Un hadron exotique, formé de six quarks, avait déjà été envisagé en 1964 par Freeman Dyson. Après sa découverte probable il y a quelques années, deux physiciens suggèrent que des amas de ces hadrons sous forme de condensat de Bose-Einstein laissés par le Big Bang pourraient rendre compte de la matière noire.


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    C'est probablement le buzz du moment sur la matière noirematière noire et il se fonde sur un papier a priori tout à fait sérieux puisqu'il a été publié dans Journal of Physics G: Nuclear and Particle Physics et qu'il a donc été examiné par quelques experts collègues des auteurs de l'article, deux physiciensphysiciens en poste à l'University of York dans le nord de l'Angleterre, Mikhail Bashkanov et Daniel Watts.

    Comme les deux chercheurs l'expliquent dans l'article disponible en accès libre sur arXiv, ils proposent un scénario pour expliquer la matière noire en se basant non seulement sur la physique des particules connue mais à partir d'une particule que l'on a semble-t-il bel et bien mise en évidence dans les laboratoires terrestres il y a quelques années, un hadron exotiqueexotique contenant six quarks.

    L'idée est donc probablement plus séduisante pour ceux qui n'aiment pas postuler l'existence de nouvelles particules à partir d'une nouvelle physique, dont nous ne voyons toujours malheureusement pas de trace dans les accélérateurs ou les détecteurs dans l'espace tel AMS ou enterrés tel Xenon1T.

    Comme Futura l'expliquait dans le précédent article ci-dessous, cet « hexaquark » avait été baptisé d*(2380) mais surtout, sa découverte confirmait une prédiction théorique faite en 1964 par le légendaire Freeman Dyson avec son collègue Nguyen-Huu Xuong, quelques mois seulement après la publication par George Zweig et Murray Gell-Mann de leur théorie des quarks. Freeman Dyson vient hélas de décéder et il aurait donc été intéressant de savoir ce qu'il pensait des idées avancées par Mikhail Bashkanov et Daniel Watts.


    Une vidéo expliquant le concept de condensation de Bose-Einstein. © Groupe de recherche « La Physique Autrement » avec le soutien du labex PALM

    Des condensats de Bose-Einstein d'un hadron exotique

    Rappelons que les baryonsbaryons sont des particules composées de trois quarks, comme le protonproton et le neutronneutron, alors que les mésonsmésons sont composés d'un quark et d'un antiquark. En fait, d*(2380) pourrait être plutôt un dibaryon, c'est-à-dire une sorte d'état lié de deux baryons comme deux atomesatomes peuvent former une moléculemolécule.

    Rappelons aussi que l'on postule l'existence de la matière noire parce que les étoilesétoiles dans les galaxiesgalaxies et les galaxies dans les amas de galaxiesamas de galaxies ont des vitessesvitesses trop élevées qui semblent trahir, depuis des milliards d'années, l'existence d'une distribution de massemasse plus importante que celle sous forme d'étoiles ou de gazgaz et dont on sait, pour diverses raisons, que cette distribution de masse qui ne rayonne pas ne peut pas être constituée de protons et de neutrons, donc des baryons du Big BangBig Bang. Les particules constituant la matière noire doivent donc être particulièrement stables. Or, d*(2380) est très instable, il se désintègre très vite, ce qui a priori l'exclut comme candidat au titre de particule de matière noire.

    Mais Mikhail Bashkanov et Daniel Watts semblent avoir trouvé une échappatoire. Leurs calculs suggèrent que lorsqu'un grand nombre de d*(2380) sont présents et forment une sorte de gaz, ils peuvent se rassembler en donnant ce que l'on appelle un condensat de Bose-Einsteincondensat de Bose-Einstein. En fait, un état quantique collectif d'un gaz de particules prédit par Albert Einstein en 1925, à partir des travaux de Satyendra Nath Bose, et qui a été mis en évidence en 1995 par Eric Cornell et Carl Wieman, découverte leur valant le prix Nobel de physique en 2001.

    Un condensat de Bose-Einstein de d*(2380) serait suffisamment stable selon eux pour constituer une particule de matière noire. Il le resterait jusqu'à une taille de l'ordre de celle d'un atome, donc un Ångström, et pourrait peser jusqu'à quelques grammes. Une large gamme de tailles et de masses est possible et une quantité suffisante de ces gouttes de condensat de BE, formées d'un grand nombre d'hexaquarks (quelques milliers à quelques millions), pourrait avoir été produite par le Big Bang pour rendre compte de la quantité de matière noire observée, toujours selon les calculs des chercheurs. Elles seraient des vestiges de la transition de phasetransition de phase ayant fait passer le quagma - le plasma de quarks et de gluonsgluons libres - à des gouttes de liquideliquide hadronique, c'est-à-dire les protons et les neutrons lorsque l'UniversUnivers s'est suffisamment refroidi au moment du Big Bang.


    Une présentation du quagma. La première création de ce plasma de quarks et de gluons par l’Humanité a été annoncée en février 2000 par les chercheurs du Cern. L’étude de ce plasma s’est poursuivie par la suite surtout au Laboratoire national de Brookhaven aux États-Unis, en particulier avec le collisionneur d'ions lourds relativistes (RHIC, Relativistic Heavy Ion Collider). On le produit essentiellement en accélérant en sens inverse deux faisceaux de noyaux lourds, de cuivre ou d’or pour les faire entrer en collision frontale. On peut faire de même au LHC avec des noyaux de plomb. Des expériences similaires concernant le quagma ont ainsi été réalisées avec le détecteur Alice. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Fermilab

    Sauf qu'il y a un hic, de tels condensats devraient être très, très fortement chargés positivement donc rayonner copieusement de la lumièrelumière quand ils sont accélérés dans les rayons cosmiquesrayons cosmiques par exemple. Un condensat de d*(2380) n'est donc PAS de la matière noire... sauf s'il s'entoure d'autres particules chargées négativement (antiprotonsantiprotons, électronsélectrons ?) pour former un état lié et neutre comme un atome.

    Une variation sur le thème des pépites de quarks

    C'est bien ce que postulent Mikhail Bashkanov et Daniel Watts mais cela rend évidemment leur hypothèse plus compliquée, donc moins crédible. Toutefois, formant l'analogue d'un atome avec des électrons très fortement liés à un noyau très lourd et très positivement chargé, il pourrait posséder des raies d'émissionsémissions exotiques détectables, ce qui ferait que la matière noire ne serait pas complètement noire et ouvrirait une fenêtrefenêtre d'observation possible pour tester le scénario des deux physiciens.

    En fait, on est en présence d'une variante des théories avancées dès le début des années 1980 pour expliquer l'existence de la matière noire à partir d'amas de quarks, en particulier dans les travaux datant de 1984 d’Edward Witten, le grand théoricien des supercordes et lauréat de la Médaille Fields en mathématique, qui ont conduit à ce que l'on appelle des pépites de quarks (quark nuggets, en anglais) ou encore des strangelets. En l'occurrence, il s'agissait d'amas de très nombreux quarks formés d'un tiers de quarks uquarks u, d'un autre de quarks dquarks d et enfin d'un dernier tiers de quarks étrangesquarks étranges s, qui là aussi seraient stables mais positivement chargés et devraient donc s'entourer, par exemple, d'électrons pour être neutres. Witten pensait également que d'importantes quantités de strangelets pouvaient avoir été créées au tout début de l'histoire de l'Univers observable, lorsque celui-ci s'est refroidi suffisamment pour que le quagma se condense en hadrons.

    On a cherché ces strangelets dans des expériences en accélérateur, sans succès jusqu'à maintenant. Ils pourraient s'observer sous la forme de noyaux très lourds avec une faible charge électrique dans les produits de collisions. On peut penser qu'une chasse similaire est possible avec les condensats de d*(2380), en supposant qu'ils existent...


    On a découvert un hadron exotique avec six quarks

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 14/06/2014

    Un dibaryon a peut-être été mis en évidence en Allemagne, au Centre de recherche de Jülich, dans le cadre de la collaboration Wasa-at-Cosy. Il s'agit en tout cas bel et bien d'un hadron exotique, formé de six quarks, déjà envisagé en 1964 par Freeman Dyson. Avec la découverte de ce qui pourrait être un tétraquark, ce dibaryon laisse penser que le monde des hadrons est encore plus diversifié qu'on le pensait.

    Freeman Dyson a fêté ses 90 ans en décembre 2013 à Princeton. Les contributions à la science de ce mathématicienmathématicien et physicien théoricien concernent plusieurs domaines de la physique. On lui doit de nombreuses idées originales, comme celle de tenter de mettre en évidence directement des ondes gravitationnelles en se servant de la Terre comme détecteur, ou encore de chercher des preuves de l'existence de la vie sur Europe, la lunelune de JupiterJupiter, en examinant des fragments de banquisebanquise éjectés dans l'espace par des impacts de météoritesmétéorites.

    En 1964, quelques mois seulement après la publication par George Zweig et Murray Gell-Mann de leur théorie des quarks, Dyson découvre avec son collègue Xuong qu'elle implique l'existence de sortes d'états liés de deux baryons. Rappelons que les baryons sont des particules composées de trois quarks, comme le proton et le neutron, alors que les mésons sont composés d'un quark et d'un antiquark. Il faudra encore une dizaine d'années pour que les idées de Gell-Mann et Zweig s'imposent. Pour cela, bien sûr, une série de découvertes expérimentales sera nécessaire, mais pas seulement. Le début des années 1970 est aussi marqué par l'essor des théories de jaugethéories de jauge, la découverte des équationséquations de champ décrivant la force nucléaire forte entre les quarks et les travaux sur le groupe de renormalisation du prix Nobel de physique Kenneth Wilson.

    Les hadrons ordinaires (à gauche) sont des baryons ou des mésons. Des données expérimentales prouvent maintenant l'existence de hadrons exotiques (à droite). Ils contiennent plus de trois quarks ou antiquarks, mais on ne sait pas encore très bien si ce sont des états moléculaires de hadrons, par exemple un dibaryon, ou d'authentiques états liés de quarks, comme le sont les hadrons ordinaires. © Centre de recherche de Jülich, SeitenPlan, cc by 4.0
    Les hadrons ordinaires (à gauche) sont des baryons ou des mésons. Des données expérimentales prouvent maintenant l'existence de hadrons exotiques (à droite). Ils contiennent plus de trois quarks ou antiquarks, mais on ne sait pas encore très bien si ce sont des états moléculaires de hadrons, par exemple un dibaryon, ou d'authentiques états liés de quarks, comme le sont les hadrons ordinaires. © Centre de recherche de Jülich, SeitenPlan, cc by 4.0

    Résonance qui trahit un hadron exotique

    Pourtant, malgré tous ces progrès et la mise en évidence de six types de quarks différents (alors que Gell-Mann et Zweig n'en postulaient que trois), rien n'était venu confirmer la prédiction de Dyson et Xuong. Elle n'a cependant pas été oubliée, comme le prouve un article publié sur arxiv par des membres de la collaboration Wasa-at-Cosy. L'expérience qu'ils ont menée a utilisé le Wide Angle Shower Apparatus (Wasa) pour étudier les produits des collisions de noyaux de deutérium accélérés par le Cooler Synchrotron (Cosy) avec des protons dans une cible fixe.

    Les chercheurs ont mis en évidence ce qu'ils appellent une résonancerésonance dans la production de pions, baptisée d*(2380). Tout porteporte à croire qu'il s'agit bien de la manifestation de l'existence fugace d'un dibaryon, c'est-à-dire une sorte d'état lié de deux baryons, comme intermédiaire de réaction dans la production des mésons π. Ce genre de dibaryon est parfois désigné par le terme « hexaquark », ce qui laisse ouverte la possibilité qu'il soit en réalité un seul hadron composé de six quarks.

    Cette particule est donc, en tout cas, un « hadron exotique ». Cette découverte s'ajoute à celle des mésons exotiquesmésons exotiques, dont on sait que certains contiennent quatre quarks, mais dont il reste difficile de dire, là aussi, s'il s'agit d'authentiques tétraquarks ou de molécules de mésons. Ce qui est sûr, c'est que le spectrespectre des particules contenues dans les équations de la chromodynamique quantiquechromodynamique quantique est plus large que ce que beaucoup pensaient initialement. Peut-être faudra-t-il aussi faire intervenir de la nouvelle physique, comme la supersymétriesupersymétrie, pour en rendre complètement compte.