En 1989, des chercheurs d’IBM étaient déjà parvenus à manipuler les atomes individuellement, écrivant avec 35 d'entre eux le nom de leur compagnie. Aujourd’hui, ils ont réussi à évaluer précisément la valeur de la force nécessaire. Plus qu'un détail, cette mesure est une étape clé pour la conception efficace de nanomachines.

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    Illustration d'un microscope à force atomique (AFM) mesurant la force nécessaire pour déplacer un atome de cobalt sur une surface cristalline. Crédit : IBM.

    Illustration d'un microscope à force atomique (AFM) mesurant la force nécessaire pour déplacer un atome de cobalt sur une surface cristalline. Crédit : IBM.

    Le 29 décembre 1959 à la réunion annuelleannuelle de l'American Physical Society, le prix Nobel Richard Feynman présenta sa célèbre conférence intitulée There's plenty of room at the bottom (il y a plein de place au fond), considérée depuis comme la feuille de route de la nanotechnologienanotechnologie.

    Collègue et ami de Von Neuman et Ulam à Los Alamos pendant le projet Manhattan, et lui-même à la tête d'un groupe chargé de faire fonctionner des calculatrices pour la mise au point de l'arme atomique, Feynman était fort bien placé pour comprendre la puissance de l'informatique alors naissante, mais aussi l'inconvénient représenté par des ordinateursordinateurs occupant des bâtiments entiers. Inspiré par l'exemple des systèmes biologiques, dont les analogiesanalogies avec les ordinateurs avaient déjà été notées par Von Neuman et Ulam, il proposa de manipuler les atomes un par un pour construire des ordinateurs et des moteurs de taille nanométrique.

    Atomes de xénon déposés par un microscope à effet tunnel sur du nickel par des chercheurs d'IBM. Crédit : D.M. Eigler, E.K. Schweizer
    Atomes de xénon déposés par un microscope à effet tunnel sur du nickel par des chercheurs d'IBM. Crédit : D.M. Eigler, E.K. Schweizer

    Une première étape vers le nanomonde

    Le 29 septembre 1989, au IBM Almaden Research Center de San Jose, dans un petit laboratoire avec un équipement high-tech dans les collines de la Silicon ValleySilicon Valley, Don Eigler et E.K. Schweizer réalisèrent un pas vers la réalisation des rêves de Feynman. Ils réussirent à manipuler un à un des atomes de xénon pour écrire les trois lettres I-B-M sur une surface métallique. Depuis, d'autres réalisations du même genre suivirent comme le montrent les images ci-dessous, obtenues avec un microscopemicroscope à effet tunnel.

    Atome de fer déposé sur une surface de cobalt par des chercheurs d'IBM. Crédit : M.F. Crommie, C.P. Lutz, D.M. Eigler, E.J. Heller

    Atome de fer déposé sur une surface de cobalt par des chercheurs d'IBM. Crédit : M.F. Crommie, C.P. Lutz, D.M. Eigler, E.J. Heller

    Aujourd'hui, une nouvelle génération de chercheurs dans le même laboratoire de San Jose, avec l'aide de collègues de l'Université de Regensburg en Allemagne, a réussi une nouvelle étape clé pour la réalisation de petites structures qui permettront l'avenir des nanotechnologies. Ils sont en effet parvenus à mesurer les infimes forces nécessaires pour manipuler les atomes. Ces résultats sont publiés dans le numéro du 22 février de la revue Science.

    Une seconde étape clé pour les ingénieurs de la nanotechnologie

    On peut se demander en quoi cela est si important et même pourquoi cela n'avait pas été réalisé avant. Comprendre la force nécessaire pour déplacer des atomes spécifiques sur des surfaces représente un problème analogue à un autre auquel les scientifiques et ingénieurs des siècles passés ont été confrontés. Par exemple, la constructionconstruction d'un pont serait impossible, ou pour le moins dangereuse, sans la mesure préalable de la résistancerésistance des matériaux utilisés, l'évaluation des forces et la compréhension des interactions entre tous ces facteurs.

    De même, dans le domaine des nanotechnologies, pour concevoir et construire des structures stables avec assurance, il est indispensable de savoir quelles sont les forces nécessaires pour déplacer des groupes d'atomes et quelles sont celles qui les maintiendront dans un dispositif en train d'exécuter une tache donnée, comme des nanomoteurs équipant des nanorobots opérant à l'échelle des cellules dans un organisme.

    Dans l'article publié, les scientifiques, qui ont utilisé un microscope à force atomique (AFM), montrent que la force nécessaire pour déplacer un atome de cobalt sur une surface lisse en platineplatine est de 210 piconewtons, tandis que le déplacement d'un atome de cobalt sur une surface de cuivrecuivre prend seulement 17 piconewtons. La valeur de la force change aussi beaucoup quand une petite moléculemolécule est utilisée au lieu d'un seul atome.

    Pour mettre ces chiffres en perspective, il suffit de savoir que la force nécessaire pour soulever une pièce de 2 centimes d'euro, pesant à peine trois grammes, est de près de 30 milliards de piconewtons. Cette force est donc deux milliards de fois supérieure à celle qui déplace un seul atome de cobalt sur une surface de cuivre...