Un atome d’antihydrogène est-il simplement un atome d’hydrogène dans lequel les signes des charges sont inversés ? Pour le savoir il faut pouvoir refroidir un gaz de tels atomes presque au zéro absolu. Les physiciens de l'expérience ALPHA du Cern tentent de le faire et ils viennent d’obtenir un nouveau record : un gaz d’antiprotons à 9 kelvins.

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    Découverte des antiparticules

    En cherchant à trouver une forme relativiste de l'équation de Schrödinger pour l'électron, c'est-à-dire en mariant les lois de la relativité restreinte et les lois de la mécanique quantique, le physicienphysicien Paul DiracPaul Dirac fut conduit à découvrir qu'il devait exister dans l'Univers une particule jumelle pour toutes les particules connues, ne différant que par le signe de la charge. Ce fut la prédiction de l'existence de l'antimatièreantimatière.

    L'antiparticuleantiparticule de l'électron, le positronpositron, fut tout d'abord identifiée par Dirac au protonproton. Ce denier savait pourtant que son équation impliquait que le jumeaujumeau de l'électron, avec une charge positive, devait posséder une massemasse identique. Ne voulant pas multiplier le nombre de particules élémentairesparticules élémentaires connues à l'époque, il pensa qu'une solution inconnue à ce problème devait exister. Il dut admettre que cela n'était pas possible quand Carl Anderson découvrit en 1932 le positron. Ce dernier avait bel et bien une masse identique à celle de l'électron.

    On ne pouvait donc pas échapper à la conclusion qu'il devait exister une particule d'antimatière pour le proton, de charge négative. Cette dernière fut finalement découverte en 1955 par Emilio Segrè, Clyde Wiegand, Edward Lofgren, Owen Chamberlain, et Thomas Ypsilantis. Nommée antiprotonantiproton, elle valut le prix Nobel de physiquephysique 1959 à Emilio Segrè et Owen Chamberlain.

    Aujourd'hui, l'antimatière et les antiprotons font partie de l'ordinaire des physiciens. Des faisceaux de protons et d'antiprotons entrent en collisions de façon routinière au Tevatron par exemple. Toutefois, l'antimatière n'a pas encore livré tous ses secrets. On ne comprend pas en particulier pourquoi notre Univers observable est constitué de manière écrasante par de la matièrematière alors que les lois de la physique connues impliquent que matière et antimatière auraient dû être créées en quantités égales au moment du Big BangBig Bang. C'est le problème de l'antimatière cosmologique.

    De gauche à droite, Emilio Segrè, Clyde Wiegand, Edward Lofgren, Owen Chamberlain, et Thomas Ypsilantis, les membres de l'équipe qui a découvert l'antiproton. Crédit : <em>Lawrence Berkeley National Laboratory</em>.

    De gauche à droite, Emilio Segrè, Clyde Wiegand, Edward Lofgren, Owen Chamberlain, et Thomas Ypsilantis, les membres de l'équipe qui a découvert l'antiproton. Crédit : Lawrence Berkeley National Laboratory.

    Certains se demandent aussi depuis longtemps si de l'antimatière et de la matière ne sont pas capables de se repousser à cause d'un effet d'antigravité. On pourrait peut-être d'ailleurs ainsi expliquer pourquoi notre Univers observable est majoritairement constitué de matière en supposant une séparationséparation précoce de la matière et de l'antimatière, en des zones distinctes du cosmoscosmos, sous l'effet d'une hypothétique antigravité.

    On peut cependant donner des arguments théoriques et expérimentaux défavorables à une telle hypothèse mais un léger doute subsiste. C'est pourquoi il serait intéressant de disposer d'un grand nombre d'atomesatomes d'antihydrogène et de vérifier s'ils tombent bien dans le champ de gravitationgravitation de la Terre à la façon des atomes d'hydrogènehydrogène, ou si au contraire ils sont repoussés.

    Plus généralement, le problème de l'absence d'antimatière dans l'Univers peut signifier que des différences subtiles existent entre particules et antiparticules qui ne seraient pas identiques aux signes de leurs charges près. On a ainsi vu récemment que les antineutrinos semblaient ne pas avoir exactement les mêmes propriétés que les neutrinosneutrinos, bien que cela ne soit pas encore vraiment établie.

    Si cela le devenait, il faudrait revoir les fondements de la théorie quantique des champs relativistes car un fameux théorèmethéorème issu de cette dernière, celui de l'invariance CPTinvariance CPT, serait violé. Ce dernier implique aussi que toutes les propriétés d'un atome d'antihydrogène, son moment magnétiquemoment magnétique, ses niveaux d'énergiesénergies et ses transitions atomiques sous l'effet d'un rayonnement laserlaser, ne devraient pas être différentes de celles d'un atome d'hydrogène.

    Plus généralement, cela devrait être vrai de réactions entre particules élémentaires sous une combinaison de changements que l'on nomme la symétrie CPT. Si on en découvrait, il faudrait donc faire intervenir une nouvelle physique, comme celle de la théorie des cordes.

    Record de température pour un gaz d'antiprotons

    Devant de tels enjeux, des physiciens se sont lancés dans l'aventure en cherchant à créer des atomes d'antihydrogène. Ce fut le cas avec l'expérience ATHENA au CernCern à laquelle a succédé il y a quelques années l'expérience Antihydrogen Laser PHysics Apparatus (ALPHA).

    Le problème principal n'est pas tellement celui de la fabrication des atomes d'antihydrogène, notamment parce que l'on sait faire depuis longtemps des positrons et des antiprotons qui se lient assez facilement pour donner des anti-atomes.

    Non, ce qui est crucial c'est de pouvoir refroidir les atomes d'antihydrogène presque au zéro absoluzéro absolu, à une température de l'ordre de 0,5 K. L'agitation thermique de ces atomes est alors suffisamment faible pour que l'on puisse faire sur eux des tests ayant la précision requise pour aller au-delà des bornes que l'on connait déjà en ce qui concerne d'éventuelles différences dans le comportement des atomes d'hydrogène et d'antihydrogène, impliquées par une violation de la symétrie CPT.

    On n'en est pas encore là...

    Les chercheurs de l'expérience ALPHA ont cependant réussi une belle prouesse en mettant en pratique avec des antiprotons la technique déjà éprouvée dans le cas des atomes ultrafroids du refroidissement par évaporation.

    On commence par piéger environ 40.000 antiprotons formant un plasma chaud et l'on laisse une partie des antiprotons s'évaporer à la façon des moléculesmolécules d'eau d'une tasse de café. Il ne reste au final qu'environ 4.000 antiprotons ayant cédé leurs énergies à ceux qui se sont échappés du piège.

    Alors que des températures de l'ordre de 1000 K avaient précédemment été obtenues avec des antiprotons, ils ont réussi à descendre à 9 K, soit un gain de deux ordres de grandeursordres de grandeurs. Les résultats obtenus étant conformes aux prédictions, descendre encore en dessous en appliquant cette technique devrait être possible. On pourra alors former avec ces antiprotons des anti-atomes d'hydrogène suffisamment froids pour que des expériences puissent débuter, cherchant des signes de violations CPT.

    En attendant, les résultats de la collaboration ALPHA ont été publiés.