Les lois de la thermodynamique émergent des systèmes physiques constitués d'un grand nombre de particules. La validité du deuxième principe peut être remise en question pour des petits systèmes physiques du fait des fluctuations statistiques. Une nouvelle expérience montre qu'il peut parfois être violé à l'échelle du nanomonde. Les ingénieurs s'occupant des nanotechnologies devront en tenir compte...


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    Un verre qui s'est brisé en tombant d'une table ne se reconstitue jamais spontanément en remontant à son emplacement initial, pas plus qu'un glaçon jeté dans un verre d'eau ne se reforme après avoir fondu. Ce comportement des objets physiques qui évoluent irréversiblement dans un seul sens a bien été compris par le grand astrophysicienastrophysicien Arthur Eddington qui parlait de « flèche du temps ». Ce comportement est souvent relié au deuxième principe de la thermodynamique, et à la notion subtile d'entropie croissante qui l'accompagne. Le même Eddington est célèbre pour ses commentaires sur ce sujet. « La loi qui veut que l'entropie augmente toujours occupe, je pense, une position supérieure parmi les lois de la nature. Si quelqu'un vous montre que votre théorie est en désaccord avec les équations de Maxwell [...], alors tant pispis pour les équations de Maxwell. Mais si votre théorie est en contradiction avec le deuxième principe de la thermodynamique, je ne peux vous offrir aucun espoir. »

    Prise au pied de la lettre, cette affirmation est fausse et on le savait depuis le début du XXe siècle. En effet, le deuxième principe de la thermodynamique émerge des lois de la mécanique analytique complétées par certaines hypothèses de nature probabiliste, comme l'ont montré Boltzmann et Gibbs dans le cadre de la théorie cinétique des gaz et plus généralement celui de la mécanique statistique. Une illustration de cette émergenceémergence a été donnée par le modèle des urnes introduit en 1907 par les époux Ehrenfest. Mais comme l'avait montré Poincaré avec son célèbre théorème de récurrence, cette émergence est quelque peu paradoxale. On peut le comprendre en considérant des particules d'un gaz rassemblées initialement dans le coin d'un vase clos. Ces particules vont se répandre jusqu'à occuper tout le volumevolume du vase en accord avec le deuxième principe de la thermodynamique.

    De gauche à droite et de haut en bas, Albert Einstein, Paul Ehrenfest, Willem de Sitter, Arthur Eddington et Hendrik Lorentz à l'observatoire de Leiden, vers septembre 1923. Einstein, Eddington et Ehrenfest ont tous les trois réfléchi sur la flèche du temps en physique. © AIP
    De gauche à droite et de haut en bas, Albert Einstein, Paul Ehrenfest, Willem de Sitter, Arthur Eddington et Hendrik Lorentz à l'observatoire de Leiden, vers septembre 1923. Einstein, Eddington et Ehrenfest ont tous les trois réfléchi sur la flèche du temps en physique. © AIP

    Thermodynamique, flèche du temps et théorème de Poincaré

    Or, les équations de la mécanique gouvernant les mouvementsmouvements de ces particules ne changent pas lorsqu'on inverse le sens du temps. Il existe donc des solutions de ces équations dans lesquelles des mouvements conduisent les particules à se rassembler de nouveau dans le coin du vase. Le théorèmethéorème de Poincaré stipule que si l'on attend suffisamment longtemps, bien plus que l'âge de l'universunivers, les particules vont en effet s'y rassembler.

    C'est en réalité une situation générale dans le cadre de la mécanique statistique : si l'on attend suffisamment longtemps, un vase peut donc se recoller de lui-même et un glaçon fondu se reformer. Le phénomène peut se produire d'autant plus vite que l'on considère un petit nombre de particules. Le deuxième principe de la thermodynamique nous apparaît donc comme une loi intangible uniquement parce que nous sommes confrontés à de larges ensembles de systèmes physiques en interaction, autrement dit à des objets macroscopiques.

    On devine donc que dans le domaine du nanomonde et des nanotechnologiesnanotechnologies, le deuxième principe peut temporairement et localement être violé. C'est justement ce qu'a montré une équipe internationale de physiciensphysiciens de l'université de Vienne (Autriche), de l'École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ, Suisse) et de l'Institut des sciences photoniques de Barcelone (Espagne). Comme les chercheurs l'expliquent dans un article publié dans Nature Nanotechnology, ces violations ont été mises en évidence en utilisant une nanoparticulenanoparticule piégée et refroidie avec un laserlaser en contact avec un gaz à plus haute température.

    La mécanique statistique et le nanomonde

    D'un diamètre d'environ 100 nanomètresnanomètres, la nanoparticule, bien que suspendue en lévitation et piégée par la lumièrelumière laser, est constamment bombardée par les particules du gaz comme le sont des grains de pollenpollen soumis à un mouvement brownien par le choc des moléculesmolécules d'eau. Une fois refroidie par laser à une température inférieure à celle du gaz environnant, la nanoparticule se trouve dans une situation dite de non-équilibre thermodynamique. La deuxième loi implique qu'elle doit échanger de la chaleurchaleur avec le gaz environnant pour atteindre l'équilibre, en l'occurrence qu'elle doit en absorber pour s'échauffer. Toutefois, comme prévu, les observations ont montré que parfois et temporairement, la nanoparticule cédait spontanément de la chaleur au gaz, c'est-à-dire qu'elle se refroidissait encore plus et donc violait le deuxième principe de la thermodynamique.

    Comme l'explique les chercheurs, les mesures qu'ils ont obtenues vérifient en réalité un théorème connu depuis longtemps dans le cadre de la mécanique statistique des systèmes thermodynamiques hors équilibre : le théorème de fluctuation, ou fluctuation theorem (FT) en anglais. Le FT a été proposé puis testé à l'aide de simulations informatiquessimulations informatiques par Denis Evans, E. G. D. Cohen et Gary Morriss en 1993. La première preuve mathématique a été donnée par Evans et Debra Searles en 1994 et la première expérience de laboratoire qui a vérifié la validité du FT a été réalisée en 2002.

    Il est donc maintenant clair que des nanomachines ou des nanosystèmes, du fait des fluctuations thermiques qu'elles subissent, ne se comportent pas toujours comme le font les objets macroscopiques qui, eux, vérifient bien en moyenne avec une extraordinaire précision le deuxième principe de la thermodynamique. Les nano-ingénieurs devront donc tenir compte des contraintes du théorème de fluctuation pour concevoir et réaliser des nanomachinesnanomachines.