Fabriquer et piéger un grand nombre de molécules polaires ultra-froides est un défi que vient de réussir un groupe de chercheurs de l'Université de Rochester. Selon les physiciens, l'exploit pourrait servir à de futurs ordinateurs quantiques et même à explorer les limites du modèle standard de la physique des particules.

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    Le dispositif Twist avec les boucles en tungstène. Crédit : University of Rochester

    Le dispositif Twist avec les boucles en tungstène. Crédit : University of Rochester

    Il y a quelques années le domaine des atomes ultra-froids a donné lieu à plusieurs prix Nobel de physique avec ce que l'on appelle les condensats de Bose-Einstein. Une bonne douzaine de laboratoires dans le monde savent aujourd'hui refroidir des atomes à des températures extrêmement basses. Obtenir des résultats similaires avec des molécules est autrement plus difficile. Les chercheurs aimeraient de plus réussir ce tour de force avec des molécules polaires, c'est-à-dire dont les électrons sont inégalement répartis. La molécule d'eau en est un exemple. Cette dissymétrie dans les charges électriques conduit à une polarisation, induisant des propriétés qui semblent exploitables.

    Des molécules difficiles à obtenir

    Si des atomes ultra-froids peuvent se combiner en molécules, il s'agit généralement de molécules formées à partir d'un seul type d'atome. Les molécules obtenues sont électriquement symétriques et donc non polaires. Les physiciensphysiciens ont contourné l'obstacle en refroidissant des molécules polaires ordinaires ou en refroidissant plusieurs types d'atomes en même temps pour les forcer à se joindre en molécules ensuite. Le problème est que ces deux processus sont tellement complexes que quatre laboratoires dans le monde sont en mesure de le faire et, jusqu'à présent, le rendement en molécules polaires ultra-froides a été très faible.

    Celui-ci a été augmenté en utilisant d'abord le laser d'un piège magnéto-optique (ou MOT), pour refroidir des atomes à quelques millionièmes de degré au-dessus du zéro absoluzéro absolu, puis forcer ce groupe d'atomes à se combiner en molécules, et enfin en utilisant un piège électrostatiqueélectrostatique pour recueillir et emmagasiner les molécules obtenues.

    C'est ce dernier, appelé Twist pour Thin WIre electroStatic TrapTrap, que Jan Kleinert a spécifiquement conçu avec une série de boucles en tungstènetungstène créant un gradientgradient électrostatique. Ce dispositif filtre et retient spécifiquement les molécules polaires pour laisser s'échapper les atomes ou les molécules non polaires. Les molécules polaires sont donc presque simultanément produites et stockées en un seul endroit et ce de façon simple mais efficace.

    Des calculs quantiques moins sensibles à la décohérence ?

    Avec les stocks importants de molécules polaires ultra-froides ainsi obtenus les chercheurs pensent disposer d'un bon outil pour tenter de réaliser un ordinateur quantiqueordinateur quantique. Le principal obstacle à la réalisation d'un tel ordinateur est ce qu'on appelle la décohérence.

    En gros, des calculs quantiques sont possibles si les systèmes physiques impliqués sont dans un état particulier que l'on pourrait considérer comme ordonné mais très fragile et sensible à l'agitation environnante (le "bruit", pour les physiciens). Si le système n'est pas parfaitement isolé, le bruit ambiant, notamment la chaleurchaleur, le désorganise très vite.

    Des molécules ultra-froides seraient donc des objets idéaux pour effectuer des calculs quantiques, d'autant plus que leur polarisation les fait interagir fortement sur de longues distances : un atout pour effectuer des calculs rapidement.

    Les chercheurs ont encore autre chose en tête... Ces molécules refroidies permettraient de mieux connaître la taille des électrons. Jusqu'à présent, dans la limite des observations, ces particules se comportent comme des particules ponctuelles, ce qui n'est pas le cas des protonsprotons ou des neutronsneutrons qui sont étendus et possèdent une structure. Si les électrons se révélaient composites, avec donc une extension spatiale non nulle, cela révolutionnerait le modèle standardmodèle standard.