Factoriser un nombre à l’aide d’un ordinateur quantique n’est pas nouveau. Effectuer cette opération à l’aide de photons non plus... Ce qui l’est, c’est de le faire avec un dispositif semblable à des puces électroniques. Sous réserve que l’on parvienne un jour à surmonter l’obstacle de la décohérence, cette réalisation d’une équipe de chercheurs britanniques ouvre une nouvelle voie vers des ordinateurs quantiques puissants.

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    De gauche à droite, Stanislaw Ulam, Richard Feynman et John Von Neuman. C'est Feynman qui eut l'idée le premier d'utiliser une version quantique de l'ordinateur de Von Neumann pour réaliser des simulations de systèmes physiques. Ulam lui-même avait très tôt compris le pouvoir des ordinateurs pour faire des simulations numériques. Les trois génies sont ici en train de discuter à Los Alamos. Crédit : Emilio Segré Visual archives

    De gauche à droite, Stanislaw Ulam, Richard Feynman et John Von Neuman. C'est Feynman qui eut l'idée le premier d'utiliser une version quantique de l'ordinateur de Von Neumann pour réaliser des simulations de systèmes physiques. Ulam lui-même avait très tôt compris le pouvoir des ordinateurs pour faire des simulations numériques. Les trois génies sont ici en train de discuter à Los Alamos. Crédit : Emilio Segré Visual archives

    Prenez un ordinateurordinateur classique tel qu'il a été conçu par Von Neumann et dont la fréquence de calcul des processeurs est de l'ordre du térahertz (THz). Cherchez à factoriser en un produit de nombres premiers un nombre d'environ 300 chiffres en faisant plancherplancher l'ordinateur grâce à un algorithme classique de factorisation. Combien de temps faudra-t-il pour obtenir le résultat ?

    Pas loin de 150.000 ans... On comprend aisément pourquoi la cryptographiecryptographie emploie souvent comme clé des grands nombres qui se décomposent en produit de deux nombres premiers.

    Maintenant, supposons que l'on dispose d'un ordinateur quantique manipulant non plus des informations sous forme de bits mais sous forme de qubits. Un ordinateur quantique utilise le principe de la superposition des états quantiques, permettant à une particule d'être par exemple dans plusieurs endroits simultanément, pour effectuer des sortes de calculs en parallèle. Le grand physicienphysicien Richard Feynman a été l'un des premiers à théoriser le fonctionnement d'un tel ordinateur.

    En 1995 Peter Shor a trouvé un algorithme fonctionnant sur un ordinateur quantique et décomposant un nombre en ses facteurs premiers. Posons-nous la même question que pour un ordinateur classique. Quelle sera alors la réponse ?

    Moins de 1 seconde ! Le scénariste de Transformers connaissait visiblement ce résultat car lorsque que les codes d'accès aux ordinateurs de la défense américaine sont cassés en quelques secondes l'un des personnages du film soupçonne que l'auteur de cette prouesse doit nécessairement disposer d'un ordinateur quantique.

    A nouveau, on comprend facilement pourquoi depuis une dizaine d'années, la course à la réalisation d'un ordinateur quantique et les travaux sur l'information quantique se multiplient. C'est une sorte de nouveau Graal de la physique et certains voient dans l'ordinateur quantique et plus généralement la notion d'information quantique la possible clé du fonctionnement du cerveaucerveau humain voire de la vie.

    Pour le moment, seuls ont vu le jour des ordinateurs quantiques que la machine à calculer de Pascal surpasse aisément... Les obstacles à la réalisation d'un ordinateur quantique de puissance comparable aux micros actuels sont tellement formidables qu'il est fort possible que jamais les ordinateurs quantiques ne dépassent le stade de curiosité de laboratoire.

    En effet, plus un ordinateur quantique a de la puissance de calcul plus il doit être « gros » par rapport à l'échelle du monde quantique. Rapidement, il frôle celle du monde classique, et surtout, l'effet de la décohérence se fait sentir. Les propriétés miraculeuses de la superposition quantique, qui permettrait, si elle s'appliquait à notre échelle, à la LuneLune d'être en différents endroits à la fois ou au chat de Schrödingerchat de Schrödinger d'être à la fois mort et vivant, disparaissent avant qu'un calcul quantique portant sur une information de grand volumevolume puisse se produire complètement.

    Il ne faut pas oublier non plus que si les ordinateurs quantiques se révèlent supérieurs aux ordinateurs classiques pour certains calculs, ils ne le sont pas pour tous. Néanmoins, malgré les obstacles, des dizaines de laboratoires sur la planète construisent des mini-ordinateurs quantiques avec différents types de particules, comme des ionsions piégés ou encore des photonsphotons.

    Une puce quantique

    Il y a plus d'un an, des chercheurs avaient déjà réussi à utiliser des photons pour effectuer un « puissant » calcul quantique démontrant que 15 était le produit de 3 par 5. Le dispositif employé était assez gros mais une équipe de l'université de Bristol vient d'effectuer une percée en réalisant une véritable puce optique fonctionnant selon le principe d'un ordinateur quantique.

    Les chercheurs britanniques menés par Jeremy O'Brien avaient déjà réussi en 2003, avec l'aide de collègues australiens, à créer l'équivalent d'une porteporte logique de l'électronique classique dans le cadre quantique. Ils avaient ainsi fabriqué une porte dite CNOT pour controlled NOT en anglais. Comme les portes logiques élémentaires de l'électronique classique, il s'agit d'un élément fondamental pour la constructionconstruction d'un ordinateur quantique. A l'époque sa réalisation nécessitait des miroirsmiroirs et des séparateurs de faisceaux optiques. Elle prenait donc la place d'une table de laboratoire.

    O'Brien et ses collègues sont maintenant allés beaucoup plus loin car ce sont des centaines de portes CNOT utilisant des photons qui ont été miniaturisées et occupent maintenant une puce en siliciumsilicium d'un millimètre de côté. Sur cette dernière se trouvent ainsi plusieurs guides d’ondes pour les photons dont la taille ne dépasse pas le micron. C'est ainsi que 4 photons ont suffi pour obtenir des qubits d'informations et qu'un calcul reproduisant l'algorithme de Shor a pu être réalisé.

    Les détails de cette performance ont été publiés dans Science. Si la fabrication à grande échelle de telles puces semble facile, on ne sait toujours pas si l'obstacle de la décohérence peut être surmonté et on peut très bien imaginer que les puces classiques seront toujours bien supérieures à ces puces quantiques. Mais dans le cas contraire, et si l'esprit est réductible à du calcul, qu'il soit classique ou quantique, peut-être est-on là en présence de l'embryonembryon des circuits électroniques équipant le robotrobot de Terminator. La réalité rattrapera-t-elle la fiction ? On en saura probablement plus d'ici quelques dizaines d'années...