Dans quelques mois, deux faisceaux de protons, atteignant chacun 5 TeV, devraient entrer en collision dans les détecteurs du LHC. Qu’en attendent les physiciens ? Quelles découvertes pourraient être faites et dans combien de temps ? Voici quelques déclarations de chercheurs célèbres, ainsi qu’un calendrier indicatif des résultats qui pourraient émerger de l’énorme flot d’informations livrées par le LHC.

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    Une vue du LHC. Crédit : Cern

    Une vue du LHC. Crédit : Cern

    Il est possible que nous soyons à la veille d'un bon significatif dans l'histoire de l'humanité comparable à celui qui s'est produit au début du vingtième siècle lorsque les théories de la relativité et de la mécanique quantique ont commencé à être vérifiées expérimentalement. A coup sûr, au moins, notre vision de l'Univers pourrait bien se trouver radicalement transformée.

    Les physiciensphysiciens attendent du LHC la découverte du célèbre boson de Higgs, une clé fondamentale pour comprendre pourquoi les électrons, les quarksquarks et les bosons intermédiaires de la théorie électrofaiblethéorie électrofaible possèdent une massemasse, alors que les photonsphotons et les gluonsgluons n'en ont pas. Lors des collisions entre protonsprotons, le plasma de particules produit sera comparable à celui qui existait bien avant le premier millième de seconde de l'apparition de l'Univers observable. Dans ces conditions de haute température, les interactions électromagnétiques et nucléaires faibles, qui sont aujourd'hui différentes, devraient s'unifier. On devrait ainsi assister à une restauration d'une symétrie dite électrofaible qui s'est brisée lorsque la température de l'Univers a chuté.

    Cette brisure de symétrie est étroitement associée à la physiquephysique du boson de Higgs et c'est l'un des objectifs principaux des expériences du LHC que de comprendre ce qui a brisé cette symétrie. Si l'on pouvait le faire, on aurait alors l'espoir de mieux comprendre ce qui a probablement séparé l'interaction électrofaible des interactions nucléaires fortes et même, pourquoi pas, de la gravitationgravitation, à des périodes plus chaudes et plus anciennes de l'histoire du cosmoscosmos.

    En particulier, les physiciens soupçonnent l'existence d'une symétrie plus vaste à l'origine de la gravitation et de bien d'autres choses comme, là encore, la masse des particules, mais à un niveau encore plus profond que celui fourni par le boson de Higgs. Cette supersymétriesupersymétrie est profondément liée à la structure de l'espace-tempsespace-temps. Elle peut être vue comme reposant sur une sorte de généralisation des nombres complexes. Au lieu d'avoir des nombres complexes associés à l'espace en deux dimensions, on aurait des super-nombres complexes mais associés à l'espace-temps.

    Une ouverture vers de nouvelles dimensions spatiales ?

    Une telle symétrie aurait des implications fondamentales sur le cosmos car, en associant à chaque particule déjà connue une autre plus lourde, elle ferait émerger une large population de nouvelles particules dont certaines pourraient constituer la fameuse matière noirematière noire dominant le monde des galaxiesgalaxies et des amas de galaxiesamas de galaxies.

    Plus magique encore serait la découverte, à une énergieénergie toute aussi inconnue que celle à laquelle la supersymétrie devient visible, de dimensions spatiales supplémentaires qui se manifesteraient par des états d'excitations des particules du modèle standardmodèle standard, que cela soit sous la forme de modes de vibrationvibration d'une corde ou simplement d'un état de masse différent mais plus lourd.

    On pourrait avoir aussi d'autres surprises, comme de découvrir que les électrons, les quarks, et peut-être les photons sont des particules composites comme selon certaines théories baptisées compositeness.

    Quand on leur demandait il y a plus d'un an ce qu'ils attendaient du LHC, plusieurs des figures importantes de la recherche en physique des particules et en cosmologiecosmologie avaient livré les réponses suivantes :

    • Lisa Randall : « Il y a une chose extraordinaire c'est que nous pensons qu'il devrait exister une réponse à la question de savoir pourquoi la gravitégravité est plus faible que les autres interactions, il se pourrait bien que cela soit révélé au LHC ».
    • Leon Lederman : « Le vieux problème concernant la faiblesse de la gravité d'EinsteinEinstein pourraient bien être abordable avec cette accélérateur. Toutefois, ce qui me semble sûr, c'est que le LHC, avec ses superbes possibilités, devrait pouvoir donner des réponses à tous nos problèmes avec les astro-particules... »
    • Alexandre Vilenkin : « Si aucune trace de la supersymétrie n'est trouvée, cela pourrait bien être la preuve -  nécessairement indirecte - de l'existence du multivers. »
    • Sir Martin Rees : « J'espère qu'il permettra de clarifier la nature des particules qui constituent la matière noire dans l'univers. »
    • Edward Witten : « Le LHC nous dira si la notion de brisure de symétrie électrofaible est correcte, et si oui, comment cela fonctionne. »
    • Max Tegmark : « Notre théorie de la physique des particules comporte 26 paramètres libres. Pourquoi ont-ils ces valeurs ? Comment l'Univers a-t-il commencé ? l'a-t-il fait d'ailleurs ? »
    • Leonard Susskind : « Je ne vois que deux résultats possibles avec le LHC : soit on verra de la supersymétrie à basse énergie, soit on n'en verra pas ... La grande question est de savoir si la hiérarchie des constantes de couplages des théories de jaugesthéories de jauges résulte d'un réglage fin comparable, peut-être, à celui de la constante cosmologique, ou si elle possède une explication plus classique basée sur la supersymétrie. »
    • Steven Weinberg : « Ce qui épouvante les théoriciens, c'est la possibilité que le LHC ne découvre rien au-delà du boson de Higgs. Nous espérons vivement découvrir quelque chose de plus compliqué. »
    • John Schwarz : « Il y a beaucoup de spéculations au sujet de possibles découvertes au LHC. Il s'agit notamment d'indications de dimensions supplémentaires, de minis trous noirstrous noirs, des cordes, des monopoles magnétiques, etc. Je crois que tous ces objets et ces structures existent, et je serais heureux d'en avoir la confirmation expérimentale... Mais je suis pessimiste quant aux perspectives de les trouver dans la gamme d'énergie accessible au LHC... Je pourrais avoir tort. C'est pourquoi il est important que ces expériences soient effectuées. »
    • Sean Carroll : « La beauté de la science, c'est que nous ne savons pas quelles surprises nous attendent dans ces domaines. »
    • Gordon Kane : « Le LHC pourrait découvrir les superpartenaires des particules du modèle standard et donc un monde supersymétrique. Outre de forts arguments théoriques pour la physique du Higgs, il existe une forte preuve expérimentale associée que la masse du boson de Higgs est une conséquence de la supersymétrie... Sans doute la principale chose que nous avons apprise au cours des deux dernières décennies est que toute notre compréhension de la nature au niveau le plus fondamental nécessite probablement d'étendre notre réflexion à l'existence d'un Univers possédant des dimensions spatiales supplémentaires... Un optimiste (comme moi) peut défendre l'idée que le LHC pourrait tester la supersymétrie, démontrer la théorie des cordesthéorie des cordes et ensuite permette de d'aborder la question non plus du comment mais du pourquoi. »

    Un calendrier des découvertes à venir

    Lors d'une conférence le 14 avril dernier, Abraham Seiden, de l'Université de Californie à Santa Cruz, a estimé que selon lui, si certaines des théories qui viennent d'être évoquées sont exactes et en fonction des échelles d'énergies auxquelles on peut les voir se manifester (lesquelles sont toujours inconnues), on devrait assister à l'annonce de leur découverte selon le possible calendrier suivant :

    • 2009 : La supersymétrie, si son échelle d'énergie est de 1TeV.
    • 2009/2010 : Le boson de Higgs, si sa masse est d'environ 200 GeVGeV.
    • 2010/2011 : Le boson de Higgs, si sa masse est d'environ 120 GeV car à plus basse énergie, il est plus difficilement visible dans les données et il faut accumuler un plus grand nombre de collisions pour le mettre clairement en évidence.
    • 2012 : Des dimensions spatiales supplémentaires, comme dans le cadre des théories des cordes à basse énergie si celles-ci deviennent visibles à une énergie de 9 TeV.
    • 2012 : De la compositeness, si les quarks sont en fait des particules composites au lieu d'être fondamentales, et que leur nature composite se révèle directement à une échelle d'énergie de 40 TeV.
    • 2017 : La supersymétrie,  si son échelle d'énergie est de 3 TeV.

    Il faudra attendre d'avoir enregistré suffisamment de collisions et que le LHC monte suffisamment haut en énergie à chaque fois. En effet, les événements intéressants sont noyés dans une mer de particules déjà connues et extraire ce qui est intéressant du bruit de fond peut demander plusieurs années d'analyses. Il faudra aussi augmenter les performances du LHC pour atteindre les énergies et la luminositéluminosité adéquates pour produire ces événements rares, mais cruciaux, pour établir de la nouvelle physique.

    Pour ce qui est des minis-trous noirs, leur fabrication donnerait lieu à un signal très clair et facile à interpréter mais tout dépendra de l'échelle d'énergie à laquelle ce processus est possible. Très optimistes à leur sujet au début des années 2000, les chercheurs sont aujourd'hui plus prudents.