série d'expériences pour comprendre pourquoi ce matériau est un supraconducteur ». 

    « Ils ne devraient pas être capables de conduire l'électricité »

    La supraconductivité tient aux paires de Cooper : les électronsélectrons s'apparient, leur permettant de changer de comportement. Ils agissent alors non plus comme des fermionsfermions, le type de particules auquel ils appartiennent, mais comme des bosonsbosons ! Ces particules de spinspin entier permettent la création d'une onde collective quantique dans le matériau. « Cette fonction d'onde collective rend les électrons insensibles au désordre permettant le passage d'un courant électriquecourant électrique sans dissipation d'énergieénergie », commente Vincent Renard.

    Dans les supraconducteurs classiques, la force d'appariement des paires de Cooper, appelée paramètre d'ordre supraconducteur, dépend de la vitessevitesse des électrons. Elle est d'autant plus grande que leur vitesse est grande. Or, dans le graphène bicouche tourné, ils se déplacent très lentement à cause du moiré ! Au point où « ils ne devraient pas être capables de conduire l'électricité », a déclaré Chun Ning Lau, coauteur de l'étude et professeur de physiquephysique à l'Université de l'Ohio. 

    Tout est une question de géométrie quantique

    En manipulant du graphène bicouche tourné, les chercheurs se sont approchés de l'angle magique et ont observé les propriétés du matériau changer petit à petit. Et la supraconductivité apparaitre malgré une vitesse très lente des électrons, qu'ils ont pu mesurer de manière précise. « C'est un paradoxe : comment des électrons qui se déplacent si lentement peuvent-ils conduire l'électricité, sans parler de la supraconduction ? » s'étonne Chun Ning Lau.

    Cette image en fausses couleurs saisie avec un microscope à effet tunnel montre la structure en nid d'abeille du graphène. Il s'agit d'un feuillet cristallin composé d'atomes de carbone formant un réseau hexagonal. C'est cette structure en 2D qui dote le graphène de propriétés remarquables. © ESRF
    Cette image en fausses couleurs saisie avec un microscope à effet tunnel montre la structure en nid d'abeille du graphène. Il s'agit d'un feuillet cristallin composé d'atomes de carbone formant un réseau hexagonal. C'est cette structure en 2D qui dote le graphène de propriétés remarquables. © ESRF

    Finalement, la réponse a été trouvée dans la mise en équationéquation du système, et se trouve dans la géométrie quantique. Elle « correspond au fait que, dans certains systèmes, la description des propriétés physiques nécessite d'introduire des considérations liées à la géométrie des fonctions d'ondes, détaille Vincent Renard. Par exemple, quand une particule effectue une trajectoire fermée, la fonction d'onde peut acquérir une phase qui dépend de la géométrie de la trajectoire. Cette phase peut avoir des conséquences importantes ».

    « En général, le paramètre d'ordre supraconducteur (la "force" de la supraconductivité) est déterminé par deux contributions, la vitesse de Fermi et une contribution géométrique. Dans les supraconducteurs classiques, cette deuxième contribution est négligeable car la vitesse de Fermi est grande. Dans l'étude mentionnée, la vitesse de Fermi est faible en raison du moiré, ce qui laisse la place à l'expression de la composante géométrique en conjonctionconjonction avec les interactions électron-électron », poursuit-il.

    Par la suite, les chercheurs comptent se pencher les implications de leur découverte sur la supraconductivité à haute température, qui permettrait de nombreuses applicationsapplications« telles que la transmission et la communication électriques, a conclu Marc W. Bockrath. Cela aurait un impact énorme sur la société. C'est loin, mais cette recherche nous fait définitivement avancer pour comprendre comment cela pourrait se produire ».


    Un supraconducteur pas comme les autres

    Le graphène tricouche torsadé à angle magique. En voilà un drôle de nom pour un matériau. Un peu... exotiqueexotique. Mais ce qui est encore plus exotique pour ce matériau, c'est le type de supraconductivité que des physiciensphysiciens lui ont découvert. Dans le futur, il pourrait aider à concevoir notamment des équipements d'imagerie médicale et des ordinateurs quantiquesordinateurs quantiques plus performants.

    Article de Nathalie MayerNathalie Mayer, publié le 26/07/2021

    Empilez deux feuilles de graphène l'une sur l'autre, en les décalant juste d'un angle de 1,1°. Vous produirez un effet de moiré. Une structure périodique à plus grande échelle que celle de la feuille de graphène. Faites tomber la température à quelque chose près du zéro absoluzéro absolu. Disons 3 kelvins. Et obtiendrez un supraconducteur -- un matériau super efficace lorsqu'il s'agit de conduire l'électricité -- d'un type plutôt rare. C'est la découverte qu'a faite une équipe du Massachusetts Institute of Technology (MIT, États-Unis) en 2018. Aujourd'hui, les mêmes chercheurs rapportent qu'en ajoutant une troisième couche de graphène, ils ont pu obtenir un supraconducteur encore plus surprenant.

    Le saviez-vous ?

    Très bon conducteur d’électricité et de chaleur. Presque transparent et mécaniquement très résistant. Le graphène est un matériau étonnant. Il est constitué d’une couche unique d’atomes de carbone qui forment des motifs hexagonaux.

    La drôle de supraconductivité que les physiciens ont observée dans leur graphène tricouche torsadé à angle magique est connue des scientifiques sous le nom de « spin-triplet », une supraconductivité imperméable aux champs magnétiques intenses. Des champs magnétiques pouvant aller jusqu'à 10 teslasteslas. Imaginez, les appareils d'imagerie par résonance magnétique (IRM) que l'on trouve dans nos hôpitaux sont limités à trois teslas. Construits à partir de supraconducteurs à « spin-triplet », ils pourraient produire des images bien plus nettes et plus profondes du corps humain.

    Pour comprendre, rappelons que, dans un supraconducteur, les électrons exposés à un courant électrique se couplent en ce que les chercheurs appellent « paires de Cooper ». Ils peuvent ensuite traverser allègrement le matériau. Sans rencontrer de résistance. Généralement, ces paires présentent des spins opposés. La configuration est connue sous le nom de « spin-singlet ». Et cela explique pourquoi ces supraconducteurs n'apprécient que peu les champs magnétiques élevés. Ceux-ci, en effet, sont capables d'attirer les électrons d'une paire dans des directions différentes. Jusqu'à les séparer.

    Une résistance étonnante aux champs magnétiques intenses

    Dans le cas des supraconducteurs à « spin-triplet », les électrons des paires présentent un spin identique. Même soumis à des champs magnétiques intenses, ces paires peuvent donc poursuivre leur chemin sans être perturbées. C'était déjà le cas dans le graphène bicouche étudié en 2018. C'est encore plus le cas dans le graphène tricouche torsadé à angle magique.

    Les physiciens du MIT rapportent que la supraconductivité de leur matériau -- fait de trois couches de graphène pivotées de 1,56° -- a bien disparu à un certain point. Mais qu'elle a réapparu ensuite. Du jamais vu. Et pour persister ensuite jusqu'à dix teslas, l'intensité maximale qu'ils ont pu produire dans leur laboratoire. C'est l'équivalent de trois fois plus que ce qu'un supraconducteur « spin-singlet » pourrait supporter.

    Faire avancer les connaissances fondamentales sur la supraconductivité

    « Nos travaux font avancer les connaissances fondamentales sur la supraconductivité, sur la façon dont les matériaux peuvent se comporter. De quoi essayer de nouveaux principes de conception pour d'autres matériaux qui seraient plus faciles à fabriquer, qui pourraient peut-être même mener à une meilleure supraconductivité », explique Pablo Jorillo-Herreo, physicien, dans un communiqué du MIT. Avec en ligne de mire, des appareils à IRM plus puissants. Mais aussi des ordinateurs quantiques plus robustes. « Il y a 20 ans déjà, les théoriciens ont projeté que les supraconducteurs à "spin-triplet" d'un certain type pourraient constituer l'ingrédient clé de l'informatique quantique, poursuit-il. Nous ne savons pas si notre graphène est de ce type, mais il pourrait au moins nous aider à l'obtenir. »


    La supraconductivité du graphène se profile

    On le présente souvent comme le matériau miracle. Pourtant, on attend toujours que le graphène, avec ses propriétés hors-normes, révolutionne notre monde. Une découverte récente pourrait bien faire, enfin, avancer les choses : les doubles de couches de graphène seraient supraconductrices.

    Article de Nathalie Mayer paru le 17/11/2018

    Des chercheurs du Helmholtz Zentrum Berlin (Allemagne) mettent à jour la supraconductivité des doubles couches de graphène. © sxsxw, Fotolia
    Des chercheurs du Helmholtz Zentrum Berlin (Allemagne) mettent à jour la supraconductivité des doubles couches de graphène. © sxsxw, Fotolia

    Selon la théorie des bandesthéorie des bandes, les isolants de Mott devraient conduire le courant. Leurs bandes, en effet, ne sont qu'à moitié remplies. Mais dans la pratique, ils ne conduisent pas l'électricité. La faute aux interactions trop importantes entre électrons. Mais un dopage à l'oxygèneoxygène peut retourner la situation et les transformer subitement en supraconducteurs.

    Il y a quelques mois, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT, États-Unis) ont montré que c'est à peu près ce qu'il se passe aussi lorsque deux couches de graphène -- connues pour être semi-conductrices -- sont superposées avec un angle très précis de 1,1°. Elles sont alors isolantes. Mais dopé, à l'aide d'électrons cette fois, le graphène devient supraconducteur.

    Les doubles de couches de graphène ont déjà largement été étudiés. Mais seule, la précision de BESSY II, dont on découvre ici le hall d’expérience, a pu permettre d’y déceler une bande plate à côté de la bande interdite de ce semi-conducteur. © Helmholtz Zentrum Berlin
    Les doubles de couches de graphène ont déjà largement été étudiés. Mais seule, la précision de BESSY II, dont on découvre ici le hall d’expérience, a pu permettre d’y déceler une bande plate à côté de la bande interdite de ce semi-conducteur. © Helmholtz Zentrum Berlin

    Des couches exactement superposées

    Cet angle de 1,1° rend malheureusement difficile une production de massemasse. Mais des chercheurs du Helmholtz Zentrum Berlin (Allemagne) semblent avoir découvert que la supraconductivité des doubles couches de graphène est un phénomène plus général. Ils ont pu l'observer à partir d'un cristal de carbure de siliciumcarbure de silicium très simplement chauffé jusqu'à ce que les atomes de silicium s'évaporent de sa surface, laissant derrière eux deux couches de graphène exactement superposées.

    Grâce au rayonnement synchrotronrayonnement synchrotron de BESSY II, les physiciens ont pu analyser avec une précision sans précédent, la structure de bande de leur échantillon. Ils ont vu apparaître, une structure de bande effectivement semblable à celle d'un isolant de Mott, présentant des bandes plates. Celles-ci, sous réserve qu'elles soient portées au niveau de l'énergie dite « de Fermi » -- soit, à seulement 200 milli-électrons-voltsélectrons-volts de là, grâce à un dopagedopage --, rendent le matériau supraconducteur.


    La supraconductivité du graphène enfin déclenchée

    Extraordinairement résistant, extrêmement léger, particulièrement flexible, incroyablement conducteur de chaleurchaleur, tout à fait imperméable aux gazgaz. N'en jetez plus ! La coupe des qualités du graphène est pleine. Pensait-on, car des chercheurs viennent en plus de révéler sa supraconductivité.

    Article de Nathalie Mayer paru le 24/01/2017

    Depuis sa découverte en 2004, les scientifiques soupçonnaient le graphène de présenter des propriétés supraconductrices. Pourtant, jusqu'à présent, il n'avait été possible de le rendre supraconducteur qu'en le dopant avec, ou en lui adjoignant, un matériau lui-même supraconducteur. L'opération lui faisant perdre d'autres de ses propriétés intéressantes et ne se faisant généralement qu'à basse température. Des chercheurs de l'université de Cambridge (États-Unis) rapportent, dans la revue Nature Communications, être parvenus à activer la supraconductivité du graphène en le couplant à un oxyde de cuivrecuivre, le praséodymepraséodyme de cériumcérium (PCCO).

    Les supraconducteurs classiques interviennent d'ores et déjà dans un certain nombre d'applications. Dans les instruments d'imagerie par résonance magnétiqueimagerie par résonance magnétique (IRM), par exemple, ils aident à produire un champ magnétique suffisamment puissant et stable pour obtenir des images utiles au diagnosticdiagnostic médical. Les supraconducteurs à haute température -- qui, rappelons-le, permettent de conduire le courant avec une résistance nulle --  pourraient aussi, à l'avenir, être utilisés pour améliorer l'efficacité des lignes électriques ou produire des systèmes de stockage de l'électricité hyper performants.

    Selon les chercheurs de Cambridge, la supraconductivité du graphène ouvrirait bien ce type de perspectives. L'extraordinaire matériau à deux dimensions pourrait également servir à concevoir une nouvelle génération de systèmes quantiques supraconducteurs pour une informatique ultra rapide. Et d'un point de vue plus fondamental, leur découverte pourrait aider à résoudre le mystère de la supraconductivité d'onde p qui intrigue les scientifiques depuis plus de 20 ans maintenant.

    Le graphène supraconducteur pourrait être utilisé pour fabriquer des dispositifs de type transistor. Et même — compte tenu de la variété des molécules susceptibles de s’apparier au graphène — conduire au développement de dispositifs électroniques moléculaires supraconducteurs. © beear, Pixabay, CC0 Public Domain
    Le graphène supraconducteur pourrait être utilisé pour fabriquer des dispositifs de type transistor. Et même — compte tenu de la variété des molécules susceptibles de s’apparier au graphène — conduire au développement de dispositifs électroniques moléculaires supraconducteurs. © beear, Pixabay, CC0 Public Domain

    Un oxyde de cuivre comme déclencheur

    Rappelons que le PCCO est un oxyde qui appartient à la famille des cuprates. Celle-ci regroupe des composés chimiques qui présentent de la supraconductivité à haute température. Ce qui explique, du moins en partie, l'intérêt que leur portent les chercheurs de Cambridge. Mais ce sont leurs propriétés électroniques bien connues qui leur permettent aujourd'hui d'assurer que la supraconductivité du graphène a bien été observée. Et non celle transmise par le supraconducteur couplé.

    En effet, au cœur d'un supraconducteur, les électrons se regroupent en paires et forment une onde. L'alignement des spins électroniques à l'intérieur de ces paires varie en fonction du type de supraconductivité impliquée. Dans le cas du PCCO, les spins électroniques se présentent dans des états antiparallèles correspondant à des états d'ondes baptisés d.

    Au cours des expériences menées par les chercheurs de Cambridge, des techniques de microscopie électronique à balayage et à effet tunneleffet tunnel ont révélé des états de spins de type p. Ils sont révélateurs d'une supraconductivité totalement différente de celle du PCCO et permettent donc aux chercheurs de conclure à une supraconductivité intrinsèque du graphène, déclenchée par la supraconductivité du PCCO. Même si des doutes subsistent, les résultats obtenus suggèrent grandement que la supraconductivité en question serait de type p. Une supraconductivité souvent discutée, mais jamais encore observée jusqu'alors...